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236013 octobre 2011 – De la lyrique et superbe adresse de Naomi Klein à l’auditoire des “Occupants” de Wall Street (voir notre Bloc Notes du 10 octobre 2011), nous retenons, pour lancer notre propos, cette objurgation qu’elle lança :
«Let’s treat this beautiful movement as if it is most important thing in the world. Because it is. It really is.» (“Prenons ce beau mouvement comme s’il était la chose la plus importante du monde. Parce qu’il l’est. Il l’est réellement.”)
Notre propos, effectivement, est de déterminer l’importance du mouvement Occupy Wall Street (OWS) et de voir dans quelle mesure la proposition de Klein est juste, et appropriée. Il ne nous est certainement pas indifférent que Klein, dans le même élan, ait également émis un jugement esthétique sur OWS («this beautiful movement»). Il nous semble même que, dans cette veine de l’esthétique justement, mais d’une esthétique sans aucun doute chargée d’une dimension non dépourvue de signification philosophique qui pourrait être haute aussi bien que faussement haute selon l’orientation qu’on lui donne, elle aurait aussi bien pu, dans son intention, qualifier OWS de “sublime”.
(Les penseurs de l’américanisme autant que certains penseurs américains, – “dissidents” du Système dans ce cas, – sont friands de “sublime”, du latin sublimis, en tant que philosophie. La chose n’est pas sans ambiguïté, comme le sont de leur côté tous les mouvements postmodernistes aujourd’hui, par exemple dans la mesure où le “sublime” peut être celui de la nature comme celui de la technologie. Nous avons à vivre avec ces ambiguïtés et nous pouvons en éviter les pièges en nous protégeant par la conception générale de l’inconnaissance, – qui permet, finalement, d’écarter tous les détails qui font l’ambiguïté des choses, pour aller à l’essentiel : s’agit-il ou non de quelque chose qui est objectivement antiSystème ? Dans le cas d’OWS, la réponse est positive.)
Comme on peut le comprendre à la lumière de la parenthèse précédente, ces observations introductives ne signifient nullement que nous abondions dans le sens que nous prêtons aux remarques de Naomi Klein, ni que nous le refusions d’ailleurs. Nous ne faisons ici que le noter, selon notre interprétation, pour faire mesurer l’ampleur d’ores et déjà affirmée, avec une force supplémentaire qui est encore latente, que porte ce mouvement par rapport à la psychologie collective, aussi bien américaine qu’américaniste, et par rapport à la crise générale qui affecte évidemment toutes ces choses. Dans ce cas, qu’il y ait complot ou pas, manœuvres ou non, tentatives de récupération, etc., n’a pour nous aucune importance ni le moindre intérêt. Il y a tout cela, et bien d’autres choses encore, mais quel est donc le poids de ces choses comparé à la puissance structurelle qu’impliquent les rapports de ce mouvement avec la psychologie collective, dès lors que ce rapport est accepté ?
Notre appréciation est qu’il n’y a aucune vertu particulière, ni dans un sens ni dans l’autre, chez tous les acteurs de cet épisode particulier. Nous savons, comme chacun, qu’il y a eu des dizaines de tentatives de mouvements analogues, depuis des années, sans qu’aucune, non seulement ne réussisse, mais ne retienne l’attention une seconde. Celle-ci n’avait au départ rien de plus que les autres, et, pour cette raison, peut être déclarée comme n’ayant aucune vertu particulière en elle-même. Pourtant, sur le fond de son jugement, et sans qu’il faille s’engager en quoi que ce soit sur le reste, Klein a raison…
«Let’s treat this beautiful movement as if it is most important thing in the world. Because it is. It really is.» (“Prenons ce beau mouvement comme s’il était la chose la plus importante du monde. Parce qu’il l’est. Il l’est réellement.”)
Cela signifie qu’effectivement ce mouvement est “la chose la plus importante du monde” et qu’à cause de cela, il est, effectivement, esthétiquement “beau”. Si nous disons cela alors que nous disions immédiatement avant que ce mouvement ne vaut rien en lui-même, ce n’est pas par goût du paradoxe, mais parce que l’importance et la beauté du mouvement tiennent à la circonstance où il se manifeste, et au “trou” que cette combinaison pourrait bien avoir percé dans la psychologie collective américaine (celle des citoyens américains, nullement la psychologie américaniste qui se réfère au Système) ; de même que Raimondo parlait de 9/11 comme d’un “trou percé dans le continuum espace-temps”, de même OWS transmuté par la dynamique des événements pourrait bien avoir servi de “perceur de trou” dans le continuum psychologie-Système”. (Bien évidemment, le conditionnel est absolument de rigueur, car rien n’est complètement réalisé, mais notre idée est que jamais nous ne sommes approchés aussi près de ce phénomène du “trou”…)
Dans ce cadre d’analyse, on comprend que notre désintérêt pour tous les aspects concrètement inexplicables, mystérieux, suspects, etc., se justifie complètement. Ce qui importe ici est le “choc”, si “choc ” il y a comme il semblerait qu’il y ait, – le “choc” qui conduit à ce “trou percé dans le continuum psychologie-Système”. L’absence de but et de revendication du Système, cette tactique étrange venue du “printemps arabe” d’“occuper” des lieux publics symboliques, cette absence de structure qui fait d’un tel mouvement quelque chose de mou et d’insaisissable, qui échappe ici à la poigne et qui réapparaît plus loin ; cette absence complète de référence idéologique sérieuse, même si les commentaires tendent désespérément à en affubler ces “indignés”-là, etc… Tout cela constitue un habillage tout à fait acceptable pour un événement de cette sorte, dont la conséquence serait effectivement ce “trou percé dans le continuum psychologie-Système”.
