La colère d’Albion (en plus de Gardiner)

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On peut considérer d’une façon générale que le texte de Nile Gardiner, que nous présentons par ailleurs dans la rubrique Ouverture libre, reflète un sentiment devenu extrêmement fort et profond chez les Britanniques.

@PAYANT Le “traitement” infligé à BP par Obama et par le Congrès, suivis par tout l’appareil du système de l'américanisme, représente pour les Britanniques une affaire extrêmement grave. La question n’est pas tant de savoir si BP le mérite, – sa responsabilité est patente, mais aussi celle des autorités US avec la faveur qu’elles accordent au Big Oil, du Congrès arrosé régulièrement par les subventions du même Big Oil, etc. La question concerne plutôt cette politique du choix d’un bouc émissaire britannique, et dont on ne cesse de souligner qu’il est Britannique, dans cette catastrophe. Et cette occurrence n’apparaît nullement comme un “accident”, un malheureux concours de circonstances, mais bien comme une aggravation logique d’une tendance anti-britannique que les Britanniques croient percevoir non seulement chez Obama lui-même, mais d’une façon générale dans l’establishment washingtonien. Après les années de soumission de Blair par rapport à Bush, tout cela est d’autant plus insupportable.

Dans sa chronique, Gardiner souligne que c’est toute la presse britannique qui, en l’espace de quelques semaines, a effectué un virage remarquable pour se placer en position radicalement critique du président Obama et de son administration, et, d’une façon générale, des USA. La City, elle, est sous le coup de l’attaque contre BP, et dans un état d’esprit anti-américaniste rarement vu. Le gouvernement conservateur-libéral évolue avec prudence mais, comme le fait remarquer Gardiner, commence à affirmer une position ferme contre les attaques anti-BP de l’administration US. Il est difficile de ne pas rapprocher cette évolution de la mauvaise surprise qu’a eue Robert Gates à Bruxelles, le 14 juin (voir notre Bloc Notes du 16 juin 2010), de découvrir les Britanniques fort résolus à transférer leurs zones opérationnelles en Afghanistan à des unités de l’armée afghane et à préparer leur départ. Cette atmosphère délétère s’ajoute à des perspectives de réductions budgétaires britanniques qui risquent d’affecter certains projets américano-britanniques, notamment dans le domaine de l’armement (le JSF).

Ce que montre Gardiner, c’est qu’il est en train de s’opérer une rupture idéologique grave, – la rupture de l’“idéologie” de ce que Churchill nommait l’“anglo-saxonisme”, – entre la direction américaniste et la partie la plus inconditionnellement pro-américaniste de l’establishment britannique. Certes, Gardiner affirme que la chose sacrée, – les AASP, ou “ Anglo-American Special Relationship”, – restera toujours vivante, comme toutes les choses sacrées, mais en attendant elle est mise en veilleuse tant qu’Obama sera à la Maison-Blanche… Sous peu, elle pourrait apparaître comme une vieille lune, une de ces icônes dépassées et sans plus de signification.

De ce point de vue, si l’on admet que cette perte d’allégeance n’est nullement rattrapée dans l’une ou l’autre partie du spectre politique britannique, on est conduit à observer que jamais le potentiel de soutien aux AASP n’a été aussi bas au Royaume-Uni depuis leur établissement, en 1941, avec la Charte de l’Atlantique. (Même lors de l’expédition de Suez, une partie du parti conservateur menée par MacMillan, et trahissant Eden, et certains travaillistes, restaient pro-américanistes ou, si l’on préfère, sous le contrôle américaniste.) Cela ne s’exprime pas encore en politique concrète mais cela pourrait l’être à la première occasion.

… La “première occasion” ? Il ne faut pas oublier que le pétrole continue à jaillir du fond du Golfe, et que, plus que jamais, la responsabilité est attribuée, aux USA, à BP, que les amendes et autres formes d’extorsions d’argent vont commencer à grever lourdement l’équilibre du cartel pétrolier d’origine britannique. L’étincelle qui allumerait une extraordinaire révision des “relations spéciales”, dans une crise particulièrement dramatique, pourrait être la concrétisation d’une menace directe contre l’existence même de BP. Les Russes, qui ont un intérêt spécial au maintien en vie de BP du fait des contrats d’investissements importants de BP en Russie, sont très pessimistes sur l’avenir du cartel, et ils soupçonnent même Washington de vouloir explicitement la destruction de BP. (Il y a eu des rumeurs de renflouement et de reprise de BP par des cartels russes, ce qui constituerait l’injure suprême faite à l’honneur et à la puissance britanniques, directement à cause de l’attitude américaniste.)


Mis en ligne le 19 juin 2010 à 14H28