La Chine et Snowden : élargissement du domaine PRISM

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La Chine et Snowden : élargissement du domaine PRISM

Que pense la Chine du cas Snowden ? Car la Chine y pense, sans aucun doute, et elle commence à le faire savoir. Les uns et les autres font grand cas d’articles de journaux qui viennent d’être publiés, dans China Daily et dans Global Times. Pour n’être pas des positions officielles, ces analyses impliquent un contexte de “sources autorisées” si l’on considère le statut de ces journaux et les conditions habituelles de la communication en Chine.

Le 14 juin 2013, M K Bhadrakumar s’empare de cet aspect de l’affaire, pour mettre en évidence que la Chine n’entend pas laisser passer cette affaire sans réagir avec détermination. Pour les Chinois, Snowden est sorti de l’ombre au moment où eux-mêmes se trouvaient sous le coup d’une accusation massive de cyberguerre de la part des USA, où Obama minimisait aussitôt cette accusation au profit d’excellentes relations avec la Chine au cours d’un sommet décrit comme “terrific” par lui-même, – huit heures de conversations , dont 55 minutes de promenade seul à seul avec le président chinois Xi Jinping, en un jour de sommet en Californie le 7 juin dernier. Officieusement, les Chinois laissent entendre que la direction chinoise considère les affirmations d’Obama faites au président chinois comme un “mensonge flagrant” évidemment d’une gravité exceptionnelle, à la lumière des énormes fuites organisées par Snowden.

Il existe sans le moindre doute de fortes probabilités pour que la question de l’espionnage de la Chine et des attaques de cyberguerre contre la Chine apparaissent dans les révélations à venir, via Glenn Greenwald, dans la matériel fourni par Snowden. Effectivement, pour “couronner” le tout (le sommet BHO-Xi en Californie), il y a les affirmations de Snowden faites à un journal de Hong Kong (The South China Morning Post) selon lesquelles, à côté des accusations US d’attaque chinois massives de cyberguerre contre les USA, le fait d’attaques US massives de cyberguerre contre la Chine est avéré... (Snowden a cité 61.000 objectifs attaqués par les USA durant les quatre dernières années, dont “une quantité importante“ se trouvent en Chine et font partie de l’infrastructure essentielle de ce pays. Le nombre d’objectifs en Chine dans ce total général se situerait entre 15.000 et 20.000.)

M K Bhadrakumar : «And, upon [Xi’s] return to Beijing, the flood gates have opened no sooner than the 3-day official holidays for the Dragon Boat Festival got over. A report by China Daily on Thursday on the CIA operative Edward Snowden’s defection signified it – making it clear that the US lost the shadow play and is now the laughing stock of the world community. Today [14 June,] Global Times hit out frontally suggesting Obama owes an explanation to China for its “hypocrisy” and “arrogance.” GT all but suggests that Snowden is in the hands of the Chinese security.

»Today’s commentary makes an intriguing remark that the next time around, Chinese security made sure the fugitive landed in China proper. Hmm. By the way, it has occured to some lawmakers in Washington as well that Snowden’s ties to China need to be probed. Evidently, Snowden is singing and Beijing knows much, much more than it is willing to reveal. The GT asserts that the US could still not penetrate the Chinese military establishment.

»It also warns against extraditing Snowden, saying the Chinese public won’t forgive the authorities in Hong Kong and Beijing. The government newspaper China Daily and the communist party organ People’s Daily also carried identical reports today on the Snowden case repeating the demand that the Barack Obama administration owes Beijing an explanation.

»Clearly, Beijing knows it has the upper hand and Washington knows it knows. China can be trusted to exploit the Snowden case for weeks and months...»

