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La presse américaine, quel mythe. Il faut écouter parler Christine Ockrent de son stage de départ chez CBS, à la fin des années 1970. Elle qui n’a pas peur de l’assurance et de la sûreté de soi, devient soudain tout miel, comme un élève parle de son maître, un croyant de son Dieu. C’est effectivement la réputation qu’a la presse US en France, — en France, particulièrement, sans aucun doute.
La vénération de la presse US en France s’est installée fermement dans les années 1960, avec la pénétration des formules de journalisme US (L’Express devenant un news-magazine à l’imitation de Time en 1964). La référence devint le journalisme “à l’américaine”, privilégiant la vitesse, la brièveté, le fait de préférence au commentaire comme gage d’objectivité (sans prendre garde au caractère fondamental de cette méthode, la tendance à la sélectivité des faits par les Anglo-Saxons). De ce tournant des années 1960 est né le monde de la communication d’aujourd’hui (presse, télévision, publicité, relations publiques), dont l’orientation politique, mais par la voie technique plus que par l’idéologie, est évidemment pro-américaine.
Depuis cette époque, avec le point d’orgue du Watergate, la presse US, pour les professionnels français du domaine, c’est une référence ultime et multiple — professionnalisme, intégrité, indépendance par rapport au pouvoir politique, valeurs morales qui dépassent les engagements partisans et les notions de devoirs nationaux. C’est dire si le comportement de la presse US, depuis le 11 septembre 2001, a remué plus d’une âme journalistique parisienne.
Nous vous présentons trois textes, successivement, dans un ordre chronologique inverse, histoire d’arriver peu à peu au coeur du problème. Nous pensons qu’avec ces trois textes, on peut se faire une meilleure idée de la réalité de la presse américaine.
• Un texte extrait de Marianne du 7 avril 2003, présentant le phénomène de la chute de la réputation des médias anglo-saxons depuis le 11 septembre 2001.
• Un texte publié dans de defensa, dans la rubrique Contexte, du Volume 13, n°11 du 25 février 1998. Ce texte avait été écrit en commentaire de la vague de critiques après la révélation de l’affaire Lewinski par un site d’Internet, reprenant une information dont Newsweek avait différé la publication. Ensuite, l’affaire Lewinski s’était transformée en un ouragan médiatique et les méthodes de la presse US, surtout ses centres d’intérêt, avaient été mises en question en Europe, surtout en France. Le mythe de la presse libérale et “sérieuse” se trouvait mis à mal dans la mesure où la presse attaquait, pour une raison jugée futile ou déplacée, à la suite d’une enquête où certains voyaient un complot d’extrême-droite, un président qui était le favori des milieux intellectuels français.
• Un extrait du Voyage en Amérique, de Charles Dickens, chapitre XVIII, “Derniers commentaires” (édité chez Phébus, Paris, 1994). On a les appréciations du grand écrivain anglais, après un voyage en Amérique en 1842. Ce livre est celui d’une déception terrible, — de l’image idyllique que le jeune Dickens se faisait de l’Amérique à la réalité qu’il découvre.
Marianne, 7 avril 2003
C'était un mythe. Lorsque, en France, on voulut concevoir des hebdomadaires « modernes », on les baptisa « news-magazines » et on prit pour modèles Times et Newsweek. Chaque fois que des journalistes rêvèrent de créer des quotidiens indépendants de qualité, ils affirmèrent vouloir faire un Washington Post. Les modèles de journaux populaires, pendant quatre décennies, furent anglais. Le Parisien, par exemple, n'en était que le décalque. C'est encore en référence au journalisme « anglo-saxon » que les médias français se convertirent à l'investigation. Et chacun chercha à réaliser son « Watergate ». Le reportage à « l'américaine », l'enquête à « l'américaine », étaient censés constituer un must. L'objectivité anglo-saxonne, caractérisée par une séparation stricte entre l'information et le commentaire, était partout donnée en exemple.
