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168125 septembre 2008 — Relevons ces divers échanges entre Paulson, Bernanke & compagnie devant le Congrès, mercredi après-midi, leur impuissance à convaincre les parlementaires sur l’instant, la bataille qui se livre entre des appréciations divergentes mais toutes entières structurées autour de l’attitude psychologique du citoyen des USA, également électeur, précisément dans cette année des élections présidentielles et de renouvellement d’une partie du Congrès. (Les gros bras savent parfaitement de quoi ils retournent, comme nous en informe un lecteur ce 25 septembre sur le Forum, citant Bernanke qui répond à une question sur des formules alternatives du plan Paulson, par exemple son découpage en tranches, – mais avec effet réduit garanti: «Vous me demandez mon avis en tant qu'économiste. Malheureusement, c'est une question de psychologie.» Dont acte.)
(Les références vont notamment à divers articles tels que collectés et référencés dans notre Forum par des lecteurs obligeants, ce même 25 septembre. Nous les en remercions.)
Nous nous appuyons sur ces observations du Washington Post, effectivement du 25 septembre. On comprend qu’il est question de l’attitude du Congrès vis-à-vis du plan Paulson.
«“The Paulson proposal has not gotten the traction required to complete this process by the end of the week,” said Rep. Adam H. Putnam (R-Fla.), the third-ranking Republican in the House.
»Paulson and Federal Reserve Chairman Ben S. Bernanke tried to change that yesterday during appearances before two congressional committees. But the former Wall Street dealmaker and the former economics professor struggled to paint a vivid picture of the harm that would befall the economy if the bailout was not approved.
»At one point, Rep. Steven C. LaTourette (R-Ohio) pleaded with them to explain the crisis in terms a factory worker relaxing on his couch could understand.
»“In order to accept this plan, he needs to be more scared,” LaTourette said. If Congress doesn’t act, “I need you to tell this guy on the couch what happens to him. Is he going to be out of a job? Is his credit card going to work? Can he buy a car? Is his daughter going to go to college?”
»Paulson replied that the guy on the couch should be scared. “But I think right now he's angrier than he is scared.
»“It puts us in a difficult position,” Paulson continued, “because no one likes to be painting an overly dire picture and scaring people. But the fact is, the financial markets are not stable, and the situation can be very severe as it relates not just to his current situation, but to keeping his job” and preserving his retirement accounts.
»By midday, it became clear that Paulson and Bernanke were not getting the job done; the president would have to deliver the message in person.
»In his national address, Bush used the sort of everyday terms that lawmakers had been seeking to describe the potential collapse.
»He warned that community “banks could fail,” that another stock market plunge would “reduce the value of your retirement account,” that farmers would not get credit and that parents would not be able to “send your children to college.”
»In addition to easy credit, the president blamed mortgage-finance giants Fannie Mae and Freddie Mac for contributing to the crisis by borrowing “enormous sums of money” and fueling the market for questionable investments.
»“With the situation becoming more precarious by the day, I faced a choice: to step in with dramatic government action or to stand back and allow the irresponsible actions of some to undermine the financial security of all,” Bush said, noting that under usual circumstances his conservative ideology would have allowed markets to work their will.
»“These are not normal circumstances,” he said.
Ce passage est essentiel, où l’on entend Paulson nous dire que “ce type”, l’Américain moyen, vous et moi si l’on veut puisque la Grande république est universelle, “devrait être effrayé mais je crois que pour l’instant il est plus furieux qu’effrayé”. («Paulson replied that the guy on the couch should be scared. “But I think right now he's angrier than he is scared”…»)
Le soir même (hier soir), GW, obéissant aux consignes, mobilise les écrans de TV pour tenter de terrifier les Américains. Il leur décrit une situation terrible si le plan Paulson n’est pas adopté, bref une description type Grande Dépression. C’est de l’action psychologique mais sans malice, à visage découvert, sans se cacher du but recherché; Bush disant aux citoyens presque à mots découverts: “Je veux vous faire peur parce que Paulson pense que c’est le seul moyen de vous faire accepter son plan et d’emporter les dernières hésitations des parlementaires qui rechignent”.
Il ne faut pas voir un complot, la manœuvre se fait à ciel ouvert. Il n’est pas question de tromper les citoyens US, le marché est sur la table depuis vendredi dernier; le plan Paulson est ce qu’il est et nul n’en est vraiment satisfait (Paulson lui-même: «I don’t like the fact that we have to do this. I hate the fact that we have to do this. But it is better than the alternative.»); pour l’heure, considérant la situation telle qu’elle est, il n’y a d’autres solutions que d’avaler l’énorme couleuvre du plan Paulson pour écarter ce que tout le monde craint comme la peste depuis vendredi dernier: le possible, sinon probable entraînement de la panique, la hantise de voir les files s'allonger à la porte des banques pour des retraits de liquidités en catastrophe. Mais ces manœuvres de pression psychologique ouvrent des voies paradoxales…
L’équipe Bush manœuvre dans des eaux déchaînées, dont elle a elle-même préparé et entretenu le déchainement. Un Steve Clemons, en général modéré, accuse avec fureur, aujourd’hui même, le président Bush de nous refaire le “coup de 9/11” à propos de la crise économique. Clemons a raison dans un sens, tout comme Bush n’a pas tort de soutenir à fond le plan Paulson dans l’actuelle situation d’urgence. Ils sont tous prisonniers du système et de ses terribles, de ses impitoyables contradictions internes.
