La coopération USA-Russie, ou le “changement de ton” comme façon d’être

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Il est entendu qu’on peut toujours soupçonner les mots et les déclarations de desseins cachés et d’intentions vicieuses. Le discours de Biden à Munich fut ainsi diversement interprété, selon l’humeur des uns et des autres. L’interview que donne William Burns, sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques, à l’agence Interfax, le 14 février, au terme de sa visite à Moscou, constitue un pas notable dans le sens de la conciliation (des USA avec la Russie). Le ton général est plus qu’arrangeant, il est systématiquement et absolument arrangeant. S'il y a des restrictions considérables concernant les positions US sur les divers sujets qu'aborde Burns, il est manifeste qu’elles sont dues à leur absence de finalisation, à la préparation d’une position arrêtée sur les divers sujets évoquées; l’exclusivité de leur annonce sera évidemment réservées à des dirigeants de haut niveau, notamment la secrétaire d'Etat Clinton; l’on en saura sans doute plus lors de la prochaine rencontre Clinton-Lavrov, début mars. Les termes de William Burns sont choisis par lui avec la plus grande prudence, ce qui donne d’autant plus de poids à l’intention générale d’arrangement qui est affichée.

Manifestement, Burns avait pour mission, à Moscou et aussi bien dans cette interview, de préparer le terrain en exposant une très forte volonté US d’arrangement, beaucoup plus clairement exprimée que par Biden. Par ailleurs, certains points sont d’ores et déjà affirmés. Voici quelques passages significatifs.

• Sur les intentions générales de l’administration Obama. «We do believe, as President Obama has emphasized, that we have before us an important opportunity to reset our relations on a more productive plane. In recent years, quite often our mutual frustrations have tended to obscure our mutual interests. And we believe it’s time to look ahead. That doesn’t mean that we won’t have differences or disagreements from time to time. But what it means is that we are committed to be trying to take advantage of this moment of opportunity and of the common interest between us.

»And what we need to do now together is to try to translate those good intentions and that positive rhetoric into practical progress…»

• Burns confirme l’intention des USA de lancer des négociations avec la Russie pour un nouvel accord START (l’actuel vient à échéance à la fin 2009) comportant des réductions importantes de l’arsenal nucléaire des deux puissances. Il ne confirme pas le chiffre considérable de 80% de réduction lancé par le Times de Londres, mais ne le dément pas non plus. Il reste dans le vague d’une position US non encore fixée (avec des débats en cours et sans doute des pressions du Pentagone pour ne pas réduire trop fortement) mais apporte la précision qu’Obama est personnellement engagé dans cette voie: «This is an issue – arms control issues, further reductions and control of the nonproliferation of nuclear materials – that President Obama takes very seriously. The president, when he was Senator Obama, visited Russia in 2005 when I was ambassador, precisely because of his very strong interest in these issues and his recognition that U.S.-Russian leadership is essential in the whole range of these issues.»

• Sur la défense anti-missiles en Europe (BMDE), Burns déroule les habituels arguments et ouvertures envisagées par l’administration Obama. Il est dit successivement que le déploiement doit continuer en fonction de son bon fonctionnement technique, de son coût “productif” et d’une évaluation de la menace censée le justifier, ce qui implique de très nombreuses restrictions; tous les pays concernés seront consultés, y compris la Russie; des options nouvelles seront envisagées, y compris une éventuelle coopération avec la Russie de façon à ce que le système, s’il est construit, “nous protège tous” (y compris la Russie).

«Well, as Secretary Clinton said earlier this week, when she met with the Czech foreign minister, we continue to consult closely with our partners in the Czech Republic and Poland. We certainly have heard Russia’s concerns about missile defense. We hope also that Russians understand that no U.S. president can afford a situation in which the United States is vulnerable to potential nuclear weapons on missiles from countries like North Korea or Iran.

»And as we pursue the issue of missile defense, we obviously have to take into account a number of factors – whether the system works and whether it’s cost-effective, and what’s the nature of the threat. If through strong diplomacy with Russia and our other partners we can reduce or eliminate that threat, it obviously shapes the way at which we look at missile defense. And we are also open to the possibility of cooperation with Russia, with our NATO partners on new missile defense configurations which can take advantage of assets that each of us has.