Or, qu'a-t-on découvert en quelques mois ? Qu'une sale guerre avait été rendue possible, comme préjustifiée (comme du temps d'Hearst) par une sale presse. Cette presse-là était anglo-saxonne ! Aucun média français n'aurait osé atteindre les sommets de délires propagandistes nourris par une logorrhée xénophobe qu'ont franchis, pour leur part, le Sun, le Daily Telegraph ou le Daily Mail de Londres, le Wall Street journal, le Washington Times ou le New York Post aux Etats-Unis. Le mythique Washington Post lui-même s'est fait, jusqu'à ces derniers jours, le véhicule non distancié de la phraséologie autosatisfaite qui a conduit l'Amérique à se précipiter dans l'infernal bourbier irakien. Aussi biaisées et orientées soient- elles, les informations d'Al-Jazira se sont révélées finalement plus fiables que celles de CNN ; les médias irakiens n'ont presque rien à envier à certains networks américains du groupe Murdoch, tel Fox News qui, sur fond de musique martiale, promotionne la guerre comme un spectacle de variétés.
Certaines télévisions vont jusqu'à censurer les images de « dégâts collatéraux » les reporters d'outre-Atlantique ont presque tous quitté Bagdad (donc aucun témoignage de ce côté), et l'un des rares qui était resté a été licencié pour avoir évoqué ù la télévision irakienne l'échec du plan Rumsfeld. Douze jours après le début de l'offensive, la plupart des Américains n'étaient toujours pas informés de ce qui se passait réellement sur le terrain de la vraie guerre.
Pour toute une génération de journalistes, les médias anglo-saxons constituèrent un phare. Bien que le Guardian, le Mirror ou le New York Times aient sauvé l'honneur, il semble bien que la guerre d'Irak ait contribué à l'éteindre.
« Qu'est-ce qui a bien pu tourner la tête de cette presse réputée si sérieuse ? » interroge gravement Le Nouvel Observateur à propos du scandale Monicagate. Il y a une réponse toute prête, qui est une tangente : « Tout simple : la vitesse de l'information, et la compétition effrénée que se livrent les médias. » Autrement dit : un accident, ou bien une nouvelle orientation qui n'a rien à voir avec les qualités morales de cette presse (car c'est bien “moralement”, c'est-à-dire vertueusement qu'il faut entendre le terme « sérieux ») ; sa “réputation” reste justifiée par son passé. Autrement dit encore : tout ce que nous pensions et pensons encore de la presse américaine reste justifié. C'est là l'essentiel de l'argument : la presse américaine, comme tout le reste lorsqu'il s'agit de l'Amérique, est l'objet de la même interprétation dont est parée l'idée américaine, jusqu'à faire représenter l'Amérique comme une image conforme à l'American Dream. Bien qu'européen, le débat est surtout français, sans aucun doute.
Il s'impose par conséquent de chercher à voir ce qu'il en est exactement : la réalité et l'histoire de la presse américaine justifient-elles le crédit qu'on lui accorde d'instinct ? Dans ce pays, la presse a nécessairement un rôle capital ; pas tant par les vertus et le rôle quasi-institutionnel qu'on lui prête dans la machinerie de fonctionnement du système de l'américanisme (ce sont là des appréciations chronologiquement secondaires) que par la place qui lui y est nécessairement dévolue dans la recette initiale. Le système de l'américanisme étant d'essence économiste et organisée par les puissances d'argent, son but ontologique est d'empêcher le pouvoir (ou assez de pouvoir pour être décisif) d'être transféré vers le politique pour éviter la possibilité d'une tendance réformiste. Il favorise ainsi au maximum l'individualisme (par ailleurs si nécessaire pour une économie fondée sur le consumérisme et sur l'initiative individuelle) : ses effets de dispersion des citoyens lui donne un rôle essentiel dans l'entreprise de contenir l'action politique. (Paradoxe : l'extrême liberté individuelle,y compris d'exprimer toutes les opinions politiques du monde, interdit la cohésion minimale indispensable à un mouvement réformiste sérieux. Seul Roosevelt put transgresser cette règle en 1933-35, par une action dont l'ampleur et la rapidité avaient effectivement un caractère réformiste. Mais c'était la Grande Crise, et c'était cela ou périr.) C'est dans ce cadre qu'il faut apprécier l'importance de la presse, organisée en contre-pouvoir critique et irresponsable : une machinerie mise en place pour conforter l'individualisme et par conséquent, et sans le vouloir nécessairement, contrecarrer toute organisation d'un pouvoir politique réformiste sérieux.
