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1330Dans un même élan généreux, nous réunissons deux textes venus de deux esprits absolument respectables, quant à leur loyauté vis-à-vis du système, si vous voulez leur façon à eux de répondre à la définition d’un “honnête homme” américaniste (circa-XXIème siècle, à ne pas confondre du tout, mais alors pas du tout, avec circa-XVIIème siècle).
• D’une part, le sénateur républicain Judd Gregg, sollicité par Obama pour participer à son administration, qui avait accepté puis s’était finalement récusé et qui, c’est à noter, ne se représente pas en novembre prochain devant les électeurs. Gregg s’exprime dans une interview-vidéo du Financial Times, furtivement apparue en texte ce 25 février 2010 (nous craignons que cela soit devenu payant depuis, comme, parfois, sur dedefensa.org).
Nous laissons les explications techniques pour nous en tenir au principal, pour ces déclarations de Gregg: «The US is heading for a debt-driven “financial meltdown” within five to seven years, according to Judd Gregg, the outgoing Republican senator for New Hampshire.»
• L’autre “loyal esprit du système” convoqué à la barre des témoins est notre ami Loren B. Thompson, dont on a encore vu récemment une marque convaincante de l’évolution par rapport aux nécessités et impératifs du système. Le 22 février 2010, sur son site du Lexington Institute, Loren B. Thompson pose la question fondamentale de savoir si les USA ne sont pas entrés dans une “période d’instabilité politique” durable, qu’il envisage pour un bon demi-siècle en se référant à une thèse du professeur Turchin, de l’université du Connecticut.
«Remember the optimism with which Americans greeted the new millennium? Everything seemed to be going our way: the U.S. economy was nearly a third of global output, household net worth was rising fast and the federal budget was in surplus. Today, that era of hope seems far away. America's share of global output has shrunk steadily for ten straight years, job creation has averaged less than 1% annually, and the federal budget deficit has reached $1.5 trillion (over 10% of GDP). The political system seems paralyzed and pessimism is the order of the day.
»Fortunately, the current recession seems to be ending. But what if the decline we have seen in recent years is a secular trend rather than a short-term, cyclical phenomenon? What if the erosion continues for another decade, or two? Professor Peter Turchin of the Department of Ecology and Evolutionary Biology at the University of Connecticut thinks that is a real possibility. Turchin wrote a letter to the British science journal Nature that was published in the February 4 issue (page 608) arguing America and Europe are in the midst of a predictable, 50-year cycle that will generate political unrest and social decay for many years to come. He says that since the 1970s, the U.S. has seen “stagnating or declining real wages, a growing gap between rich and poor, overproduction of young graduates with advanced degrees, and exploding public debt.” […]
»I've never been a big fan of deterministic theories of human behavior, but Turchin's approach seems to capture many features of the current social landscape. His ideas also are a useful warning for leaders who wrongly assume that our political system can absorb ever-increasing levels of frustration without eventually failing. It is a hard thing to accept that we all share a common genome with Hitler and Caligula, and harder still to accept that the difference between our genome and that of chimps is only 2%. But the practical lesson of those facts is that no matter how well things seem to be going, the potential for chaos is always present. We need a political system that recognizes the fragility of our social arrangements, and is willing to compromise before tensions grow too great.»
@PAYANT …Que signifie donc Loren B. Thompson avec sa dernière phrase: «We need a political system that recognizes the fragility of our social arrangements, and is willing to compromise before tensions grow too great.», – sinon de suggérer l’idée que le système US, tel qu’il est et tel qu’il fonctionne, est trop générateur de tensions pour pouvoir résister longtemps à la période d’instabilité qui s’ouvre, – non, qui s’est d’ores et déjà ouverte? Dans l’esprit, nous rassemblons ce jugement avec celui de Gregg, qui juge comme inéluctable une “débâcle financière” (nous dirions un “effondrement financier”) d’ici 5 ou 7 ans (le délai nous paraît optimiste), parce que ces deux avis de personnalités du système, chacune à sa façon irréprochable vis-à-vis du système, émettent in fine l’opinion que la crise US n’est pas conjoncturelle mais structurelle.
