La corde au cou sur la frontière russe

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La corde au cou sur la frontière russe

18 juin 2015 – Dans les années courantes de la Guerre froide, le terme de Reforger était bien connu des experts militaires. C'était un acronyme sophistiqué composé des premières syllabes des trois mots principaux d’une phrase signifiant “renforcement des forces en Allemagne” (“Reinforcing Forces in Germany”). Il s’agissait de grandes manoeuvres au début de chaque automne, où des forces US substantielles, en général autour de trois divisions lourdes (blindées notamment), étaient déployées en Allemagne pour une série d’exercice durant autour d’un mois. Le temps du déploiement, par air et par mer, était rapide, – autour d’une à deux semaines, – pour démontrer la capacité US à renforcer rapidement en cas d’attaque du Pacte de Varsovie, dans une première mesure d’urgence, le corps de bataille de l’US Army présent en Allemagne (autour de 250 000 hommes). Reforger était essentiellement fondé sur le pré-positionnement de quantités très importantes de matériels lourds en Allemagne, qu’il aurait fallu plusieurs mois pour transporter des USA en Allemagne s’ils n’y étaient déjà présents. La doctrine du “pré-positionnement” des matériels avait là tout son sens : les divisions transportées de toute urgence et très rapidement puisque “légères” par absence de ce qui les rendaient “lourdes”, trouvaient sur place leur matériel pour “s'alourdir” et être aussitôt opérationnelles.

C’est cette logique-là et cette technique qui sont transposées dans la décision du Pentagone de “pré-positionner” du matériel de guerre dans les pays de l’OTAN limitrophes de la Russie, – en Pologne et dans les pays baltes. La décision a été annoncée par la presse (New York Times, le 12 juin). Reprenant ces informations et le texte de RT, NewColdWar.org écrit notamment le 13 juin 2015, ceci qui nous montre que toute la population des élites-Système du domaine, “experts”-Système en tête, a été mobilisée pour fournir le chœur et la claque d’approbation de cette décision.

«After NATO initially expanded into the Baltic States in 2004, the permanent stationing of equipment and troops in these countries was avoided so as to consider Russia’s interests. However, as a result of the Ukraine crisis, NATO and the US have decided to bolster forces in the region, which they say is to send a clear message to the Russian government that NATO will defend its alliance members. “This is a very meaningful shift in policy. It provides a reasonable level of reassurance to jittery allies, although nothing is as good as troops stationed full-time on the ground, of course,” James G. Stavridis, a retired admiral and the former supreme allied commander of NATO, who is now dean of the Fletcher School of Law and Diplomacy at Tufts University, told The New York Times. [...] Mark Galeotti, a professor at New York University, who has written extensively on the military and security services in Russia was quoted by the New York Times as saying “Tanks on the ground, even if they haven’t people in them, make for a significant marker.”»

Les Russes ont réagi aussitôt à cette décision, qui constitue pour eux une violation explicite non seulement de tel ou tel accord, de tel arrangement, etc., mais de tout l’esprit des relations stratégiques et politiques entre la Russie et l’OTAN, entre la Russie et les USA, entre la Russie le bloc BAO, depuis la fin de la Guerre froide et l’effondrement de l’URSS. C’est aussi une mise en place structurelle de cette violation, qui s’inscrit dans le long terme et installe dans le fondement même, dans le cœur de la situation de ces relations, un événement à long terme. La forme du texte qui présente, dans le New York Times du 15 juin 2015, la position des Russes, nous avertit d’un autre événement sur lequel nous revenons plus loin... Il s’agit de ceci que la narrative totalement faussaire de la crise ukrainienne et de l’historique du comportement russe et du comportement de l’OTAN a été complètement intégrée dans le discours stratégique, et par conséquent dans les décisions stratégiques. C’est un point complètement fondamental qui, répétons-le, est considéré plus loin avec minutie parce qu’il constitue l’enseignement essentiel de l’événement que nos analysons.

