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10 octobre 2004 — On fait grand cas, à Washington, des fuites régulières vers la presse, venant d’officiers de la CIA qui ne cachent pas les raisons politiques de leur geste. C’est sans aucun doute une première dans l’histoire des querelles intestines washingtoniennes que de voir un groupe de l’agence de renseignement intervenir d’une façon concertée pour tenter de faire battre le président sortant aux élections présidentielles.
C’est le Daily Telegraph du 10 octobre qui donne ces précisions :
« A powerful “old guard” faction in the Central Intelligence Agency has launched an unprecedented campaign to undermine the Bush administration with a battery of damaging leaks and briefings about Iraq.
» The White House is incensed by the increasingly public sniping from some senior intelligence officers who, it believes, are conducting a partisan operation to swing the election on November 2 in favour of John Kerry, the Democratic candidate, and against George W Bush. »
(…)
« Fighting to defend their patch ahead of the future review, anti-Bush CIA operatives have ensured that Iraq remains high on the election campaign agenda long after Republican strategists such as Karl Rove, the President's closest adviser, had hoped that it would fade from the front pages. »
Que les auteurs des fuites soient qualifiés par le Telegraph de “vieille garde” de la CIA importe assez peu et n’a guère de signification. En réalité, il s’agit bel et bien d’une “révolte de la CIA” à cause du traitement qu’a subi l’agence ces trois dernières années, et le rôle de bouc émissaire que lui a fait tenir le gouvernement après qu’aient commencé les troubles d’après-guerre en Irak. Si cette “révolte” est surtout le fait d’officiers expérimentés, il n’y a là rien de surprenant ni de significatif en soi.
Diverses indications renforcent cette perception de la gravité de la crise affectant la CIA, et d’une gravité sans précédent (« , the Wall Street Journal declared in an editorial that the administration was now fighting two insurgencies: one in Iraq and one at the CIA. »). Mais, là encore rien de bien étonnant. La gravité de la crise est à la mesure de la gravité des événements : « These have been an extraordinary four years for the CIA and the political pressure to come up with the right results has been enormous, particularly from Vice-President Cheney. » (Vince Cannistraro, ancien membre du NSC sous Reagan). « The intelligence community has been made the scapegoat for all the failings over Iraq. It deserves some of the blame, but not all of it. People are chafing at that, and that's the background to these leaks. » (Bill Harlow, ancien porte-parole de l’ancien directeur George Tenet).
La crise entre la CIA et l’actuel pouvoir dure, de façon extrêmement intense, depuis au moins deux ans. La démission de Tenet, en juillet dernier, ne semble avoir rien résolu. Il paraît manifeste que la “révolte” n’a pas de caractère politique spécifique (par rapport aux partis politiques, par exemple), même si elle poursuit des buts politiques. Il s’agit d’une “révolte” de professionnels, estimant le pouvoir politique complètement perverti par l’utilisation qu’en fait l’actuelle administration.
Dans ce contexte, effectivement, il y a un caractère complètement exceptionnel dans le fait que ces groupes aient pris comme objectif un but politique partisan spécifique (empêcher la réélection de GW Bush ) avec des moyens (utilisation du matériel de la CIA, fuites vers la presse, etc) qui donnent à l’ensemble de l’opération presque des allures de complot. Cette circonstance est totalement sans précédent, d’autant qu’elle est exposée presque à visage découvert, avec des interviews identifiées, dans cet article du Telegraph comme dans d’autres précédemment (les révélations ne manquent pas, venues de la CIA comme il se doit). (Le même caractère exceptionnel existe avec la publication récente d’un livre anti-Bush d’un officier de la CIA, d’abord désigné Anonymus, puis identifié sans mal pour l’auteur.)
L’intérêt principal de cette situation sans précédent se trouve dans la question suivante : que va-t-il se passer si GW Bush est réélu ? Il est manifeste que le changement de directeur n’a rien changé à la CIA, tout comme il est manifeste que Tenet n’était certainement pas derrière les attaques d’officiers de la CIA contre le pouvoir. C’est-à-dire qu’on se trouve devant une CIA proche d’être incontrôlable, avec des groupes d’analystes suivant leur propre “politique” contre le pouvoir civil. Quelle pourrait être l’évolution de ces rapports conflictuels avec une deuxième administration GW Bush ? C’est une des questions intéressantes qui nous attendent si GW est réélu.