Ce qui caractérise la presse aux États-Unis n'est donc pas les vertus qu'on lui prête, dont la promotion est du domaine du sentimentalisme pur, mais bien le rôle actif majeur qu'elle tient dans le système. Il y a cette différence essentielle avec la presse européenne : les puissances d'argent ont compris dès l'origine son importance ontologique au système en tant que phénomène social et non pas politique. Dès l'origine, la presse bénéficia d'un cadre légal favorable à ses activités et de moyens importants. Dès l'origine, elle occupa cette place essentielle qu'on lui voit aujourd'hui ; mais c'était affaire de puissance et de liberté d'action, pas de vertu.
La presse américaine fit, dès l'origine également, son travail : chercher et débusquer l'inédit et le sensationnel, attaquer là où cela l'arrangeait, défendre qui elle avait intérêt à défendre. Les recettes qu'on dénonce aujourd'hui fonctionnaient déjà. Elle était, comme toute presse, d'une férocité irresponsable qui supplante allégrement celle qu'on lui reproche aujourd'hui. En témoignent ces deux extraits, l'un de 1795 (The General Advertiser), l'autre de 1802 (The New-England Palladium and Commercial Advertiser) :
• « Si jamais une nation a été débauchée par un homme, c’est la nation américaine par Washington. Si jamais une nation a souffert de l’influence indigne d’un homme, c’est la nation américaine par l’influence de Washington. Si jamais une nation a été trompée par un homme, c’est la nation américaine par Washington. »
• « Si l’infidèle Jefferson était élu à la présidence, le sceau de la mort serait alors posé sur notre religion, nos églises seraient prostrées, et une prostituée d’infamante réputation, connue sous le nom de Déesse de la Raison, présiderait le sanctuaire aujourd'hui consacrée aux Plus Hautes pensées. » (1802)
En 1899, Theodore Dreiser entama sa carrière d'écrivain qui allait le conduire aux plus hauts sommets de la littérature américaine. Il s'imposa comme le chef de file de l'école naturaliste du XXe siècle, pessimiste et sombre comme de l'encre, infatigable critique du système social américain. II avait puisé dans son métier de journaliste-reporter tout ce qui allait nourrir son oeuvre : « [D]e cette époque date mon contact réel avec la vie — meurtres, incendie criminel, viol, sodomie, chantage, corruption, fourberie et faux témoignage de toutes les façons possibles. »
La presse américaine sut de tous les temps pratiquer, par sa constante pression sur les acteurs des faits publics sensationnels, cette démarche médiatique qu'on assimile parfois à de la persécution. Charles Lindbergh conçut une haine farouche à l'encontre de la presse à la suite du comportement de celle-ci à l'égard de sa famille et de lui-même lors de l'enlèvement et de l'assassinat de son fils, en 1934. II s'exila pendant cinq années et refusa jusqu'à sa mort, en 1974, le moindre interview.
Le comportement de la presse américaine dans les temps de crise ne s'accorda jamais de façon systématique à aucune vertu particulière. Dans son livre J'ai choisi MacCarthy, Harvey Matusow, qui collabora comme “témoin professionnel” avec le sénateur du Wisconsin durant les années 1950-54, décrit les relations de McCarthy avec la presse, particulièrement avec ce qu'il nomme « la presse maccarthyste », avec Willard Edwards du Chicago Tribune, avec Fulton Lewis Jr. et Ed Nellor, chroniqueurs radiodiffusés. Ces journalistes relayaient systématiquement les informations calomnieuses et diffamatoires du groupe McCarthy, ils appliquaient scrupuleusement les consignes qui en émanaient, favorisaient les manoeuvres parlementaires et judiciaire. A l'inverse, McCarthy devait affronter quelques adversaires de taille comme Drew Pearson et les frères Alsop, qui n'avaient pas froid aux yeux.