Ce précieux enseignement recueilli, on peut alors s’interroger sur la mesure elle-même. C’est alors que l’obscénité de cette situation d’imposture de la vérité du monde devient par-dessus le marché absurde, et elle apparaît comme une sorte de fœtus mort-né, une fausse couche qui n’est même pas de père inconnu de la pensée militaire US. En effet, la mesure est à la fois provocatrice, contraignante, à la fois risquée et extrêmement faible et fausse stratégiquement, à la fois appuyée sur une situation politique structurelle et formelle, – l’intervention d’un allié de l’OTAN menacé au nom de l’Article 5, – extrêmement fragile et d’une incroyable vulnérabilité. Non seulement ces gens vivent dans un univers de complète fabrication où règnent l’arrogance, la suffisance, la certitude de soi, mais en plus ils sont à la fois irresponsables et professionnellement incompétents. Bref, l’OTAN, au nom de quoi la bureaucratie-Système du Pentagone a pris cette décision, est sans nul doute l’alliance militaire la plus incompétente techniquement dans toute l’histoire militaire. C’est déjà, certes, un titre d’exceptionnalité.

L’ancien analyste de la CIA Paul R. Pillar, qui est souvent critique de la politique-Système de son pays mais est bien loin d’être le plus virulent parmi la cohorte des anciens de la sécurité nationale US devenus critiques du Système, sinon antiSystème, publie un texte le 16 juin 2015 dans ConsortiumNews à propos de notre affaire. Il détaille les divers aspects de cette incompétence professionnelle et stratégique, en dérivant ce qui est une corde au cou stratégique que s’est passée l’OTAN (le Pentagone) avec cette décision.

«Prepositioning of equipment in Germany was another staple of Cold War logisticians, but that was part of a serious effort to facilitate U.S.-led resistance to any attempt by the Red Army to overrun Western Europe. The total stocks being considered for positioning in Eastern Europe would be about enough for a single brigade. Each of the three Baltic republics would be the location for equipment that would outfit a company of about 150 soldiers. It is hard to think of that in the same terms as the Cold War prepositioning. Probably one of the first things that would happen if Russia got aggressive against the Baltic states would be Russian capture of the prepositioned supplies.

»Russia has issued its own warnings in response to the reported U.S. plans. That is to be expected, but it may be only the first step toward a local arms race. Do not be surprised by Russian deployments along border areas that would make quick capture of prepositioned U.S. supplies all the more feasible if Russian troops were to cross more borders. A Russian general already has said as much. A fundamental and longstanding question underlying all of this is exactly what the United States would be willing as well as able to defend in response to any Russian aggression, or to serious military moves dressed up as something other than aggression.

»Questions were asked during the Cold War about whether Americans would be willing to risk New York or Washington to save Bonn or Paris. Such questions become all the more difficult to answer reassuringly when the subject is Riga and Tallinn rather than Bonn and Paris. The Article Five commitment in the North Atlantic Treaty still exists, but the imagined circumstances in which it could apply today, which might begin with little green men sneaking across a border, are far different from an imagined pouring of Red Army hordes through the Fulda Gap.

»Closely related to all this is how attitudes toward NATO obligations have evolved within member countries. In a new Pew poll, when asked “If Russia got into a serious military conflict with one of its neighboring countries that is our NATO ally, do you think our country should or should not use military force to defend that country?” majorities in three of the most important European allies — Germany, France, and Italy — responded “should not.” This amounts to a repudiation of the Article Five obligation to consider an armed attack against any one member state as an attack against all. In the poll, Americans expressed the most intent to live up to that obligation, with 56 percent saying “should.” But 37 percent of American respondents said “should not.” In light of such alliance-wide attitudes, it is fair to ask what NATO stands for today.»

En se mettant du point de vue du Pentagone, narrative complètement absorbée et digérée pour modifier la pensée dans le sens qu’on devine, la décision à prendre comportait trois options, de la plus accommodante à la plus dure : ne rien faire, pré-positionner du matériel, déployer des forces avec leurs matériels. La solution intermédiaire a été choisie, ce qui reflète la démarche intellectuelle habituelle d’Obama : en faire un peu, pour ne pas mécontenter complètement ceux qui demandent qu’on en fasse beaucoup, mais n’en pas faire beaucoup pour ne pas mécontenter complètement le fond-tout-au-fond de la pensée du président qui préférerait qu’on ne fasse rien. (C’est son adage préféré, qu’il a déjà énoncé une fois ou l’autre : “Si vous ne faites rien, vous ne risquez pas de faire des conneries”.) Maintenant, voyons ce que nous dit Pillar, en traduisant ses observations techniques et statistiques...