»We want to consult with our NATO partners, with Russia to see if we can develop a cooperative approach to missile defense that would protect all of us.»

• Sur l’extension de l’OTAN, Burns prend tous les aménagements d’usage, les consultations nécessaires, les droits des uns et des autres, pour conclure par ces deux phrases qui semblent clore pour un temps assez conséquent la question de l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN: «And it means that any country that wishes to be a member of NATO has to meet the requirements for membership. Today, Ukraine and Georgia are not ready for membership in NATO. Membership is a complicated and time-consuming process that deserves to be handled carefully.»

• La question de la base de Manas, au Kyrgyzstan, que les USA vont devoir évacuer, et dont le cas a été présenté par certains comme un argument central contre une évolution positive des rapports entre les USA et la Russie. (Voir l’analyse de George Friedman, de Stratfor.com, du 9 février.) Burns noie cette question dans diverses considérations arrangeantes et termine en revenant aux perspectives concrètes de coopération USA-Russie sur l’Afghanistan, en mentionnant le démarrage dans la semaine écoulée des négociations pour établir une voie de passage US en Russie, pour le ravitaillement des forces US en Afghanistan.

«As Secretary of Defense Gates said earlier this week Manas is important for our collective efforts to bring stability to Afghanistan but it’s not irreplaceable. We continue to engage the Kyrgyz leadership on this issue. But we are also looking at alternatives. And what we have discussed during our visit to Moscow, what will remain an important subject of conversation between the United States and Russia is our overall cooperation on Afghanistan. And I do believe that there is more we can do together to promote our common interest and stability in Afghanistan.

»And we’ve had a team of experts here earlier this week to talk about further cooperation, including how best to take advantage together of Russia’s offer of transit – of equipment and materials to Afghanistan.»

• Egalement significatif, le passage, en réponse à une question sur d’éventuelles bases russes en Abkhazie, et des rumeurs de bases US en Géorgie. Là aussi, les choses sont remises dans une perspective du meilleur arrangement possible, sans paroles abruptes, comme dans le cas de Biden, sur le refus de reconnaissance de l’indépendance des deux provinces sécessionnistes de Géorgie. Les considérations critiques de la position russe dans l’affaire géorgienne relève, du point de vue de la politique US du domaine, du “minimum syndical”…

«First, the United States has no plans for military bases in Georgia. Second, I don’t know the details of the reports that you mentioned about possible Russian bases. But if there were true, they would be inconsistent with the agreements that Russia signed last September with the French President. Most of the international community disagrees with Russia on the status of South Ossetia and Abkhazia. But we believe it’s important to have a peaceful resolution of differences. The Geneva process is a mechanism that all of us are engaged in. And we continue to support it. And we want to work with Russia and the others involved in that process to try to bring greater stability to the area.»

• Quelques mots tranchants sur l’adhésion de la Russie à l’OMC, dont certains (dont John McCain) voulaient faire de son refus une “punition” de la Russie suite à l’affaire géorgienne: «We support it. This is also in our interests.»

• Enfin, pour terminer, il faut noter la dernière question portant sur la “guerre du gaz” du début de l’année entre Russie et Ukraine, type de crise qui, normalement, déchaîne un torrent de critiques anti-russe sur la manipulation de l’énergie transformée en arme géopolitique. Burns botte en touche avec un sourire des plus amicaux, avec cette réponse directe à propos de la “guerre du gaz ”, bien loin des chicaneries idéologiques de l’époque Bush … «The reality is that today Russia is the world’s largest producer of oil and gas. The United States today is the world’s largest consumer. So it’s obvious that we should have a serious and sustained dialog on energy issues. It seems to me that this dialog ought to be based on the same principles that we all agreed to at the St. Petersburg G8 summit in summer 2006..»

On sort de la lecture de cette interview persuadé que la crise économique et financière aux USA pèse de tout son poids sur les épaules des nouveaux dirigeants, et influence toutes les orientations de politique extérieure. Avec la Russie, c’est l’évidence: tout faire pour pavenir à des arrangements entre connaisseurs, c’est-à-dire des arrangements où personne n’aurait à perdre la face.


Mis en ligne le 16 février 2009 à 05H39

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