Durant la crise du Viet-nâm, la presse fut au premier rang de la bataille politique. Les partisans de la guerre utilisaient les informations officielles sans trop s'interroger à leur propos. Ses adversaires (parfois, partisans reconvertis avec le temps et le cours des événements), ne repoussaient pas les comportements douteux. « A la fin de 1968, écrivit dans son livre Between Fact and Fiction le journaliste Jay Epstein, Jack Fern, un producteur de NBC, proposa à Robert J. Northshield une série en trois parties montrant que le Têt [la bataille du Têt, en février 1968, remportée militairement par les Américains] avait été, en fait, une victoire décisive pour l Amérique. [...] Le projet fut rejeté parce que, raconta Northshield plus tard, “dans l'esprit du public” le Têt était déjà répertorié “comme une défaite, et c'était donc une défaite américaine ”. »
Ce survol rapide permet de conclure : puissante, capable, investigatrice jusqu'à l'inquisition au pire, la presse américaine l'a toujours été ; vertueuse, objective, respectueuse des faits, c'est-à-dire « sérieuse » au fond, elle ne le fut pas plus qu'une autre.
L'affaire du Watergate est à la base de la « réputation » vertueuse de la presse américaine. De ce point de vue, elle apparaît presque trop belle : une enquête partie de rien, menée avec une opiniâtreté sans pareille, débrouillant peu à peu l'écheveau d'un comportement évidemment scandaleux, soulevant un pays entier jusqu'à une de ses plus graves crises constitutionnelles, et achevant sur la capitulation sans conditions du coupable, l'homme le plus puissant (en principe) de l'Amérique. Le regard jeté alors de l'extérieur sur la presse américaine devint sans nuance : le plus grand professionnalisme du monde mis au service de la sauvegarde de la démocratie et de ses vertus morales.
Reste que le comportement de la presse à l'encontre de Nixon fut celui d'un acharnement inquisiteur extraordinaire, et qu'il fut déployé alors qu'aucune certitude n'existait quant à sa culpabilité. Entre les affirmations vérifiées, bien des ragots furent lancés et jamais retranchés. A ce moment, les journalistes n'étaient pas nécessairement vertueux ; ils étaient impitoyables, et ils faisaient leur métier comme ils l'ont toujours fait, sans frein, décidés à aller jusqu'au bout même s'ils aboutissaient à un cul-de-sac. Il n'y avait pas chez Woodward et Bernstein, les deux journalistes du Post à la base de l'enquête, de “certitude” de la culpabilité du Président ; il y avait l'intuition d'un “bon coup”, une attitude bien plus journalistique que vertueuse. Celle-ci, la vertu, vint après, au secours de la victoire. Que serait le jugement porté sur l'activité de la presse dans le cas d'un Watergate aboutissant à la mise en évidence de l'innocence de Nixon, sinon le même qu'on porte aujourd'hui sur son activité à l'encontre de Clinton ? Mais on retint la vertu venue couronner la victoire et l'on en conçut rétroactivement une réputation « sérieuse » (vertueuse) pour la presse.
Aujourd'hui, c'est à partir de ces éléments fort troubles qu'on porte un jugement, cette fois dans le sens d'une condamnation, sur la presse américaine dans l'affaire dite Monicagate. Comme si elle avait failli à sa vertu. C'est un jugement de substance qui n'est pas vraiment justifié.
Le scandale n'a rien mis en évidence qui soit particulier à la presse américaine (c'est pourquoi le Monicagate a été comparée à la mort de la princesse Diana, qui n'a rien d'américain, quant à l'activité médiatique). Il a mis en évidence, une fois de plus, l'évolution des techniques journalistiques suscitée sans surprise par l'évolution des technologies et la pression des conditions et des nécessités économiques. Stricto sensu, rien ni personne n'est vraiment responsable d'une façon fondamentale, et s'arrêter au seul cas de la presse n'a guère de sens. On aborde le problème de façon tronquée et par conséquent on le dénature (et certains y ont intérêt) si on ne va pas à son coeur, surtout lorsque celui-ci est animé par le poids d'un domaine financier écrasant et la pression d'une compétition exacerbée. Le phénomène sans aucun doute extraordinaire du comportement de la presse américaine dans le Monicagate, — extraordinaire jusqu'à changer la substance et l'évolution de l'événement, — est un phénomène d'ordre économique et idéologique et nullement un phénomène de presse. On peut porter un jugement moral sur lui, si on s'en préoccupe, mais il doit concerner un phénomène économique et idéologique et nullement un phénomène de presse.