Russia Today s’attache également aux réactions chinoises ce 14 juin 2013. Les commentateurs de la station TV russe montre que le cas Snowden est en train de s’inscrire d’une façon décisive dans la problématique des relations internationales, pour constituer un cas majeur de polémique entre la Chine, avec le soutien de la Russie, contre les USA. Cela représente une occurrence extrêmement intéressante, où deux courants à potentialité antiSystème qui s’ignorent en général vont se trouver emportés dans une dynamique qui pourrait les conduire à additionner leurs effets dans un effort de “résistance offensive“ face aux attaques du Système, dont Snowden porte la nouvelle et démonte le mécanisme : d’une part, le courant de contestation interne de l’usage exorbitant de pouvoirs de surveillance et de contrainte des USA contre leurs citoyens, d’autre part le courant de contestation de la puissance expansionniste US et désormais la dénonciation de ses visées agressives et même précisément bellicistes, par la Russie et la Chine en tant que leader de l’Organisation de Coopération de Shanghai, membres du BRICS, – et, à propos, membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU.

«Edward Snowden could become a valuable asset for China’s cyber security experts if he is persuaded to share the knowledge of American surveillance programs. He has already given information of alleged NSA attacks on Chinese computer networks. The former NSA contractor is now under criminal investigation in the US over the leak to the press of details of the top-secret collection of phone and web data by the American government. He is currently in Hong Kong, a Chinese territory with a large degree of autonomy, where he claimed that the US government is engaged in massive hacking attacks on Chinese computers, some of which are key part of the country’s infrastructure.

»While official Beijing has so far refrained from being dragged into the scandal, voices are rising in China calling on rejecting such a request. Popular Communist Party-backed newspaper Global Times argued that the whistleblower would be of more use to China if milked for more American secrets in a Friday Op-Ed. “The US is accumulating all the advanced powers of the Internet to forge a state-level ‘fist’ in order to launch cyber attacks on other countries. The unparalleled power of this ‘fist’ is beyond our imagination, which should be an alarm bell for us to catch up with the development of the internet,” the newspaper argued. “Our focus should be fixed on grasping the core technology of the internet industry in the future.

»Global Times added that the exposure “has demonstrated the US' hypocrisy and arrogance” over the issue of cyber warfare and that China’s rising power grants its more respect from the US. And if Beijing and the government of Hong Kong do turn Snowden over to the US, they will face a public opinion backlash, the newspaper said.

»The notions have their backers among the Chinese population, notes The New Yorker. One popular comment on Chinese micro blogging service Weibo says: “If Edward Snowden was Chinese and worked for the Chinese National Security Agency, Obama probably would already have had him to dinner at the White House and nominated him for the next Nobel Peace Prize.” Some netizens called for the extraction of information from Snowden and then for sending him off to Russia or granting him a political asylum in China as a “demonstration of state power.”»

Aux USA, où la direction politique au service du Système distingue clairement le danger potentiel de l’“internationalisation” du cas Snowden, la contre-attaque sur ce point se précise avec le développement de l’affirmation que Snowden l’“héroïque whistleblower” est en réalité un agent chinois, voire même un agent double infiltré dès l’origine. On sait que des courroies de transmission de la CIA (voir Robert Baer) ont déjà lancé le thème. Cette version de la narrative est développée dans un article de Fox.News du 14 juin. L’article est cité par WSWS.org le 15 juin 2013, et présenté comme l’effet d’une coordination de la presse-Système par le gouvernement US. Une telle évidence n'a nul besoin de démonstration mais simplement du rappel de la répétition.

«...Snowden has also provided information related to US government hacking, over a period of several years, of Chinese universities, public officials, businesses and students. In response to these revelations, the media, in close coordination with the government, is leveling ever more hysterical and unsubstantiated charges against Snowden. An article posted Friday by Fox News asked the question, “Edward Snowden: Whistleblower or foreign agent?” suggesting that the Snowden was working with the Chinese government.

»“As the story unfolds, one key question stands out: is Snowden the heroic whistleblower he claims to be or something more sinister?” The article claimed that “some” are “questioning his motives and wondering whether claims that he wanted to right a perceived wrong are true—or whether he could be a modern-day double agent, cleverly hiding his actions and painting himself as a victim of the US government while working as an agent for the Chinese.”»