Effectivement, notre problème, celui qui nous conduit à cette réflexion, est à première vue trivial ; il est de nous demander à nous-mêmes si l’importance que nous accordons à ce mouvement, du point de vue conceptuel et du point de vue “opérationnel” (articles et analyses) est justifiée ; c’est dans ce sens également que nous avons été amené à nous demander si Klein a raison lorsqu’elle dit qu’il faut faire comme si “ce beau mouvement […] était la chose la plus importante du monde”.
Notre réponse a été, évidemment, intuitivement positive, mais encore importe-t-il de l’expliciter le plus précisément possible. Nous avons avancé l’explication qu’il y a une rencontre entre le mouvement OWS et ce que nous serions finalement conduit à désigner comme un “Moment psychologique” fondamental. Certains estiment qu’il ne faut pas s’étonner de cela (un de nos lecteurs jugent que “les jeunes” sont particulièrement ouverts à cette sorte de perception). Nous ne pensons pas vraiment que le problème soit de s’étonner ou non, selon des termes comparatifs courants et comme s’il s’agissait d’un événement essentiellement humain, mais bien de constater le fait extraordinaire de cette “rencontre” et de le tenir comme tel.
Lorsque nous parlons d’“énigme” et de “mystère” à propos d’OWS, c’est effectivement en référence aux multiples tentatives sans succès de susciter un mouvement de protestation aux USA depuis au moins la guerre contre l’Irak, dont nombre de ces tentatives venant de groupes de jeunes gens, universitaires ou activistes, comme de vétérans activistes, comme de femmes ayant perdu des proches dans les combats, comme de militaires et de vétérans, etc… “Mystère”, par exemple, que le mouvement OWS ait réalisé cette rencontre avec la psychologie collective, et que le mouvement de Madison, dans le Wisconsin, en février-mars, n’y soit pas parvenu malgré une participation de masse immédiate, une intensité d’action beaucoup plus grande, une tension psychologique évidente. Ce mouvement de Madison, s’il a eu un grand écho national, n’a pas réussi à se répandre au travers du pays, jusqu’à devenir le phénomène véritablement métastasique (du point de vue effaré et effrayé du Système) qu’est OWS. Il ne fait aucun doute que Madison était nécessaire, comme étape intermédiaire après d’autres, et qu’il a apporté sa contribution à l’évolution des psychologies (tout comme Tea Party avant lui, d’une autre façon). Mais il n’était pas suffisant pour rencontrer ce “Moment psychologique” dont nous parlons, – simplement parce que ce Moment n’existait pas.
(Les précisions “quantitatives” du mouvement Occupy Wall Street sont étonnantes, dans la petitesse des chiffres par rapport au territoire couvert, à l’effet événementiel obtenu, à l’écho répercuté… Ralph Nader écrit, le 11 octobre 2011 :
«It is remarkable what a little more than 100,000 Americans, showing up and staying awhile have done in three weeks. They’re rattling the corporate supremacists. They have become a mass media story with columnists, editorials and cartoonists grinding out the ever increasing commentary…»
100.000 personnes et même au-delà, c’est le chiffre obtenu à deux reprises à Madison, pour deux rassemblements d’une après-midi à deux semaines d’intervalle, alors qu’il s’agit pour OWS de 100.000 personnes pour une tension continue de trois semaines, littéralement aux quatre coins des USA.)
