La Commission, une crise systémique

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En marge, dirait-on, du discours de Sarko devant le Parlement européen, le 16 décembre, le président de la Commission José-Manuel Barroso a défendu son institution, également devant le PE à Strasbourg. S’il l’a défendue, c’est qu’il la juge, ou la sent attaquée; c’est le cas, malgré toutes les choses sucrées, voire mielleuses, que Sarkozy a dispensées en public à propos de Barroso. Le panégyrique de l’“Europe des nations” fait par Sarko à Strasbourg a été effectivement, et assez justement on le comprend, ressenti par Barroso comme une mise en cause, voire une mise en accusation de la Commission. Délicat moment, alors qu’on arrive au renouvellement de la susdite Commission et que Barroso voudrait bien se succéder à lui-même.

Au «Il faut des Etats forts pour avoir une Europe forte, cette leçon de la crise doit nous servir» de Sarko, impliquant indirectement que la question du pouvoir européen est un rapport de forces, Barroso a répliqué, assez timidement mais fermement: «[Au cours des derniers mois], la Commission a confirmé qu'elle reste un levier indispensable… […E]n Europe, on n'est pas plus fort parce que d'autres sont plus faibles.» Cette profession de foi qui n’est théoriquement pas sans fondement, ne fait en réalité qu’exprimer le malaise Barroso-Commission reflétant une évolution qui semble irrésistible. Si le président de la Commission en arrive à dire autre chose que des banalités alors qu’il est à la pêche aux soutiens pour son deuxième mandat, notamment de la part des Français, c’est qu’il est très nettement sur la défensive, qu’il est attaqué de toutes parts, qu'il se sent mis en cause.

Effectivement, les rumeurs françaises ne laissent aucun doute sur le très peu d’estime où, à Paris, l’on tient actuellement la Commission et surtout son président; idem du côté allemand et du côté suédois, où cela est dit ouvertement, tandis que, du côté britannique, on n’est pas prêt à se battre pour le renouvellement du mandat de Barroso. Les reproches précis faits à la Commission sont de deux ordres: l’effacement, voire l’inexistence de la Commission durant les situations de crise, comme cela a été démontré durant la présidence française; la persistance acharnée, voire quasiment aveugle, de l’approche idéologique (ultra-libéralisme), notamment pour nombre de questions que soulève la crise, impliquant à chaque occasion une bataille avec les pays-membres qui réagissent, eux, de façon très pragmatique, voire opposée aux prescriptions ultra-libérales. D’une façon générale, la position française serait, à l’image de la présidence qui se termine, de reléguer la Commission dans une position très secondaire de “gardienne des traités” et d’outil technique pour traiter les problèmes, tandis que l’accent serait mis irrésistiblement sur l’approche inter-gouvernementale (importance des nations). Dans ce cas, l’importance du président de l’UE tel qu’il apparaît dans le schéma du traité de Lisbonne est d’autant plus grande. Les Français sont déçus par le comportement durant la crise de Jean-Claude Juncker, qui était jusqu’alors dans une bonne position de favori. On reparle d’une possible candidature Tony Blair.

Il faut séparer cette critique de la Commission de l’activisme gouvernemental français pendant les crises. Le comportement de la Commission n’est pas la conséquence de l’activisme français, qui aurait bridé l’activité de la Commission. Il est vrai que cette institution est dans une crise profonde de fonctionnement, une crise bureaucratique type. Elle travaille d’une façon extraordinairement cloisonnée, examinant les problèmes d’une façon très fractionnée et réductrice, et laissant le soin au conformisme idéologique de définir les positions générales. Ainsi décèle-t-on souvent des contradictions ou des insuffisances très fortes dans les analyses, avec, par exemple, une Commission figée dans une attitude anti-russe extrêmement dogmatique. Le même dogmatisme et le même fractionnisme ont empêché la Commission de voir venir la crise puis d’en apprécier l’importance. Aujourd’hui encore, la Commission est incapable de prendre la mesure de la crise, notamment ses caractères systémique et global. Il ne faut pas voir dans ces positions une attitude idéologique active, dans la mesure où la position idéologique qu’on a rappelée plus haut fait partie du conformisme obsolète (doublement conformiste!!) auquel elle se réfère, par simple paralysie de la pensée découlant de l’absence de capacité de synthèse des nouveaux événements. La crise de la Commission est une crise typique d’une bureaucratie énorme, enfermée dans ses cloisonnements, sans aucune unité d’action, éclatée avec des nominations imposées par les quotas correspondant aux 27 Etats-membres, sans direction et, par conséquent, sans aucune capacité de réaction sérieuse. Cette crise tient beaucoup moins dans la qualité du personnel, qui se révèle parfois remarquable, que dans l’inorganisation complète, ou, plutôt, une situation qui aboutirait de facto à ce qui semblerait être une contre-organisation, empêchant toute démarche d’analyse et de synthèse originale, intégrant de façon fructueuse les différents apports du système, voire même luttant contre de telles démarches. Il s'agit d'une crise bureaucratique de système, une “crise systémique” selon le terme aujourd'hui omniprésent.


Mis en ligne le 18 décembre 2008 à 11H58