La marque de ces deux jugements, de la part de deux personnages aussi caractéristiques, est que le sentiment général à Washington est en train d’échapper complètement au montage effectué au printemps 2009, l’offensive des fameuses “jeunes pousses” montée par Bernanke & compagnie. La narrative nous offrait la version d’une crise (celle de 9/15) jugulée, avec une reprise, certes pénible et, accessoirement, sans de réelles conséquences positives sur le chômage (confirmation : le chômage réel, – complet ou ce que l’appréciation convenue nomme “partiel”, – continue à augmenter et atteint les 20%). L’essentiel du récit était bien qu’on se trouverait sortie du tunnel pavé de mauvaises surprises d’une crise systémique pour se trouver sur la voie de la remise en place de ce même système.
Aujourd’hui, il apparaît qu’à Washington même (ne parlons certes pas du sentiment populaire, où l’affaire semble entendue), cette version est aujourd’hui complètement discréditée. La crise n’est plus identifiée comme sectorielle (financière et/ou économique), mais générale, avec des composants extraordinairement déstabilisants: une opinion publique devenue insaisissable et lancée dans un flux incontrôlable, avec des effets extrêmement déstabilisants sur le processus électoral (les élections partielles, celles de novembre prochain) et des événements statistiques qui ne le sont pas moins (montée au premier plan de la droite conservatrice de Ron Paul). La crise du déficit du gouvernement, du “centre”, est également un point très important, qui vaut bien plus que sa signification comptable et budgétaire, tant il vaut, dans cette circonstance, comme une rupture du “contrat” central unissant le “centre” à ses divers composants de l’Union. Il y a encore les diverses crises des aventures extérieures, qui perdurent et s’empilent, en aggravant régulièrement tous les aspects internes de la crise centrale. La crise du pouvoir (“Washington is broken”) est certainement l’élément le plus dramatique à cet égard, qui affecte le nœud central du système, qui est l’exercice du pouvoir.
En douze mois, une crise très clairement identifiée et donc jugée comme maîtrisable (la crise financière, avec des conséquences économiques) a complètement “éclaté” en une crise générale qui s’installe partout, à la façon de métastases, dans toutes les grandes activités du système et ne dépend plus d’éléments conjoncturels précis. Le système est donc en état de crise structurelle, ce dont nous nous doutions un peu, et cela est désormais de plus en plus accepté au cœur même de ce système. Il est en train de se former à Washington une “communauté de crise”, c’est-à-dire désignant ceux qui, de plus en plus nombreux, acceptent ce verdict de la crise structurelle. Cela ne signifie nullement que soit en train de naître une réaction, une riposte, une mobilisation, – quelle réaction? Quelle riposte? Quelle mobilisation? Cela fait presque dix ans que le système est en état hystérique de “réaction” de “riposte”, de “mobilisation”, contre des ennemis divers et variés, cela fait presque dix ans qu’on dit et répète que 9/11 fut l’occasion de tels spasmes violents, et le résultat c’est l’enchaînement de diverses crises conjoncturelles en un flux central qui est la crise structurelle.
Du coup, commencent à résonner des suggestions comme celle de Loren B. Thompson, qui n’est pas loin d’impliquer in fine la proposition d’une réforme radicale du système, notamment de ses rapports sociaux entre les oligarchies et les masses populaires. On pourrait penser qu’il s’agit d’une proposition contenant en théorie une certaine dose de gorbatchévisme… Cela n’est certainement pas pour suggérer qu’un tel parti se fait jour au sein de l’establishment (bien qu’il ne faille pas oublier que c’est de cette partie qu’est né le gorbatchévisme, préparé par une aile radicale de la nomenklatura qui s’est affirmée dans les années 1979-1985, – mais notre appréciation est que le système de l'américanisme n'est même pas capable de montrer cette capacité d'adaptation, – pas simple incapacité psychologique de forces bureaucratiques totalement enfermées dans un hubris inexpugnable). C’est pour prendre note qu’une telle pensée suggérée, effleurée, chez un personnage qui est un lobbyiste notoire d’une force du système comme l’est Lockheed Martin, nous donne une bonne mesure de l’évolution générale à Washington même.
Mis en ligne le 26 février 2010 à 15H40
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