Aujourd’hui, ce “Moment psychologique” existe, et il existe, à notre estime, de lui-même, et c’est lui qui assure toute la puissance des événements… Ainsi n’est-ce pas OWS qui a créé ce Moment, mais ce “Moment psychologique” qui, arrivé à maturité, a “choisi” OWS pour se manifester. Ainsi s'explique-t-il que la puissance réelle d’OWS dépasse infiniment sa puissance quantitative de mobilisation ; c’est la puissance du “Moment psychologique” qui produit cet effet. Ainsi OWS était-il nécessaire, comme Madison avant lui, et s’avère désormais suffisant, – cette fois au contraire de Madison, – puisque le “Moment psychologique” a porté son choix sur lui comme porte-parole. De là comprend-on mieux la facilité avec laquelle Occupy Wall Street et la myriade de mouvements le plus souvent symboliques ou si réduits qui l’accompagnent désormais, s’installent littéralement dans leur position d’“occupants” en réclamant, non pas l’impossible, mais l’inévitable ; ce qu’ils réclament les uns et les autres, le Système lui-même, par ses réactions outrancières, chaotiques, involontairement et paradoxalement promotionnelles d’OWS, l’expriment évidemment… Ainsi la déclaration essentielle de Occupy Wall Street étendu aux USA se trouve-t-elle dans une photo de Frederic J. Brown, d’AFP, montrant
«Occupy LA supporters camped in front of City Hall in downtown Los Angeles on October 7, 2011 in Southern California, show[ing] their support for demonstrators marching past on their way to the Federal Buildingn following a prayer service and ahead of a rally by the Interfaith Communities United for Justice and Peace…» (La photo illustre un texte de Russia Today du 11 octobre 2011.)
On y voit un manifestant portant cette inscription en grosses lettres fort lisibles : “Fuck the System”. Ainsi tout semble-t-il dit en fort peu de mots.
Le voici donc, le signe qu’il s’agit de “la chose la plus importante du monde” ; non qu’il s’agisse seulement d’une protestation contre Wall Street, non qu’il s’agisse seulement d’un mouvement de non-organisation postmoderniste, non qu’il s’agisse seulement d’un mouvement dont les organisateurs non-organisateurs sembleraient être des “jeunes” et ainsi de suite... Mais parce qu’il s’agit d’abord d’une manifestation tangible d’une psychologie collective, venue du cœur du système de l’américanisme qui est le moteur même du Système, arrivée à un Moment cathartique où les choses font qu’il peut être fait en sorte que la vérité soit enfin proclamée.
Cela ne signifie aucunement que “Fuck the System” dans les conditions actuelles et les possibilités conséquentes soit le clef de tout, que cela soit per se une ligne de conduite irrésistible et un coup de baguette magique, – bref, que cela représente quelque chose de concret, en termes d’affrontement social et politique, et de concrètement décisif. Il s’agit d’abord d’une affirmation symbolique antiSystème d’une puissance extrême parce qu’elle reflète l’inévitable vérité, qui a pu être écartée jusqu’ici par les manigances du Système et par les maladresses de ceux qui croyaient s’attaquer au Système, qui désormais ne peut plus être écartée. La tension de la psychologie, – le “Moment psychologique”, – est devenue trop forte.
Cela ne signifie aucunement que “Fuck the System” soit l’étape ultime et que Occupy Wall Street soit le mouvement ultime à cet égard, – sans doute pas, ou peut-être que oui, puisque nous sommes dans la contingence des événements terrestres. Là non plus, aucune prospective n’est possible, aucune divination ne peut s’accomplir. (Et notre conviction à ce propos étant toujours que le plus important est l'effet produit au coeur du Système, sorte d'“action indirecte” d'OWS et le reste si l'on veut, et dans ce cas pour accélérer et précipiter encore plus le processus d'autodestruction du Système.) Reste que du cœur même de la citadelle, de la profondeur la plus extrême du point de référence essentiel du Système, est venu le cri de fureur antiSystème, hurlé par une psychologie collective qui approche du point de l’insupportable. Il y a là comme un défi, qui aurait déjà des allures d’une confrontation entre les fondements même de la situation d’antagonisme pur qui règne aux USA, là où le Système appuie de toutes ses forces, sans la moindre dissimulation du rôle qu’il joue ainsi ; et dans ce cas, alors, oui, “Fuck the System” fait l’affaire, – comme “feuille de route”, disons…
Pour nous, la leçon à retenir d’ores et déjà est qu’Occupy Wall Street a réussi sa “mission historique”, dont il n’avait certainement pas la conscience parce que l’on n’a aucune conscience de ces choses-là, dont il n’a pas nécessairement conscience dans ces termes qui ramènent son rôle à la fonction obscure mais nécessaire de porte-parole et porte-voix… (Dans dde.crisis de ce 10 octobre 2011 : «Occupy Wall Street a donc l’infinie vertu (involontaire) d’avoir rencontré et révélé un Moment psychologique exceptionnel. D’ores et déjà, il a accompli sa mission historique.») C’est bien nous faire comprendre qu’à cet égard, Naomi Klein a donc raison : «…this beautiful movement as if it is most important thing in the world. Because it is. It really is.
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