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1143Le chiffre a frappé les milieux dirigeants américanistes autant que le public: 533.000 emplois perdus aux USA en novembre 2008, le pire chiffre enregistré pour un mois depuis plus de 30 ans (depuis décembre 1974).
Les indications sont d’une façon générale très inquiétantes particulièrement pour ce qui concerne le rythme de la crise. Le Financial Times du 5 décembre rapporte les commentaires de présentation du rapport mensuel du Bureau des Statistiques de l’Emploi:
«“This is a dismal jobs report,” said Keith Hall, commissioner of the Bureau of Labor Statistics, at a congressional hearing. “There's very little in this report that's positive. This is maybe one of the worst jobs reports the Bureau of Labor Statistics (founded in 1884) has ever produced.”»
Appréciant la période des trois derniers mois (c’est-à-dire depuis qu’a éclaté la crise financière), le FT met en évidence cette tendance à l’accélération de la crise, à partir d’une situation de récession d’ores et déjà très marquée avant la crise financière.
«Revisions to the two prior months brought more dismal news. October's job loss was revised up to 320,000 from 240,000, and September was revised up to 403,000. The revisions brought the 3-month job loss total to 1.3 million. That's equal to two-thirds of this year's total job losses and the third highest three-month job loss total since World War II.»
Enfin, une autre façon d’apprécier la situation et la tendance qu’elle reflète est de dire que, contrairement à l’effet enregistré avec le chiffre de 533.000 emplois perdus, il n’y a pas de surprise; de toutes les façons, les choses vont aller encore en s’aggravant.
«“Today’s figures seem awful, but we would stress that they are merely in line with what a number of indicators have been pointing to for months, and there could be an even bigger negative lurking out there in the months ahead,” said Rob Carnell, analyst at ING Financial Markets. The National Bureau of Economic Research declared this week that the US economy has been in recession since December last year, but Friday’s figures, the latest in a string of grim economic data, suggest conditions are getting worse.»
Le Times d’aujourd’hui signale ces avis qui assimilent la perte d’emplois de novembre à un signe d’une économie “en chute libre”, à l’accélération d’une tendance de plus en plus incontrôlable:
«Nigel Gault, chief US economist at Global Insight, described the unemployment numbers as “horrendous”. “This is an economy that is in absolute free fall right now,” Mr Gault said: “Confidence has collapsed.”[…] Ian Shepherdson, chief US economist at High Frequency Economics, said: “This is almost indescribably terrible. In the past six montsh, the US has lost 1.55 million jobs, almost as many as were lost in the whole 2001 recession, which included 9/11 and the two months after. The pace of job losses is accelerating alarmingly.”»
Le même Times rapporte d’autres prévisions extrêmement préoccupantes, qui rendent crédibles, voire modérées, des projections situant à 10% et plus de 10% le taux de chômage officiel aux USA à la fin de 2009. Ces prévisions rendent compte de la probable situation à la fin de 2008, après les licenciements attendus dans l’industrie automobile en crise: «The US car industry is also expected to lay off thousands of workers, taking the unemployment rate to an estimated 8 per cent by the end of the year.»
Robert Reich, sur son blog à la date du 5 décembre, n’hésite plus à poser la terrible question: “Pouvons-nous l’appeler une Dépression, maintenant?”, – en titre de sa note («Shall We Call it a Depression Now?»). L’intérêt des observations de Reich est qu’il analyse la réalité de la situation sociale des USA, conclut qu’on se trouve désormais, au début décembre 2008, au moins à 11% de taux de chômage réel, qu’on se rapproche très vite d’une situation qui commencerait à ressembler à l’Amérique de FDR. (Par ailleurs, Reich estime que l’année 2008 a effectivement connu un Great Crash équivalent à celui de 1929. Tout y est.)
«Today's employment report, showing that employers cut 533,000 jobs in November, 320,000 in October, and 403,000 in September – for a total of over 1.2 million over the last three months – begs the question of whether the meltdown we're experiencing should be called a Depression.
»We are falling off a cliff. To put these numbers into some perspective, the November losses alone are the worst in 34 years. A significant percentage of Americans are now jobless or underemployed – far higher than the official rate of 6.7 percent. Simply in order to keep up with population growth, employment needs to increase by 125,000 jobs per month.
»Note also that the length of the typical workweek dropped to 33.5 hours. That's the shortest number of hours since the Department of Labor began keeping records on hours worked, back in 1964. A significant number of people are working part-time who'd rather be working full time. Coupled with those who are too discouraged even to look for work, I'd estimate that the percentage of Americans who need work right now is approaching 11 percent of the workforce. And that percent is likely to raise.
»When FDR took office in 1933, one out of four American workers was jobless. We're not there yet, but we're trending in that direction»
Ce chiffre de 533.000 emplois perdus, plus grave que celui qu’on attendait, caractérise justement le mois de novembre, mois qui a débuté avec l’élection d’Obama. L’enthousiasme de l’événement n’a rien changé à la mécanique catastrophique en cours. Les événements politiques sont pour l’instant complètement déconnectés de l’“économie réelle”, c’est-à-dire du “pays réel” pour les USA. Le facteur psychologique, avec le spectre de la Grande Dépression qui pèse dans la mémoire US comme la référence fondamentale de la catastrophe, joue un rôle également fondamental, dans un cercle vicieux de mauvaises nouvelles qui pèsent elles-mêmes sur les décisions et les comportements dans le sens de l’aggravation, dans ce cas comme une spirale qui accélère le rythme de la crise. Cette rupture entre politique et “pays réel” rappelle effectivement la transition de 1932-1933, qui avait vu le pire de la Grande Dépression, avec une situation hors de contrôle. Mais, sur ce point précisément de l’action du nouveau président, la situation est beaucoup plus grave parce qu’Obama est d’ores et déjà impliqué dans les affaires du pays et ne dispose pas de la possibilité d’une rupture psychologique aussi forte qu’avait été l’événement de l’entrée en fonction de FDR (5 mars 1933).
C’est le plus grave problème, le problème urgent qui se pose au nouveau président: comment établir un lien de confiance actif et décisif entre sa nouvelle administration et la population US, qui rompe le rythme infernal de la crise économique? Il ne faut pas avoir de doute, car la fragilité psychologique et structurelle des USA dans ce cas est phénoménale: si les USA versent dans la dépression, celle-ci admise et cataloguée comme telle, la crise dépassera rapidement le domaine économique pour devenir une grande crise nationale, la troisième de l’histoire du pays, après la Guerre de Sécession et la Grande Dépression, et cette troisième crise dans des conditions générales bien pires que celles qui existaient lors des deux premières.
…Pour certains, d’ailleurs, nous y sommes déjà. Pour la doyenne des journalistes US, la vénérable Helen Thomas qui vécut sa prime enfance durant la Grande Dépression, «It’s a depression», – cela, écrit le 29 novembre: «Few prominent economists will say it, but to me it looks and feels like we are in another Great Depression or a reasonable facsimile.»
Mis en ligne le 5 décembre 2008 à 19H51
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