• Le pré-positionnement, qui était une mesure judicieuse du temps de Reforger, est ici une marque extraordinaire de stupidité et d’incompétence. Il a tous les inconvénients du pré-positionnement et aucune de ses vertus. Il constitue une attitude de provocation hautement visible (action sur la frontière russe) et techniquement très vulnérable (localisation du pré-positionnement évidemment identifiée, et qui serait la première cible, instantanément réduite en poussière par les Russes en cas de conflit). Ce pré-positionnement n’est protégé par aucune force valable (absence de forces US) et porte sur des chiffres exceptionnellement ridicules, notamment pour les trois pays baltes (équipements pour une compagnie de 150 soldats dans chacun des trois pays baltes) et de toutes les façons, ridicules par rapport aux forces russes.

• Tout le monde est prisonnier de tout le monde du côté du bloc BAO : les pays qui reçoivent de l’équipement deviennent, aux yeux des Russes, nécessairement des pays ennemis en cas de conflit sérieux (avec l’OTAN), puisqu’ils ont du matériel US délibérément pré-positionné contre la Russie, – alors que cette mesure ne leur assure en aucun cas l’intervention de l’OTAN et des USA en cas de conflit. L’OTAN et les USA sont politiquement prisonniers d’un engagement qui, loin de leur assurer un avantage militaire les met dans une position stratégique de haute vulnérabilité ; et une décision de non-intervention, ou bien le retrait du matériel pré-positionné, constituerait nécessairement une défaite politique majeure face à la Russie dans un affrontement dont ils auraient eux-mêmes fixé les conditions.

• ... En effet, cette incroyable incompétence militaire marquée par une légèreté stratégique stupéfiante, se fait au moment où des sondages montrent l’extraordinaire relativité de l’Article 5 (qui ne fait pas obligation aux pays de l’OTAN d’intervenir à l’aide d’un autre pays-membres, mais les y autorisent simplement). Les résultats des sondages publié par PEW et signalé par Pillar (voir pour des détails WSWS.org le 13 juin 2015 et le Sakerfrancophone le 15 juin 2015), pourtant selon des formes favorables à des réponses positives, enregistrent les résultats consternants pour l’OTAN qu’on a vus avec des réponses négatives dans trois pays européens majeurs de l’Alliance (l’Allemagne, la France et l’Italie). Les résultats US n’ayant que peu d’intérêt en raison de l’éloignement de la crise, de l’ignorance du public US et de sa volatilité incontrôlable si on s’approchait d’une possibilité d’intervention (on l’a bien vu en août 2013 avec la Syrie, lorsque l’opinion a basculé contre une intervention parce que celle-ci se concrétisait), l’ensemble non seulement décrédibilise l’OTAN mais surtout lui ôte toute légitimité. (L’OTAN n’étant plus, dans sa raison d’être, qu’une construction de communication, c’est donc de la communication que dépend sa légitimité complètement relative et artificielle. Ces sondages, qui sont de la pure communication, réduisent sa légitimité à zéro, vers une sorte de “Zéro Absolu” de la légitimité, lorsque le crédit se dissout en une masse informe en cours d’entropisation. Voilà ce que vaut l’OTAN aujourd’hui, coincé dans l’injonction du déterminisme-narrativiste avec quelques bouffons psalmodiant des discours de type fast-food.)

La stratégie a digéré la narrative, le mensonge règne

Cette situation extraordinaire a une cause fondamentale, déjà signalée plus haut parce qu’inscrite dans un texte intermédiaire et sur quoi nous revenons comme annoncé et promis. La forme du texte du New York Times du 15 juin 2015 déjà cité, présentant la réaction des Russes aux décisions US/de l’OTAN, – cette forme, disions-nous, “nous avertit d’un autre événement”. Ce texte, comme tout ce que publie le NYT sur les matières essentielles de sécurité nationale, et notamment sur (“contre”) la Russie, est une copie conforme de la forme et du fond de la position officielle, – tant le NYT est devenu un “copié-collé” du gouvernement US, donc du Pentagone, et au-delà et au-dessus, du Système. Le détail de la dialectique importe dans certains cas, comme une indication précieuse de ce qu’est réellement la position officielle ; dans ce texte, c’est particulièrement le cas, parce qu’il s’agit d’une décision stratégique à long terme qui reflète une position structurelle de la bureaucratie du Pentagone, – longue à être définie et absorbée, quasiment impossible à être changée de l’extérieur une fois qu'elle été absorbée.