Clemons: «Just after the September 11th terrorist attacks occurred, George W. Bush went before the nation and made the case that he needed unprecedented authority – budgetary and military – to take on the threats poised at the well-being and safety of the country.
»Now with the current economic crisis in the United States, Bush is yet again asking for unprecedented powers and budget.
»What happened after 9/11?
»We saw no-bid contracts given to firms like Halliburton. We saw $9 billion of U.S. taxpayer money “go missing” through the Coalition Provisional Authority. We saw abuses of power, the expansion of secrecy, and the promulgation of norms that seemed to be the very antithesis of what America stands for.»
Nous parvenons à une situation vraiment extraordinaire. Il faut garder à l’esprit la seule référence aujourd’hui acceptable, celle de la Grande Dépression et de FDR (Franklin Delano Roosevelt). Paulson, Bernanke et le Congrès nous y conduisent (bien que nous y soyons inclinés, certes) en sortant de leur chapeau l’argument ultime: la psychologie américaniste. Les citoyens goberont-ils ou non l’énorme couleuvre-Paulson? Et Paulson répond: non parce qu’ils sont furieux à l’idée de ce plan qui dispose de leur argent comme dans un bois, non parce qu’ils ne sont pas effrayés à l’idée de ce que sera la situation demain si le plan ne passe pas. D’où l’intervention de Bush hier soir, qui développe ce paradoxe de faire de l’“anti-FDR” complètement à l'imitation et dans l’esprit de l’action psychologique de FDR, en dramatisant la situation (mais très loin pour la forme du maître du domaine parce que Bush n’est que GW): “Soyez effrayés, mes chers compatriotes, ayez très peur, vite, la situation est très grave”.
(On l’a vu souvent sur notre site. Dès qu’il arrive au pouvoir en mars 1933, FDR monte une exceptionnelle dramaturgie de communication pour sortir les Américains de l’atonie dans laquelle les a plongés la Grande Dépression, la panique d’octobre 1929 puis l’angoisse de la crise, etc. Son travail formidable fut de sortir l’Américain de sa dépression, de sa peur paralysante. La grandissime phrase de FDR, – adaptée de l’écrivain Thoreau soit répété en passant, – dans son discours d’inauguration de mars 1933 est «We have nothing to fear but fear itself», – “Il n’y a rien dont nous devons avoir plus peur que la peur elle-même”. La contrainte où se trouve l’équipe Bush est, au contraire, de devoir convaincre l’Américain moyen qu’il a toutes les raisons d’avoir peur, pour lui faire accepter le plan Paulson...)
Voici cette extraordinaire situation où il s’agit de convaincre le citoyen US de la gravité extrême de la situation, ce qui est vrai au demeurant; alors que, depuis des années, depuis des décennies, depuis FDR après tout et jusqu’au virtualisme post-9/11, on travaille pour le convaincre, ce citoyen, que tout va bien après tout, que le marché et Wall Street veillent au grain, que l’Amérique est une puissance lumineuse et indestructible, qu’elle est “la nation indispensable” (selon Madeleine Albright), qu’elle est capable de relever les pires défis (jusqu’au diable fait barbu, Ben Laden et toute la bande), qu’elle est à la fois Hollywood et Wall Street, et l’American Dream. Voici cette situation extraordinaire où il s’agit de convaincre le citoyen US d’avoir peur, ce qui est assez habituel au pouvoir américaniste lorsqu’il demande au citoyen de soutenir ses efforts divers, militaires et financiers notamment, pour protéger l’Amérique qui va si bien, qui est une puissance lumineuse et indestructible que tout le monde jalouse et menace (la “narrative” officielle n’a jamais été avare de contradictions); mais il le fait dans la seule occurrence où cette peur est extrêmement et immédiatement dangereuse pour le système lui-même, – parce qu’elle peut se muer en panique, selon les circonstances, et précipiter la crise vers une situation économique et sociale incontrôlable. Voici cette extraordinaire situation où ce puissant pouvoir, cet arrogant establishment si habitué à manipuler le citoyen standard, se retrouvent prisonniers de la perception qu'ils ont des humeurs du même citoyen standard; «la dictature de la majorité», disait Tocqueville.
Mais on ne fait que la récolte de semailles qu’on connaît bien. Le système fonctionne sans aucun frein depuis des années dans le sens de la déstructuration sociale et psychologique, par des moyens divers de communication et de contraintes économiques. Il atomise les populations en détruisant les traditions et les liens sociaux, en attaquant toutes les souverainetés, il magnifie l’individualisme, la philosophie du consumérisme selon l’idée de la prospérité sans fin et sans frein. Aujourd’hui, il a devant lui des citoyens qui réagissent en consommateurs frustrés, furieux des contraintes qu'on voudrait lui imposer, sans le moindre sentiment de solidarité avec le système, – et pour cause; ou bien, si ces citoyens retrouvaient un sens de la solidarité, ne serait-ce pas, peut-être, sans doute, contre le système? On joue partout gros jeu, en ce moment, sur la scène du bazar du Nouveau Monde.
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