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41894 octobre 2019 – Écrivant le texte hier sur l’interview de McAdams, un élément nouveau m’apparut sur la fin que j’introduisis aussitôt dans une phrase ; cela s’était passé comme lorsque l’esprit synthétise soudain plusieurs facteurs en une cohérence qu’il ne distinguait pas jusqu’alorsdans leur addition. Cet élément était sollicité par le rapprochement que fait McAdams entre le temps de JFK et celui de Trump... Cela donnait ceci, qui concerne bien entendu la CIA et sa position, son comportement, dans l’Ukraingate :
« Cela est notamment dû à la plus importante différence, la plus extraordinaire entre 1963 et 2016-2019 : hier, du temps de JFK, il existait sans aucun doute un certain secret sur de tels antagonismes, ce qui permettait de monter des opérations précises et brutales ; aujourd’hui, même si les intentions ne sont pas affichées pour ce qu’elles sont, tout se passe à ciel ouvert, presque par déclarations publiques des deux camps, comme si tous les citoyens étaient conviés à participer à cet affrontement. »
Il n’y a, dans les faits, rien de bien nouveau. On a vu comment, depuis 2016, la CIA participe, au travers d’anciens officiers et directeurs, ou même d’un directeur en service (Brennan en 2016), quasiment publiquement et ès qualité, à l’affrontement de communication ; comment elle expose publiquement (articles, TV, etc.) son opposition à Trump, suggérant indirectement qu’il faut trouver à tout prix un moyen de se débarrasser de lui. On ajoute à cela ce qui était signalé dans le même article sur McAdams, son incursion dans la vie politique officielle, là aussi quasiment à visage découvert, comme n’a cessé de la mettre en évidence le site trotskiste WSWS.org, « qui ne manque jamais de signaler qu’il existe [depuis 2018] un noyau de parlementaires démocrates directement venus de la CIA, pour contrôler le parti démocrate. Sa série d’articles “The CIA Democrats” est du plus haut intérêt. »
On doit comparer cette situation avec d’autres où la CIA fut mise en cause, et notamment à l’époque de JFK où son opposition au président était connue, ce qui entacha l’enquête sur son assassinat de très lourds soupçons et d’innombrables enquêtes indépendantes. A cette époque, comme à d’autres où elle était mise en cause répétons-le, l’agence restait dans la plus complète discrétion malgré la puissance de sa vindicte et sa détermination à agir. Aujourd’hui, la CIA a complètement pulvérisé ses habitudes, ses codes de comportement, elle s’est transformée en un formidable lobby très visible, en une force politique puissante affichée qui ne prend aucune précaution pour dissimuler cette stuation.
C’est cette différence de posture publique aujourd’hui, que nous constatons certes tous les jours mais qui met un certain temps à se concrétiser en un concept, en une situation complètement nouvelle, qui apparaît brusquement comme un fait fondamental majeur. C’est ce qui m’est apparu en commentant le texte de McAdams et en le lisant. Dès le début de la polémique autour de Trump, la CIA, par ses divers canaux et personnalités placés dans des positions adéquates, fit nettement connaître sa position politique, à l’intérieur du débat politique le plus important du pouvoir de l’américanisme puisque portant sur la présidence. Jamais auparavant, elle n’avait suivi une telle politique, cherchant à faire tout le contraire pour se dissimuler. Il s’agit pour l’agence d’une véritable révolution : complot, s’exclame-t-on partout, “coup d’État” ; d’accord, mais à ciel ouvert, sans s’en cacher, au contraire cherchant à le faire savoir ! Ce qui compte d’abord, c’est la communication, l’affichage publique, le “allant de soi”, la CIA dans tous les foyers !
D’ailleurs, on se demande bien QUI est la CIA, qui la représente, qui la dirige s’il y a une direction. Après tout, Pompeo qui était le directeur de la CIA il y a un an et demi, est aujourd’hui dans le camp adverse de la CIA (et des démocrates), comme s’il n’avait jamais été de la Compagnie, comme s’il était un de “ces hommes à abattre” de la CIA, avec toute la bande à Trump. Que dit la directrice Gina Haspel de toutes ces agitations ? Rien du tout. La CIA semble être devenue d’une façon voyante et tonitruante si contraire à ses habitudes une entité, un égrégore qui agit sans avoir besoin d’une direction humaine, suivant sa propre volonté et poursuivant ses propres objectifs ; un peu comme si, le Système l’ayant choisi comme bras armé prioritaire pour la séquence, elle était désormais le Système à elle seule.
Cette différence d’exposition, de comportement, est un phénomène extraordinaire, dont je ne saurais supputer ce qu’il en sortira. On dira, comme une évidence : une attaque contre le président, un changement de président. Mais ça, en vérité et en toute discrétion, la CIA a déjà et a toujours fait, et avec grand succès. Non, aujourd’hui ce n’est pas si simple, et en vérité on ne peut dire, comme bien d’autres aspects de la situation aux USA, quels effets va donner ce comportement de la CIA.
La CIA était un mythe, un monstre qui ne montrait jamais sa face, une énigme indéchiffrable dont l’ombre était partout mais dont jamais personne ne voyait précisément les traits. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : elle est acteur bien visible, sans doute le plus puissant, proclamant ses positions et ses buts, ne craignant pas de se montrer. Elle est sortie de son mythe pour s’affirmer comme une sorte d’entité qui ne cache pas ses ambitions. On aurait tort pour autant d’en faire aussitôt la maîtresse du jeu, au terme d’un raisonnement simpliste. Une grande partie de sa puissance a toujours été son mystère et sa façon d’agir secrètement, ses ramifications insaisissables, etc. Je ne dis certainement pas que son apparition à découvert entame sa puissance, je dis qu’elle donne à cette puissance une autre nature, jusqu’ici complètement inconnue. De ce fait même, la situation est bouleversée et les schémas existant (complot notamment) ne suffisent plus à alimenter les hypothèses évidentes.
La CIA, dont on savait tout lorsqu’elle était secrète, devient une terra incognita dès lors qu’elle est devenue aux yeux de tous un acteur public de la crise du pouvoir du système de l’américanisme. C’est un paradoxe bien postmoderne.
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