La connivence Covid-wokenisme

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La connivence Covid-wokenisme

18 mai 2021 – L’on sait bien l’importance que j’attache aux événements regroupés sous le nom de “wokenisme”, et dont on doit dater le début dans leur phase paroxystique à la mort de George Floyd à Cincinnati, le 26 mai 2020, prolongée par l’élection présidentielle US dont on sait toutes les péripéties. C’est l’un des deux piliers crisiques fondamentaux d’une année, 2020, qui ne l’est pas moins. L’autre, premier chronologiquement dans l’année, n’a  pas besoin de longues présentations : c’est la pandémie Covid19.

Je n’ai cessé de faire un rapprochement, sinon un lien entre les deux événements qui semblent pourtant de natures différentes mais qui sont effectivement, souvent inconsciemment, rapprochés l’un de l’autre dans une profonde intimité. J’y vois d’abord une complémentarité crisique qui fait que leurs effets s’additionnent selon le principe du globalisme, – où l’effet général (“global”) est supérieur à la seule addition quantitative des deux effets spécifiques, et de nature qualitativement différente. Devant ce qui est pour moi une évidence, il m’apparaît d’un intérêt constant de chercher à déterminer plus précisément ce qui les lie, à part les hypothèses évidentes mais imprécises ou vagues qui flottent dans l’air du temps.

(La similitude chronologique cela va de soi et n’a nul besoin d’explication puisque n’expliquant rien ; tout autant allant de soi et s’expliquant d’eux-mêmes, les inévitables complots en tous genres pullulant comme les algues dites Sargassum de la Mer des Sargasses et paralysant autant la pensée que la navigation.)

D’une façon plus précise et toute intuitive, je ressens comme une évidence combien les deux événements entrent dans un alignement crisique, – comme l’on dirait d’un alignement des planètes : la dynamique crisique [la Grande Crise] donne l’alignement et les événements [les planètes] y prennent leur place. Littéralement, ils entrent dans une vaste figure métahistorique déjà construite, qui est ce qu’on peut maintenant apprécier comme la forme d’une accélération peut-être finale de la Grande Crise d’Effondrement du Système (GCES).

(Une crise d’effondrement de cette ampleur doit être construite avant même que les événements qui sont supposés l’exprimer n’existent : la Grande Crise préexiste nécessairement aux événements crisiques.)

Tout cela posé, il devient intéressant de trouver un lien indirect mais puissant émanant du climat créé par cette Grande Crise, et l’alimentant en même temps, comme l’on dirait de vases communicants. Pour mon compte, la recherche est à pousser du côté de deux grands domaines qui sont les principaux acteurs de cette Grande Crise, manifestement depuis le 11 septembre 2001 : la psychologie et le système de la communication.

Dans son livre excellent sur “La guerre des idées, Enquête au cœur de l’intelligentsia française”, Eugénie Bastié a choisi comme titre de sa conclusion « L’adieu à la vérité », rappelant dans le texte que le dictionnaire Oxford salua en 2016 le mot de récente facture “post-vérité” (“post-truth”), comme “mot de l’année”. La “post-vérité” qualifie excellemment l’état de cette civilisation agonisante, décrivant une situation arrivée à maturité durant les années depuis 2016 jusqu’aux agitations postcoloniales et wokenistes du temps courant. Il est désormais acquis que les acteurs du Système ont remplacé la Vérité par le Bien (chacun le voit comme midi à sa porte).

Il est vrai, – c’est là “ma” vérité-de-situation puisque je ne prétends nullement au Bien qui me soit propre, – il est vrai que cette phase de liquidation a débuté avec le virtualisme et les déclarations de Rumsfeld fin 2001. Le secrétaire à la défense US d’alors nous annonça que l’administration Bush, se considérant en guerre et jugeant que le monde devrait s’en arranger, s’abstiendrait désormais de dire la vérité en disant des mensonges qu’elle jugerait être les reflets du Bien dont elle détenait évidemment seule l’accès.

