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1866Peu à peu, avec sa prudence coutumière, et même avec une prudence inhabituelle qui marque la gravité des enjeux de la crise générale dans la phase actuelle, la Chine précise sa précise. Par “crise générale”, certes, nous entendons la crise ukrainienne prise dans sa plus profonde signification, dans sa plus large extension, avec l’extrême complexité qui la caractérise dans la façon qu’elle a de toucher tous les problèmes de la situation de phase terminale du Système ; c’est-à-dire, “crise générale” ou plus précisément selon notre jargon “crise haute ultime” (voir le 23 mars 2014).
• Le vote de l’Assemblée Générale à l’ONU sur une résolution ukrainienne contre le référendum criméen, jugé comme “illégal” et donc sans aucune valeur opératoire, a vu son adoption par une majorité importante mais loin d’être irrésistible et de représenter une condamnation unanime. (Ce vote de l’Assemblée Générale n’avait aucune valeur contraignante.) Sur les 193 membres, 169 étaient présents, 11 ont voté contre et 58 se sont abstenus. La majorité a donc été de 100 votes, ce qui n’est effectivement pas une “majorité irrésistible”. Les Russes considèrent que le vote prouve qu’ils ne sont pas isolés, alors même qu’ils ont admis que le texte n’était pas complètement inacceptable pour eux puisqu’il affirme des principes auxquels la Russie est attachée. (Effectivement, le fait que autres membres du BRICS, – Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, – se sont abstenus, fait du bloc abstentionniste qui constitue un refus de l’orientation politique du bloc BAO un poids extrêmement significatif.)
«Russia has rejected the UN resolution as “confrontational,” Churkin, said before the vote, adding that the document “undermines the referendum” and the right to self-determination of the Crimean people. Churkin said that there were “some right things” about the document, however, as it speaks out against unilateral actions and provocative rhetoric. But he said that no UN resolution was needed to achieve those goals, as all sides simply need to start acting in the interests of the Ukrainian people.» (Voir Russia Today, le 27 mars 2014.)
L’intérêt pour notre propos est que ce texte prenait diverses précautions comme, par exemple, celle de ne pas nommer la Russie, donc de ne pas mettre implicitement en avant l’accusation principale du bloc BAO d’une “agression russe” contre l’Ukraine. Cette disposition, que les “parrains” du bloc BAO ont soufflée avec autorité au pouvoir actuel de Kiev, était faite essentiellement pour susciter le vote positif de la Chine : puisque la Russie n’était pas mise en cause, la Chine pouvait exprimer son adhésion extrêmement forte au refus de l’autodétermination et de la sécession. Mais la mention de la Crimée faisait de la résolution un “document confrontationnel” (selon Chourkine), la Russie était donc indirectement impliquée et la Chine a décidé de s’abstenir. Il y a manifestement un rapport de cause à effet entre ceci et cela, pour montrer que la Chine est très attentive à la position russe et estime ne pas pouvoir se réfugier derrière des arguments formels pour la condamner même accessoirement. Il s’agit d’une évolution de la Chine depuis le début de la crise ukrainienne, avec l’équilibre qu’elle entendait maintenir entre son opposition très ferme et de principe à l’autodétermination et à la sécession d’une part, son attention à soutenir la Russie dans les cas les plus évidents du partenariat stratégique implicite entre les deux puissances d’autre part. Cet équilibre entre deux positions contradictoires a nettement été rompu à l’avantage d’un soutien à la Russie (l’abstention à propos d’un document que la Chine aurait du soutenir dans la forme où il a été rédigée renvoie évidemment aux pratiques chinoises : même la “rupture” d’une position doit être exécutée avec prudence).