Le phrasé de cet extrait du texte du NYT, ci-dessous, indique que “la narrative totalement faussaire de la crise ukrainienne et de l’historique du comportement russe et du comportement de l’OTAN a été complètement intégrée dans le discours stratégique, et par conséquent dans les décisions stratégiques”, écrivions-nous plus haut, également à propos de cet aspect de l’événement. En un sens, le déterminisme-narrativiste a parfaitement fonctionné (et continue à fonctionner) au niveau de la bureaucratie-Système du Pentagone, – et l'on comprend qu’ils étaient faits pour s’entendre (d'où le fameux Marions-les, marions-les, ils vont très bien ensemble» de Juliette Gréco, qui trouve ici sa justification). Certes, le déterminisme-narrativiste est désormais la seule vérité possible et la bureaucratie-Système du Pentagone, après avoir mis un peu de temps à comprendre (elle a le front bas), désormais ne se tient plus de joie ; elle connaît désormais “la seule vérité possible”, à partir de laquelle seront faites les analyses stratégiques et prises les décisions stratégiques ... Et cette narrative dit non seulement ce que la Russie a fait en Ukraine selon son point de vue qui rend le verdict de culpabilité tellement banal qu’il ne vaut même plus la peine d’être énoncé, et encore moins démontré, mais plus encore, la narrative dit que la Russie pratique d’une façon structurelle “l’agression contre ses voisins” (par conséquent non seulement l’Ukraine mais la Pologne, les États baltes, etc.) ; le plus remarquable est que cela est écrit “en passant“, sans insister, un peu comme l’on pisse si vous voulez, comme quelque chose de naturel tant la vérité est une chose naturelle du Pentagone, – ditto, dans la nature même du Pentagone...

«The deployment of advance equipment would be the first such move since the Cold War ended with the collapse of the Soviet Union in 1991. Russia’s annexation of Crimea and its continued military interference in eastern Ukraine — although it denies any direct involvement — have prompted fears in other countries bordering Russia about further military action or meddling. [...] Aside from aggression against its neighbors, Russia has renewed surveillance flights by military aircraft across Western Europe and in North America, prompting various games of chicken between planes patrolling the lines separating national and international airspace...»

L’on retrouve désormais partout ce type de dialectique, qui s’intègre dans les raisonnements rationnels, raisonnables, qui guident tous les écrits de sécurité nationale sous l’égide du Système. Ainsi de cet autre texte, également dans le NYT qui devient Notre-Bible à cet égard, c’est-à-dire Notre-Pravda, de Fiona Hill et Steven Piferjune, le 15 juin 2015. On y lit la description, les sourcils un peu froncés et le ton un peu sévère, mais tout de même avec la compréhension des experts en question non-orientée de stratégie, des “jeux dangereux” auxquels se livrent les Russes contre par exemple les vertueuses frégates US à quelques encablures des côtes russes, amicale proximité, et autres jeux du type “le premier qui cane” (“Game of Chicken”)... Les deux experts veulent bien comprendre ces manifestations d’une certaine affirmation agressive d’une Russie évidemment aux abois en rappelant les règles de la Guerre froide à cet égard où il était bon de montrer sa force. Des exemples justement de la Guerre froide sont avancés de ces réactions agressives des Russes, certains renvoyant d’ailleurs à une réelle expertise-de-nos-experts, par exemple lorsqu’ils mentionnent l’alerte de novembre 1983. («And, in 1983, a large-scale NATO nuclear forces exercise, coming just as U.S. Pershing missile deployments were about to begin in Europe, generated a full-blown war scare in Moscow that some historians consider as serious as the Cuban Missile Crisis», – en oubliant tout de même de préciser qu’au dernier moment Reagan, comprenant malgré tous les handicaps dont la nature l’avait chargé l’incroyable stupidité de faire un tel exercice au moment où les Pershing II étaient déployés, ordonna sa suppression [il s’agit de l’exercice Able Archer, voir le 21 septembre 2003].)