(Je précise que je jugeai aussitôt que cette situation, difficile sinon insupportable à vivre, constituait pourtant un grand progrès, – c’est ma fameuse contradiction entre tactique et stratégie. Au moins le masque était-il tombé, pour ceux qui ont assez d’attention pour noter ce genre de choses, et l’on savait sur quel pied danser, qui ils étaient et comment ils fonctionnaient. Certes, on s’en doutait depuis longtemps sinon toujours, mais ce doute était justement troublant et entretenait une sorte d’ambiguïté qui vous faisait parfois prendre leur Bien pour la Vérité. Désormais nous étions fixés : tout ce que dit une de ces personnes est présumé mensonger, et ensuite l’on peut si l’on veut ouvrir une enquête pour la possibilité d’une vérité-de-situation qu’ils auraient laissé échapper par inadvertance et sans la moindre conscience de l’impair.) (*)

Depuis cette époque qui inaugurait nos temps nouveaux, la cascade des événements, avec l’accélération de la communication et l’exacerbation de la psychologie a été si puissante qu’on s’étonnerait d’avoir attendu 2016 pour proclamer la post-vérité. A cette lumière comme à celle des remarques faites plus haut, j’en viens par conséquent à l’hypothèse que les deux événements, – Covid et wokenisme, – sont liés par une semblable et extraordinaire démonstration, dans des domaines fondamentaux et à une échelle globale (de la planète), de la manœuvre du complet effacement (“to cancel”) de toute possibilité de rencontrer une vérité-de-situation fondamentale qui existerait bel et bien ; je veux dire, celle qui se décrit elle-même comme l’échec complet de la modernité, – soit par la possibilité devenant de plus en plus probable de l’effondrement de la connaissance (la science) comme clef magique de notre futur, – soit par le rejet absolu de l’évidence du jugement maîtrisé  et éclairé pour se réfugier dans la démence des libertés folles et le sacrifice de toute tolérance à l’égard de qui songerait à profiter de sa liberté à lui pour émettre quelques réserves.

Il s’agit d’une interprétation des deux événements, hors des réactions épidermiques, furieuses, stupéfiées, etc., qui ont certes leur place dans la compréhension des choses et pour d’autres domaines d’analyse, mais qui doivent ici céder la place à la recherche des causes dissimulées souvent d’une façon inconsciente, et tout aussi souvent d’une façon hystérique correspondant généralement à l’épisode maniaque du maniaco-dépressif.

• Pour le Covid, la dissimulation porte sur l’échec complet de la science (la médecine) à maîtriser la pandémie selon le comportement qui lui est courant, c’est-à-dire d’une façon magistrale et irrésistible recouverte d’un vernis d’“humilité scientifique” [article en vente dans toutes les bonnes universités]. Il s’agissait de ce petit virus invisible (pourtant détaillé comme redoutable par nos “sachants”, – il faut bien se faire valoir) dont la puissance et l’excellence de la science moderne sans cesse portée à ses sommets ne devaient faire qu’une bouchée.

On a déjà vu cet aspect de la chose dans un texte où il était rappelé que cette fois, avec le Covid et après l’“échec” d’une réaction scientifique puissante et efficace lors de la grippe de Hong-Kong de 1968, on ne se laisserait plus faire, – « cela ne se reproduira plus » [et j’avoue goûter comme il se doit l’emploi du “plus” définitif au lieu du “pas” réduit à un coup] :
« ...Il y a cette phrase déjà reproduite, d’une sommité sanitaire, qui n’indique nullement un désir de dictature sanitaire mais exprime la force d’un hybris sanitaire nourri au système du technologisme, – Hippocrate bien loin dans la poussière...
» “Nous avons été pris lors de la grippe de Hong-Kong alors que nous pouvions riposter avec notre technologie déjà disponible ; cela ne se reproduira plus. »

On connaît la suite, qui n’est pas glorieuse, et qui n’est pas finie... L’aveu même de cette dissimulation sans succès pour ce que je peux en juger se trouve dans la tendance naturelle qui a été développée et encouragée, de faire de la lutte contre la pandémie un article de foi, une véritable religion, – et le public lui-même, qui est un croyant de la modernité par éducation et docilité, participant peu ou prou au subterfuge par impossibilité de trouver une alternative. On voit aisément que cette crise a, devant l’échec confus et bavard de la science, débouché sur cette dimension quasi-religieuse, qui est entièrement du domaine de cette perception de l’effondrement de la connaissance. (**)