• Mais notre intérêt va surtout à un éditorial de Global Times du 26 mars 2014. Ce quotidien, malgré son statut d’indépendant (et un penchant marqué pour les positions nationalistes), a l’avantage pour la signification du propos de répercuter officieusement certaines des positions, – c’est-à-dire les plus importantes, – de la direction chinoise que cette direction ne veut pas exposer officiellement. Bien entendu, on comprend que la crise ukrainienne dans son extension en “crise haute ultime” est une de ces positions, c’est même aujourd’hui le point central des préoccupations politiques de la direction chinois. L’éditorial est intéressant parce qu’il s’attache à un point, qui est la conséquence de la crise ukrainienne mais qui ne l’exprime en rien, qui aborde au contraire les positions d’antagonisme et de coopération des uns et des autres d’un point de vue général sinon global, principalement le bloc BAO et (contre) les pays du “bloc émergent” type-BRICS. Il s’agit de la question du G8 rétrogradé en G7 avec la mise à l’écart de la Russie. L’éditorial en fait une mesure importante, plus structurelle que conjoncturelle, qui officialise l’obsolescence du G8 en se privant du seul membre représentant les “émergents” (BRICS), qui officialise aussi l’obsolescence, on dirait presque d’“illégalité” du bloc BAO dans sa prétention à vouloir imposer ses conceptions et sa politique au reste du monde (aux “émergents” type-BRICS). A la limite, l’éditorial pourrait être vu comme une sorte d’approbation de la mesure, dans le sens où elle libérerait la Russie d’une position ambiguë et dépassée, celle d’une sorte d’asservissement au bloc BAO («Russia joining the group in the 1990s was a “reward” that the West granted to Moscow for its democratization efforts. Now the G8 has shrunk to G7 again, leaving the relationship between Russia and the West back to its starting point.») D’où ce constat que le G8 réduit au G7 s’est lui-même mis à sa place réelle, qui est une “marginalisation” complète par rapport à la vérité du rapport des forces qui s’exprime dans le G20, cela impliquant que le bloc BAO devrait commencer à en venir aux conditions du nouveau rapport des forces, – c’est-à-dire, essentiellement, cesser de vouloir dicter sa loi au monde... (Cela avec cette précision insultante pour le bloc BAO, et significative du véritable rôle que doit jouer la Chine, et que pourrait jouer la Chine : si le G8 était devenu au moins G9 avec l’invitation de la Chine à y participer, le “G9” aurait joué un rôle important en évitant que la crise ukrainienne prenne la dimension qu’elle a prise, qui déchire l’Europe...)
«However, the G7 is no longer the group of leading industrialized nations which once accounted for over 70 percent of the global GDP and Russia isn’t the country plagued by debt and begging for Western assistance it used to be. Not only has the G20 outweighed the G8, but new emerging groups such as BRICS are also undermining its influence. The G8 excluded Russia at a time when it has already lost its appeal. Russia’s shrugging off the decision is more eye-catching. The G7 will gradually be marginalized on the global stage without Russia. Despite its relatively small economic scale, Russia’s G8 membership represents a leapfrog development of the “rich country club,” while the exit symbolizes the failure of major Western countries to open to the world.
»[...T]he West needs to stop acting as “leaders” and instead integrate with the rest of the world. If the G8 had given Russia the proper respect, it would have become G9 or G10 with the inclusion of major emerging countries like China, and a G20 could have been the outcome of the expansion. In this case, the crack in the European political landscape caused by the Ukraine crisis could have been avoided.»
En ajoutant la confirmation que l’accord gazier entre la Chine et la Russie (voir le 22 mars 2014) devrait être annoncé lors du voyage de Poutine en Chine en mai avec la signature technique annoncée pour juin (voir Novosti, le 27 mars 2014), on dispose d’un dossier conjoncturel convaincant pour conclure que la Chine semble établir une position de soutien à la Russie dans le cadre de la “crise générale”/“crise haute ultime”. Cela constitue un événement stratégique, discret et prudent selon les habitudes chinoises, qui doit certainement être considéré comme très important.