On peut bien construire des écoles dans l'Est, l'Ouest, le Nord et le Sud, et former des maîtres par dizaines de milliers ; l'Université peut se bien porter, les églises peuvent être bondées, la tempérance peut gagner du terrain, et la connaissance au sens large se répandre dans le pays à pas de géant ; mais, tant que la presse quotidienne approchera de l'état d'abjection dans lequel elle se trouve présentement, on ne pourra compter sur un redressement moral dans ce pays. Les valeurs morales ne peuvent que régresser et régresseront d'année en année ; le sentiment populaire ne peut que se dégrader d'année en année ; le Congrès et le Sénat ne pourront, d'année en année, que se déconsidérer aux yeux des honnêtes gens ; et d'année en année, la mémoire des pères de la Révolution sera toujours plus outragée par la mauvaise vie de leurs enfants dégénérés.
Il va sans dire que dans la quantité de feuilles publiées aux États-Unis, certaines jouissent d'une bonne réputation et d'un grand crédit. Et j'ai retiré plaisir et bénéfice de mes rencontres avec des hommes accomplis liés à de telles publications. Mais celles-ci sont rares, quand les autres sont légion ; et l'influence des bonnes ne suffit pas à tenir en échec le poison moral des mauvaises.
Parmi les gens de bien, parmi les personnes réfléchies et bien informées, au sein des professions libérales, au sein du barreau et de la magistrature, tout le monde, comme on s'en doute, convient du caractère vicieux de ces infâmes journaux. On soutient parfois — je ne dirai pas bizarrement, car il est naturel de chercher des excuses à pareil scandale — que leur influence n'est pas aussi grande qu'on pourrait le supposer. Qu'on me pardonne d'affirmer que rien ne fonde ce plaidoyer, et que chaque fait et chaque détail tendent directement à la conclusion inverse.
Quand chacun, quelles que soient ses qualités intellectuelles et morales, pourra atteindre à n'importe quelle distinction publique sans préalablement plier le genou et ramper devant ce monstre de dépravation ; quand tout homme de mérite sera à l'abri de ses attaques ; quand la confiance sera épargnée et que tout accord honorable et décent aura droit à un début de considération ; quand, dans ce pays de liberté, chacun jouira de la liberté d'opinion et prétendra penser et s'exprimer par lui-même, sans platement se référer à une censure qu'il exècre et méprise en raison de son ignorance crasse et de sa vile improbité ; quand ceux qui ressentent le plus vivement son infamie et l'opprobre qui en rejaillit sur la nation et qui entre eux dénoncent le plus violemment cet état de chose oseront au vu de tous l'écraser sous leur talon, alors je croirai que son influence diminue et que les hommes sont en train de recouvrer la raison. Mais tant que cette presse glissera un oeil mauvais dans chaque foyer, et posera une main douteuse sur toutes les fonctions de l'État, du président au postier, et tant qu'avec la calomnie pour seule marchandise, elle sera la littérature standard d'une multitude qui lit le journal ou ne lit pas du tout, son caractère odieux pèsera sur le pays et son action néfaste restera manifeste au sein de la république.
Pour ceux qui sont habitués aux principaux journaux anglais ou aux estimables journaux du continent européen, et sont accoutumés à bien autre chose en fait de publications, il sera impossible, en l'absence de morceaux choisis pour lesquels je n'ai ni la place ni l'inclination, de se faire une idée précise de cette effrayante machine. Mais quiconque souhaite confirmation de mon propos sur ce sujet peut se rendre en tout lieu de Londres où l'on trouve des exemplaires de ces feuilles, et se former sa propre opinion.
Il serait bon, cela ne fait aucun doute, que le peuple américain dans son ensemble goûte un peu moins le réel et un peu plus l'idéal. Il serait bon qu'il soit encouragé dans le sens de l'allégresse et de la gaieté de cœur, et cultive plus largement ce qui est beau sans être éminemment et directement utile. Mais ici, je pense que peut être raisonnablement prise en compte la protestation générale « nous sommes un pays neuf », couramment avancée pour jeter un voile sur des défauts assez injustifiables, qui conviennent mieux à la lente croissance d'un vieux pays ; et j'espère encore apprendre que la nation américaine connaît des divertissements autres que la politique vue à travers les journaux.