• Le wokenisme, dont on parle beaucoup sur ce site, et moi pareillement, est une dynamique désormais hors de tout contrôle. Pour mon compte, je ne place pas la question de l’antiracisme, ou du racisme, au centre de l’événement. Elle est un moyen, un outil, une “façon de faire”, une représentation du remplacement  du Vrai par le Bien. De même, et cela essentiellement aux USA (mais ces remarques valant pour le reste avec des nuances de tournure), je ne verrais certainement pas les Noirs comme étant les instigateurs de l’événement ; bien au contraire, et d’ailleurs certains (Noirs) s’en doutent plus qu’à leur tour, utilisés comme symboles vertueux, voire comme “outils utiles”, par une pseudo-aristocratie américaniste et progressiste, en majorité assez blanche et vertueuse (le Bien), voulant accomplir le rêve moderniste de l’égalité, de la domination de la nature des choses et de la transformation des êtres.

C’est le “radical chic” (selon Tom Wolfe) des milliardaires dits-“libéraux”, haute bourgeoisie et monde artistique new-yorkais, et ceux d’Hollywood, qui appuya la dynamique de la discrimination positive et du politiquement correct (PC) touchant autant le monde universitaire que le monde de la communication, avec les divers mouvements de la diversité et des genres. Tout cela était enrobé d’un superbe corpus philosophique qui donna une formidable cohérence intellectuelle, dans le sens le plus fort de la déconstruction, avec la  French Theory des philosophes français occupant des place-fortes universitaires dans les années 1970 ; à cet égard, leur rôle fut essentiel pour le vernis intellectuel donnant une sorte de légitimité à la chose.

Mais ce qu’on voit avec le wokenisme, mot et concept définissant le phénomène depuis l’automne 2020, c’est l’emballement absolument irrésistible de ce mouvement, mélange de liberté transgressive radicale et d’intolérance absolue pour le reste, en une dynamique subversive et invertie que plus personne ne peut contrôler. On a distingué ici et là les prémisses de la phase finale que nous voyons aujourd’hui, notamment avec le professeur Weinstein, obligé de démissionner de l’université d’Evergreen pour avoir défié un des premiers événements-woke radical :
« Ma femme et moi avons eu le sentiment d’être aspirés, en mai 2017, par une tornade qui ne nous a toujours pas redéposés au sol ! [...] On a eu le sentiment d’avoir fait face à la tornade trois ans avant les autres. Ce qui veut dire que nous avons vécu une sorte d’avant-première du chaos qui venait. Evergreen est aujourd’hui partout ! »

Il est impensable de freiner, de réguler, de contrôler un tel mouvement qui débouche aujourd’hui sur une sorte de démence collective et s’abîme dans les outrances d’un domaine d’une sorte de bêtise-métahistorique. Ce n’est pas tant que l’on ne puisse pas essayer, mais plutôt qu’on ne le veut pas bien autant qu’on ne le peut parce que, comme dans le cas du Covid, ce mouvement figure désormais comme une dissimulation de l’impasse où conduisent certaines consignes (ils disent “valeurs”) essentielles de la modernité, dont l’égalité de toutes les façons et sous toutes ses coutures. L’égalité est le produit de la même connaissance dans la modernité déjà-vue pour le Covid, mais absolument dans sa dimension sociétale renvoyant à la morale et au Bien. Il y a donc, – paradoxe apparent, – une logique certaine à vouloir laisser perdurer, comme le “laisser-faire” du néolibéralisme, jusque dans le chef d’une grande partie des dirigeants politiques et économiques, capitalisme et Big Tech compris, une dynamique qui a dépassé son radicalisme et se déchaîne absolument dans la démence (“logique de la démence”, finalement). Il n’est pas question un instant, dans le chef de celles et ceux qui ont financé et adoubé cet étrange phénomène, d’en faire le procès puisqu’il importe d’abord de le suivre et de l’acclamer pour la sauvegarde de la modernité.

Effectivement, il y a là deux simulacres géants, chacun à sa façon, selon des domaines très différents, mais selon la même logique de sauvegarde de la modernité. Contrairement à l’idée trompeuse d’une bataille entre deux factions, deux conceptions, deux “partis”, entre “eux et nous”, il y a essentiellement un immense effort de la cohorte des dirigeants-Système, – exécutants, porte-flingues et porte-plumes, messagers, croyants-et-sachants, curés du culte-psalmodié, présidents diversement décorés, – pour renforcer et recoudre sans cesse les simulacres qu’on a décrits, sans cesse et de plus en plus menacés de se déchirer comme deux énormes zeppelins blessés à mort, et montrant alors leur vide terrifiant, hydrogène déjà dissipé dans l’éther.