L’essentiel pour nous reste sans nul doute l’orientation qu’indique l’éditorial de Global Times, si effectivement ce texte renvoie à une position officieuse, voire “secrète”, de la direction chinoise. Ce texte a en effet la caractéristiques d’à peine mentionner, d’une manière hypothétique, le cas de la Crimée pour trancher abruptement et d’une façon très offensive sur un problème fondamental impliquant le bloc BAO et les pays type-BRICS, dans une posture absolument antagoniste, et en des termes brutaux pour le bloc BAO, c’est-à-dire contre ses pratiques et son suprémacisme de communication. Il s’agit d’un cas évident d’extension supplémentaire de la crise ukrainienne, nettement au niveau de la crise générale, confirmant son caractère de “crise haute ultime”. On voit bien comment l’on passe de la dimension régionale, qui n’intéresse que moyennement la Chine (sinon pour s’y sentir mal à l’aise en raison de sa position contre le principe de l’autodétermination) à la dimension globale, avec l’argument renversé contre le bloc BAO, – inventeur incontestable de la globalisation, et sommé brutalement d’entrer dans l’ère de la globalisation aux conditions des nouveaux rapports de force. Le problème est délicat pour la prudence officielle chinoise, il l’est beaucoup moins pour l’éditorialiste de Global Times, – ce qui doit être considéré comme un signe. Il implique une prise de position stratégique fondamentale, qui entraîne une implication dans la problématique Système versus antiSystème que nous apprécions comme la plus importante, avec le paradoxe, – ce n’est ni le premier, ni le dernier, – de voir l’outil principal du Système (la globalisation) retourné contre lui selon une mise en cause de ses pratiques qui se réfèrent à l’“idéal de puissance” inspirant une politique d’affirmation unilatérale de puissance, encore une fois celle du suprématisme occidental qui constitue une position de plus en plus insupportable pour une puissance comme la Chine. Nous dirions même que, sur ce point, la Chine devrait évoluer, si ce n’est déjà fait secrètement, vers une attitude plus radicale que la Russie, puisqu’elle-même s’estime comme une superpuissance et qu’elle se voit souvent traitée avec une condescendance suprématiste rappelant les périodes de colonisation ou de vassalisation par ce qu’on avait encore coutume de nommer “la civilisation occidentale”.
... Ce qui, pour terminer, nous conduit à la un petit aparté concernant notre chère France, laquelle prétend encore être, sous la conduite du président-poire et de son équipe de notaires-montés-à-Paris, une sorte de phare de quelque chose qu’on nommerait plutôt “contre-civilisation”, – bref, le bloc BAO, pour faire stalinien. Paris en France reçoit le président chinois Xi avec un faste, des pompes et des circonstances comme on en vit rarement pour un chef d’État étranger dans la Ville-Lumière. Il s’agit de signifier à l’invité d’honneur que la France et sa civilisation postmoderne entendent faire à la Chine une place d’honneur dans le Panthéon de leurs comptes sonnants et trébuchants. Dans le creux de la pensée économico-stratégique de la clique au pouvoir, il s’agit de trouver un partenaire extérieur, non-BAO où le partenariat se fait étique, qui puisse rapporter gros. L’idée “morale”, toujours en sus mais toujours importante et “républicaine” dans le Paris d’aujourd’hui, est de chasser à tout jamais la Russie qui a commis le forfait qu’on sait de la possibilité d’un tel partenariat et d’y mettre la Chine à sa place. C’est une idée stratégique brillante, ces notions de partenariats privilégiés avec les soi-disant “nouveaux riches”, qu’on voit ressurgir avec régularité depuis quelques années. Cette fois, une fois de plus, le faste montre qu’on y tient dur comme fer.
La stratégie est classique mais les effets peuvent être postmodernistes. Dans les circonstances actuelles et compte tenu de l’évolution de la pensée chinoise dans sa phase ukrainienne comme on en fait l’hypothèse, il est extrêmement probable que le résultat obtenu sera exactement inattendu dans le sens de l'inversion vertueuse. En agissant comme elle fait, la clique française ne s’attarder pas à l’hypothèse qu’elle a toutes les malchances de contribuer à exacerber chez les Chinois, ainsi honorés et ainsi élevés au rang de si grande puissance, leur détestation du suprémacisme du bloc BAO dont la France est partie prenante... Plus la Chine comptera pour la France, plus elle exigera la liquidation de l’arrogance, du suprématisme et autre “G8 moins 1” déployés par le bloc BAO, pour accepter la nouvelle conception des choses. La vertu postmoderne, cela se paye, – nous voulons parler de la vertu antiSystème, celle qui, par des chemins tortueux, renforcerait une position objectivement antiSystème de la Chine, compte tenu du fait que le bloc BAO est le principal opérateur du Système.
Mis en ligne le 28 mars 2014 à 09H15
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