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24 novembre 2006 — Un expert israélien donne quelques avis catégoriques sur la situation washingtonienne. Son apport est intéressant, non seulement dans le détail mais également, mais surtout dans l’atmosphère générale qu’il permet de fixer, pour contribuer à tenter de comprendre la situation US (bien plus qu’irakienne) dans toute sa complexité.
Le témoin et les circonstances d’abord: «Giora Romm, senior researcher for the Jewish Institute for National Security Affairs, [speaks to] a forum attended by members of the Foreign Ministry and delegates from the American Jewish community in Jerusalem Tuesday [21st November].
»Romm was a former Air Force pilot, Assistant Director of IDF operations, defense attache to Washington and a former head of the Jewish Agency. He recently returned from Washington…»
Romm a fait quelques remarques sur la situation à Washington. Elles concernent essentiellement les “projets” de Washington vis-à-vis de l’Iran, — après avoir dit un mot sur le “poids” que fait peser la situation irakienne sur l’establishment américaniste («“Iraq is sitting very heavily on them,” Romm said, adding that the problems of the Iraq war have robbed President Bush of any credibility.»)
Voici ces remarques, extraites d’un rapport du site israélien Ynetnews.com, en date du 22 novembre:
«Quoting a senior American official, Romm told the forum, “If Bush does something physical to Iran, he will be impeached.”
»“Bush has no military credit. Don't delude yourself by thinking that Bush has a military option (regarding Iran). I don't think the average American is convinced that his country is in danger (from Iran), and isn't moved by dangers in the Middle East. After 3.5 years in Iraq, he won't be convinced by wishy washy intelligence,” Romm said.
»He added that the same source, from the Democratic Party, said, “If there isn't a change in Iraq within six months, I'm told, people will take to the streets like in Vietnam.»
»Speaking to Ynetnews, Romm said he “could see a situation where we would attack Iran and the United States won't, but I can't estimate that now.”»
Washington est “pris au piège” (comme dit Kofi Annan), non seulement dans la réalité irakienne mais également dans son appréciation de la situation générale faite de craintes et de nécessités. Les mâchoires du piège sont clairement identifiées désormais.
• D’une part, il y a ce constat extrait d’un texte de WSWS.org du 23 novembre, qui implique que tout retrait d’Irak doit s’effectuer en position de contrôle de la situation, en situation paradoxalement victorieuse: «The only certainty [in Washington] is that all sections of the Republican Party and the Democrats are united in their resolve that the insurgency cannot be seen to have won — raising the immediate prospect of worsening violence and bloodshed, rather than a let-up in hostilities.» L’idée étrange est bien que l’engagement US dans le piège irakien pourrait s’accroître pour prétendument permettre un désengagement “dans la dignité” (c’est le terme qu’on emploie à Washington) d’une apparence victorieuse. Il faudrait aviser les insurgés et autres résistants du sens de la manoeuvre.
• D’autre part, il y a cette remarque particulièrement importante dans les confidences de Romm, venue de source démocrate, qui exprime une crainte générale à Washington: « If there isn't a change in Iraq within six months, I'm told, people will take to the streets like in Vietnam.» On commence donc à envisager des remous populaires aux USA mêmes, ce qui est pour Washington la pire des menaces.
Ce dernier point est renforcé par l’appréciation que donne Romm de la position de GW, de son manque de “crédibilité”, — nous dirions: “manque de légitimité”, — notamment pour lancer une attaque contre l’Iran (mais aussi pour le reste). C’est une observation intéressante mais qui concerne une situation complètement surréaliste dans le contexte actuel. GW pourrait-il songer à une attaque contre l’Iran dans l’imbroglio et l’affaiblissement où il se trouve?
(Pourtant, certains répondent “oui”, au contraire de Romm, — comme Seymour Hersh, par exemple. Mais ils répondent “oui” dans un contexte désespéré, où l’argument de l’absence de “légitimité” de GW n’a plus guère d’importance parce qu’il s’agit d’une décision prise selon des références complètement virtualistes. Dans ce cas, la “légitimité” s’invente, si elle n’existe pas. Quant à l’empeachment à suivre, c’est possible, mais cela ne serait qu’un élément de ce qui serait devenu, après l’attaque de l’Iran, un immense désordre.)
La situation ne cesse de se radicaliser, et les deux termes de cette “alternative du diable” se radicalisent, eux aussi. Il est vrai que la situation en constante aggravation en Irak, — celle qui nécessite un retrait US, justement, — rend paradoxalement de plus en plus difficile un retrait US, essentiellement à cause de la perception grandissante à Washington qu’un tel retrait serait pour les USA une humiliation épouvantable. C’est certainement l’argument qui freine de plus en plus une recommandation claire de la commission Baker (l’ISG), — un ISG de plus en plus déchiré par les contradictions.
Les mêmes esprits sont habités par la crainte grandissante, à mesure du blocage grandissant pour une décision de retrait, d’une réaction populaire aux USA. Il s’agit encore, avec ce constat, d’une appréciation de la psychologie washingtonienne. Néanmoins, et c’est là que l’intervention de Romm est intéressante, c’est la première fois qu’on l’entend explicitée de façon aussi claire, et venant de chez les démocrates qui sont 1) les mieux informés à propos de la perception de la naissance de cette sorte de mouvement, et 2) les plus habilités et les plus habitués à contenir cette sorte de mouvement, en le canalisant, le contrôlant, etc., — ce que, manifestement, ils n’espèrent pas arriver à faire.
On a ainsi une indication claire du jugement des milieux démocrates; l’indication que, pour eux, leur victoire triomphale du 7 novembre implique des exigences peut-être explosives du public, qu’ils craignent manifestement de ne pouvoir rencontrer.
Alors, menace populaire ou non? Nous serions tentés de répondre que cela importe assez peu. Dès lors que la crainte de cette menace est dans l’esprit des dirigeants politiques, tout se passe comme si cette menace existait. Nous sommes dans le monde virtualiste washingtonien. Pendant quelques années, le virtualisme a joué dans un sens favorable au régime, en affirmant des ambitions et des prétentions extravagantes par rapport à la réalité. Il contraignait la réalité d’une façon qui s’est avérée insupportable. Le processus s’est heurté à la réalité, il s’est cassé durement les dents.
Nous découvrons ou allons découvrir la loi inverse du genre. Dès lors que la situation se dégrade, l’“esprit virtualiste”, ramené de force à cette réalité et gardant ses vieilles habitudes, est prompt à inventer des menaces correspondantes. Il se pourrait bien que la loi du genre s’inverse parce que “le pire est toujours possible” (ce pourrait être la devise de notre temps psychopolitique) et qu’effectivement l’“esprit virtualiste”, dans ce cas, épousant la réalité puisqu’il suit la tendance à laquelle il s’est heurté, risque d’en accélérer les effets. A imaginer et à craindre des réactions menaçantes, on se met en position de les susciter effectivement. Le désarroi, parfois la panique de l’establishment sont aujourd’hui des facteurs dominants de la vie politique américaniste. L’opinion publique sent cela. Peut-être sent-elle que, pour la première fois depuis l’invasion de l’Irak, et après en être elle-même revenue, elle se trouve dans une position psychologique de force.
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