Sans doute voit-on s’ouvrir ici une phase de plus (le rythme de cette affaire est vraiment remarquable et étourdissant) du cas PRISM/NSA/Snowden, avec son intégration dans le cours des antagonismes internationaux dont il faut impérativement garder à l’esprit qu’ils répondent eux aussi à la problématique globale “Système versus antiSystème”. L’intervention de la Russie et de Poutine (voir le 12 juin 2013) avait ouvert un aspect d’“internationalisation passive” ; la passivité se transformerait ici en une forme active qui pourrait affecter directement les relations internationales. Le statut de Snowden selon les diverses affirmations et contre-affirmations devient complètement secondaire, puisqu’il ne doit nous importer désormais que ce fait majeur de ce qui semble être la volonté chinoise d’une implication majeure.

Il semble bien que la Chine voit dans les révélations de Snowden et dans ce qui les accompagne le signe indubitable, non d’une intention agressive des USA à son encontre, mais bel et bien d’une agression. Dans ce cas, les révélations de Snowden prennent l’allure de la description in vivo d’un véritable incident d’agression majeure, par exemple comme la destruction d’un avion selon les circonstances de sa destruction, par le pays adversaire, durant la Guerre froide (destruction de l’U-2 en vol d’espionnage au-dessus de l’URSS en 1960, la destruction du Boeing 747 de la KAL par la chasse soviétique le 31 août 1983). Les conditions générales sont pires encore, puisqu’il ne règne plus aujourd’hui les conditions d’autorestriction qui caractérisaient les deux blocs, durant la guerre froide, à cause de l’équilibre nucléaire. Nous dirions qu’à cet égard le ton qu’on identifie dans le commentaire de Bhadrakumar, homme à la courtoisie proverbiale du diplomate indien de carrière, est révélateur. Bhadrakumar n’est pas loin d’appuyer ouvertement une riposte offensive de la Chine contre les USA, et son avertissement à son propre gouvernement, en se référant à l’article de James Bamford (voir le 14 juin 2013), reflète, nous semble-t-il, une opinion changée sur le comportement des USA, présentés in fine comme une puissance agressive, dangereuse, comme l’acteur principal de la déstabilisation des relations internationales et de l’agressivité belliciste et totalitaire, comme le danger principal menaçant la paix dans le monde aujourd’hui, ou ce qu’il en reste disons... «I believe this essay must be made compulsory reading for anyone within the Indian defence establishment who harbored notions regarding security partnership with the US.»

Alors, peu doit nous importer pour notre jugement général ce qu’est aujourd’hui le statut de Snowden, ce qu’il deviendra demain, y compris s’il est pris en main (et protégé, par conséquent) par le gouvernement chinois, – ce serait un cas de légitime défense, et de toutes les façons un moyen de prolonger la lutte qu’il a entreprise par d’autres moyens, – car ce ne sont pas tant les USA comme pays selon les normes qu’on a l’habitude de citer qui sont en cause que le Système dans son déchaînement de surpuissance agressive et belliciste. Quant aux accusations contre Snowden concernant l’origine de son acte, tant pis pour elles : elles entrent désormais dans le cadre du mensonge permanent du Système dans sa narrative permanente, avec des porte-parole manipulés par telle CIA ou telle NSA, et c’est comme cela qu’elles doivent être considérées. Snowden est entré dans l’histoire comme whistleblower et l’affaire est close quoi qu’il en soit des enquêtes fortement intéressées en cours. L’essentiel est qu’il a fait ce qu’il a fait.

Désormais, Snowden est transformé en un cas et un argument fondamentaux des relations internationales, et peut-être même un argument qui va déclencher la colère chinoise contre les USA, – et, de ce point de vue, on ne peut que dire : il est temps... Effectivement, avec l’article de Bamford tel qu’il est perçu par Bhadrakumar, avec ce qu’il implique de préparations guerrières apocalyptiques de la part des USA, cette puissance est entrée dans le domaine de l’agression pure, à classer largement sur le même rang que l’Allemagne lors de ses déchaînements au XXème siècle, avec largement plus de puissance et de moyens, et finalement mue par une autre puissance hors de tout contrôle humain et dont le but est la destruction du monde, – toi, le Système...


Mis en ligne le 15 juin 2013 à 13H31