Il s’agit, dans le chef de ces vaillants archers du diable, de s’activer pour tenter d'empêcher l’effondrement par effritement ou par délitement de deux pans essentiels du Système/de la modernité mis en cause par les deux évolutions crisiques qu’on a vues. Ce sont des ravaudeurs de simulacres-zeppelins en train de se déchirer. Cette similitude de mission et de trajectoire témoigne de la similitude des croyances et des destins ; leurs rôles sont bien identifiés.

Notre rôle à nous, comme je le vois, se tient essentiellement dans la description constante des simulacres, la mise en lumière, la mise en perspective, la mise en cause, pour accroître sans cesse la tension nerveuse de la possibilité sinon la probabilité de l’effondrement, – question de “quand” plus que de “si”, – d’où sortira, à un moment ou l’autre, une échappée fatale pour eux. Alors, nous verrons bien.

 

Notes (abondantes)

(*) Voici ce qui est écrit dans le texte de présentation de l’article cité, à ce propos de notre attitude fin 2001-début 2002 :
« Nous voilà renforcés dans une attitude que nous définissions il y a un peu plus d’un an, au sortir de la guerre d’Afghanistan. Nous disions que l’information, aujourd’hui, c’est du “chacun pour soi”, où les sources officielles sont encore plus suspectes que les autres puisqu’on nous dit officiellement que le but avéré de ces sources officielles est de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Nous résumions cette attitude par ce “chapeau” :
» “Nous autres, analystes, journalistes, hommes de l'information et du commentaire politique, nous sommes placés devant un monde étrange. (Cela, pour ceux qui s'en avisent.) II n'existe plus de réalité objective mais une multitude d'affirmations subjectives. A nous de trouver, au milieu de l'amas des mensonges-vérités, ce qui rend compte de la réalité du monde. Réflexions d'un enquêteur.” »

(**) Je trouve le signe de la durabilité et de l’entêtement de cette perception religieuse, – affreuse et impuissante caricature des exhortations religieuses contre les catastrophes sanitaires des Temps Anciens, – dans deux textes à plus d’un an de distance, et disant la même chose à des phases différentes, et portant sur des objets du culte différents : la religiosité à ses débuts avec le fétichisme du masque, la religiosité instituée par la marchandisation du spectacle et du simulacre à la gloire du vaccin :
• Helen Buyinski, le 23 avril 2020, sur la religiosité à ses débuts :
« Alors que la peur et l’incertitude se déploient autour de l'épidémie de Covid-19, représentée par un mal invisible pouvant se dissimuler n’importe où, les mesures de protection comme les masques ont pris un caractère talismanique, et une religion fondée sur la honte des “hérétiques” se développe.
» Incapables de voir l’“ennemi” microscopique et dépourvus de remède scientifiquement prouvé, ceux qui cherchent à se libérer du nouveau coronavirus n'ont plus que leur foi dans les mesures prescrites par les experts de la santé, – notre classe de prêtres scientifiques, – pour le tenir à distance. Tout cela jusqu’à ce que ceux qui s’opposent à la nouvelle orthodoxie soient désignés comme les boucs émissaires de la peste » ;
• la rédaction de RT.com le 17 mai 2021 sur “la religiosité institué par la marchandisation du spectacle et du simulacre” :
« La célèbre statue du Christ de Rio de Janeiro a été illuminée pour projeter un message d’évangélisation des vaccins, encourageant des personnes des kilomètres à la ronde à se mettre à genoux et à vénérer un autre sauveur, plus controversé.
» La statue, qui représente Jésus-Christ, les bras étendus, sur la colline de Rio, était ornée des slogans “les vaccins sauvent” et “unis pour les vaccins”. L’exposition était organisée par le sanctuaire Cristo Redactor et l’agence de publicité Ogilvy Brazil.
» Certains croyants n’ont pas apprécié le message, le jugeant blasphématoire. »