Ainsi donc se déroule l’analyse dont on se dit que, si elle est tout de même biaisée au désavantage des Russes lorsqu’on sait que les USA pratiquent cette sorte de provocations sans interruption depuis 1948-1949, elle reste néanmoins une approche acceptable, – lorsque soudain éclate la bombe de la narrative. Personne ne l’a vue venir, tant elle est parfaitement intégrée, tant elle coule de source sous ces plumes absolument acquises à son déterminisme dont ils ont compris que c’est la forme postmoderne enfin achevé du libre-arbitre ... Car nous passons des descriptions techniques de ces incidents au rappel de la vérité évidente, “en passant”, où l’action US contre la Russie sous forme d’“agression douce”, l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières russes, les appels au regime change en Russie et l'aide à l'opposition, les interventions du bloc BAO en Ukraine, cette guerre économique menée contre la Russie et ponctuée par des discours (un peu vite) triomphants d’Obama, etc., – où tout cela est classé comme narrative russe, fabrication russe, produit de la schizophrénie russe, comme allant absolument de soi – tandis que la prudence russe devant la folie-Système du bloc BAO, la façon qu’a Poutine de ne pas partir en guerre, ou bien sa fameuse “guerre hybride” qui marque simplement l’aveuglement des services de renseignement et autres des pays du bloc BAO (notamment avec la Crimée), cette “guerre hybride” qui réussit-mais-ce-n’est-pas-une-raison, toutes ces choses devenant des preuves évidentes de la faiblesse peureuse et fondamentale de la Russie-Poutine, et donc des preuves a contrario de son agressivité toujours plus et mieux démontrée, venant en plus de l’attaque contre l’Ukraine, de l’agression “contre ses voisins”...

Ainsi, les deux auteurs viennent-ils de nous annoncer que les USA et la Russie, dans la situation actuelle, vont se rencontre les 24-25 juin pour essayer de fixer des règles à ces jeux d’intimidation et de démonstration symbolique de force, – ce qui est une bonne chose, et prouve les vertueuses intentions de Washington D.C., qui veut éviter à tout prix les confrontations... Mais les Russes ? s’interrogent nos deux experts, avec une préoccupation à la fois étonnée et presqu’un peu attendrie : «What is not clear is whether Mr. Putin and the Kremlin would welcome this step. Mr. Putin presents himself as acting to protect his country and its independence. Russian officials have created a narrative in which the West seeks to overthrow the Putin regime by supporting Russian opposition movements, ruining the economy with sanctions, and rolling Russia back from dominance in its traditional neighborhood through the expansion of NATO and European Union institutional arrangements. Mr. Putin’s domestic popularity has become entwined with the annexation of Crimea and the war in Ukraine.

»This provides the backdrop for the more aggressive and seemingly irresponsible Russian military operations, like the SU-24 and Bear flights. Last year, an SAS airliner carrying more than 130 passengers narrowly averted a mid-air collision with a Russian military aircraft that had shut down its transponder and thus did not show on the radar of civilian air traffic controllers. Mr. Putin and other senior officials have deliberately employed bellicose rhetoric, even threatening the nuclear card. They appear to have taken a page from Thomas Schelling’s famous work on conflict behavior. They act a bit crazy in a way intended to intimidate NATO and the European Union. They resort to warmongering to convince the West that they are prepared to take greater risks.

»In spite of the saber-rattling, Mr. Putin and the Kremlin do not want war with NATO. Mr. Putin is not hell-bent on the destruction of Russia or his presidency in a nuclear exchange. But Russian security elites know they lack the economic and military resources for a major conventional conflict, so Moscow has to accomplish its goals without triggering total mobilization — through hybrid tactics and bullying, including threats of a nuclear strike...»

Ce que nous voulons mettre en évidence, bien entendu, c’est ce processus à la fois psychologique, avec la prépondérance d’un affectivisme curieusement bureaucratique, créant une sorte de “pavlovisme-orwellien” où le réflexe de Pavlov empêche de distinguer la méthodologie orwellienne, où la méthodologie orwellienne conseille de suivre les saines réactions du réflexe de Pavlov sans s’embarrasser d’explications, et ainsi de suite ; un processus où, d’ailleurs, il n’est finalement nul besoin de ces explications pavloviennes et orwellienne auxquelles s’attachent encore quelques esprits chagrins et solitaires, et hors-Système, puisque tout semble couler de source claire.

Le Système a complètement intégré la narrative, le déterminisme-narrative fait avancer les esprits au pas cadencé. Désormais, il a pénétré la sphère stratégique, sous la poussée complémentaire du group-thinking (voir le 30 septembre 2003 et le 27 octobre 2012) qui ordonne la conformité des pensées au modèle central où la narrative de l'infamie russe dans la crise ukrainienne trône triomphalement. La pensée-Système est désormais complètement retournée, et avec elle la stratégie, la politique et le reste. Rien ne modifiera l’attitude du Système. Ce n’est pas une mauvaise chose : désormais, les erreurs stratégiques auront la taille et le poids de l’énormité de la narrative qui infecte ces esprits qui n’ont plus la force psychologique de lui résister, qui n’ont plus la subtilité de percevoir la perversité de la pression du mensonge permanent, qui n'ont plus rien du tout face au Système...