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16 novembre 2003 — Face à Ariel Sharon, la gauche israélienne n’a pas été loin de montrer l’attitude des démocrates américains face à GW ; de même, de la part d’une bonne partie des intellectuels occidentaux et, le plus souvent, de la diaspora juive, malgré des opinions libérales complètement différentes de celles du Premier ministre israélien. Le réflexe national autant que le réflexe de solidarité juive ont formidablement aidé un homme dont chacun ne devrait pas ignorer qu’il est, par ailleurs, un militaire d’extrême-droite brutal et sans beaucoup de nuances.
Autre chose est la contestation qui se développe et prend des dimensions importantes, en Israël même, au sein de l’appareil de sécurité nationale. La dernière attaque anti-Sharon est d’une puissance extraordinaire, puisqu’elle est le fait de quatre anciens chefs de Shin Bet, le puissant service de sécurité israélien, notamment chargé de la lutte anti-terroriste. A eux quatre, ces hommes représentent une somme d’expérience et d’engagement dans la lutte anti-terroriste qui donne toute sa puissance à l’intervention :
• Avraham Shalom a conduit ce service de 1980 à 1986.
• Yaakov Perry l’a mené de 1988 à 1995, lors notamment de la première intifada.
• Carmi Gillon l’a mené de 1995 à 1996.
• Le Major Général Ami Ayalon l’a mené de 1996 à 2000, et il s’est rendu célèbre depuis par des pétitions en faveur de la paix et d’une approche négociée du problème palestinien.
Les critiques des quatre hommes sont radicales. Elles portent sur la forme de la politique suivie par Sharon face aux Palestiniens, c’est-à-dire sur la question essentielle, voire unique, à compter aujourd’hui dans le débat politique israélien. Le Washington Post rapporte de cette façon ce qui est largement plus qu’un incident, ce qui est désormais un fait politique majeur :
« The four, who variously headed the Shin Bet security agency from 1980 to 2000 under governments that spanned the political spectrum, said that Israel must end its occupation of the West Bank and Gaza Strip, that the government should recognize that no peace agreement can be reached without the involvement of the Palestinian leader, Yasser Arafat, and that it must stop what one called the immoral treatment of Palestinians.
» “We must once and for all admit that there is another side, that it has feelings and that it is suffering, and that we are behaving disgracefully,” said Avraham Shalom, who headed the security service from 1980 until 1986. “Yes, there is no other word for it: disgracefully. . . . We have turned into a people of petty fighters using the wrong tools.”
(...)
» The former security chiefs said they agreed to the two-hour interview — the first time the four have ever sat down together — out of “serious concern for the condition of the state of Israel,” according to Carmi Gillon, who ran Shin Bet in 1995 and 1996. Maj. Gen. Ami Ayalon, who headed the agency from 1996 until 2000 and is co-author of a peace petition signed by tens of thousands of Israelis and Palestinians, said: “We are taking sure and measured steps to a point where the state of Israel will no longer be a democracy and a home for the Jewish people.”
» Shin Bet is Israel's dominant domestic security and intelligence service, with primary responsibility for the country's anti-terrorism efforts. It often plans and directs armed forces operations that support its own activities, including raids into Palestinian towns and villages in search of alleged terrorists, assassinations of suspected militants and interrogation of suspects. The current Shin Bet chief, Avi Dichter, is one of Sharon's most trusted and influential advisers, according to administration officials. »
L’effet de cette prise de position explosive des quatre anciens chefs de la sécurité est d’autant plus grand qu’elle vient après de graves incidents, en Israël, entre des personnalités ou/et des officiers et des soldats de l’armée, et le pouvoir. Les deux principaux enregistrés ces derniers temps sont les suivants :
• Un refus collectif de pilotes de l’armée de l’air d’effectuer des missions dites “d’assassinats”. Cette affaire, qui s’est produite en septembre, a eu d’autant plus de retentissement que les pilotes israéliens constituent l’élite de l’armée.
• A la fin octobre, le chef d’état-major de Tsahal, le Lieutenant Général Moshe Ya’alon, attaquait la politique Sharon dans une interview au journal Haaretz. Il s’agit d’une action sans précédent de la part d’un chef d’état-major général, qui peut être ainsi résumée :
« Israel's army chief has exposed deep divisions between the military and Ariel Sharon by branding the government's hardline treatment of Palestinian civilians counter-productive and saying that the policy intensifies hatred and strengthens the “terror organisations”. Lieutenant-General Moshe Ya'alon also told Israeli journalists in an off-the-record briefing that the army was opposed to the route of the “security fence” through the West Bank. The government also contributed to the fall of the former Palestinian prime minister, Mahmoud Abbas, by offering only ''stingy'' support for his attempts to end the conflict, he said. »
Si l’on suit bien tous ces débats, toutes ces interventions aussi extraordinaires les unes que les autres, on comprend qu’ils constituent l’expression d’un sentiment de plus en plus majoritaire au sein des forces armées. Dans le Sunday Herald du 2 novembre, Robert Tait résumait le sentiment général par cette question « Is Israel losing its army? », suivie de ce commentaire : « With pilots refusing to attack Palestine, the top brass briefing against hard-line policies and outrage at conscription, the Israeli army is at crisis point. » L’affaire des quatre chefs de la sécurité intérieure ne fait que renforcer ce sentiment. L’impression est alors qu’Israël semble suivre une ligne parallèle à celle que suit l’administration GW à Washington : même type de gouvernement illégitime, favorisé par les circonstances ; même politique, même crise de cette politique...
Pour Israël, c’est bien clair : la seule contestation efficace du gouvernement Sharon ne peut venir que de cette puissante force qu’est l’armée et, d’une façon plus générale, le monde de la sécurité. Les événements de ces deux derniers mois sont significatifs : ils montrent que ce gouvernement et cette politique sont au terme de leur logique utile, voire de leur simple nécessité politique.