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823Il y a eu déjà un nombre considérable de “crises” entre la Corée du Nord et les USA (la Corée du Sud “accessoirement”) depuis la fin de la guerre froide et la fin des espoirs de réunification, au milieu des années 1990. (Le blocage des tentatives de réunification fut dû pour l’essentiel d’entre elles aux machinations de sabotage des tentatives d’accord entre le Nord et le Sud, des bellicistes américanistes.) La crise actuelle est particulièrement “riche” parce qu’elle va loin dans la démonstration, et dans le sens, par conséquent, où elle offre un éventail important d’options opérationnelles et d’interprétations politiques, – options opérationnelles pour décrire les diverses possibilités de déroulement de la crise, évaluations politiques pour décrire les diverses explications de la crise. Le plus instructif, en l’occurrence, concerne les “évaluations politiques” (que signifie cette crise ?), les “options opérationnelles” étant extrêmement difficiles à fixer dans le torrent que le système de la communication a ouvert à cet égard.
La dernière nouvelle “opérationnelle” est que le jeune Grand Leader Kim Jong Un a donné à son armée l’autorisation de lancer une attaque nucléaire contre les USA. (Voir Russia Today le 4 avril 2013) : «Shortly after the US said it was preparing to deploy an advanced missile-defense system to Guam, Pyongyang announced it had approved nuclear attack on the US. Meanwhile there are reports that North Korea is moving a mid-range missile to its east coast.») Si l’on se demande avec quoi et comment, cette attaque nucléaire, on entre évidemment dans le domaine dit de FantaisyLand, qui caractérise le courant de la Corée du Nord, enclave extraordinaire dans le Système mondial, ultra-libéral, etc. Mais, dans leur maniement de la “menace” nord-coréenne, les stratèges et spécialistes de la communication de Washington et du bloc BAO ne sont pas moins dans une FantaisyLand à leur façon. (Comme par exemple le Britannique Cameron qui annonce que les Coréens du Nord possèdent aujourd’hui une capacité de frappe nucléaire contre le Royaume-Uni [voir The Independent, du 5 avril 2013], ce qui tombe à pic et selon un hasard bienheureux dans le débat toujours en cours pour la poursuite du déploiement de l’arme stratégique nucléaire UK, les sous-marins SSBN porteurs de missiles SLBM Trident.) Les Coréens du Sud ne croient guère à une guerre. Russes et Chinois se tiennent sur leurs gardes, inquiets et craignant une maladresse ou une manigance de l’un ou de l’autre (et pas moins des USA, après tout)… Le spectacle ne dépare pas notre temps et un accident dégénérant en événements incontrôlables reste évidemment possible. Quoi qu’il en soit, diverses interprétations de la crise et d’un éventuel conflit sont données.
• L’interprétation “intérieure” est de Justin Raimondo sur Antiwar.com le 3 avril 2013… Il s’agit de l’interprétation intérieure nord-coréenne. Bien qu’il ne manque pas de mentionner les avatars grossiers et provocateurs de la politique US depuis 1991, Raimondo n’attribue pas la responsabilisé essentielle de cette crise spécifique ni de son aggravation aux USA, mais à une situation intérieure de tension au sein du pouvoir en Corée du Nord. Bien entendu, estime Raimondo, les USA n’ont rien fait pour aller dans le sens de l’apaisement.
«The rhetorical hysteria coming out of North Korea is par for the course: this is, after all, the country’s chief (and only) export. Washington knows full well Pyongyang has neither the means nor the intention to attack the United States, in spite of the comic-opera threats – and yet we’re acting as if the threat is real. In response, Secretary of Defense Chuck Hagel announced that we’re beefing up our missile defenses on the West Coast – “just in case.” Scheduled US-South Korean military exercises featured nuclear-capable jets “mock bombing” North Korea – a provocation that ignited a sulphurous response from Pyongyang.
»The US has stood squarely in the way of all real peace efforts on the Korean peninsula: when it looked as if the South Koreans were taking the prospect of reunification with the North seriously, Washington put the kibosh on the process. Now that the daughter of a former South Korean dictator has been elevated to the South Korean presidency, prospects of a renewal of the initiative are remote. In this context, Washington’s routine provocations have a much bigger effect on the North, which sees itself in an impossible situation. The Hermit Kingdom is poorer, and more isolated than ever, and this has produced the internal dynamics that are driving the actions of the North Korean elite.
»Little is known of internal political developments in the North, but the transition from one Supreme Leader to the next is surely problematic in any authoritarian system – and doubly so in a “communist” monarchy. There has long been tension between the ruling Korean Workers Party and the North Korean military, and apparently this ratcheted up to an unusual degree last year with reports of an assassination attempt on Kim Jong Un, culminating in a gun battle in the streets of Pyongyang.»
• Il y a l’interprétation de la “machination stratégique” des USA, ou comment utiliser la crise coréenne (éventuellement la guerre coréenne) pour renforcer encore l'influence US dans la région et mettre en place un dispositif militaire anti-chinois. Cela est développé à la lumière du “tournant stratégique” annoncé par les USA il y a quelques mois, d’un changement des priorités globales de la zone Atlantique/Europe à la zone Pacifique/Asie. L’argument est, bien entendu, celui de la puissance montante des Chinois et de leurs ambitions expansionnistes, selon l’interprétation habituelle des stratèges du Pentagone et de leurs acolytes commentateurs qui semblent présumer, observant le monde comme on s’observe dans un miroir, que toutes les puissances raisonnent comme les USA, et cultivent les mêmes intentions que les USA. L’article déjà cité de Russia Today, précise quelques points à cet égard au terme de son analyse, à partir d’appréciations de journalistes qui s’intéressent à la question.
«Seoul-based correspondent Joseph Kim says the US pursues its own interests when getting more involved in the conflict. It “continuously monitor[s] and gain[s] more influence in the region.” “They are technically trying to get back to East Asia to be able to counter China and its growing power in terms of the economy. And why not use North Korea?” Kim told RT.
»As for the means the US chooses to achieve its ends, there are questions remaining as to the efficacy. Investigative journalist Tim Shorrock believes that North Korea’s actions are being misconstrued and that the American response to them is unbalanced and achieves the opposite result: “North Korea does not want to commit suicide. I believe [it] is doing all this so it can get to a point where it can negotiate some kind of peace agreement with the United States”, he said. “They look up and they see these B-2 bombers and that’s an absolute reminder of danger of war with the United States, but it also gives the monolithic authoritarian state the [opportunity] to show to the North Korean people that indeed there is a threat. So, by escalating it to this point, the United States is playing right into Kim Jong-un’s hands.”»
• Un point intéressant concerne les mesures militaires prises par les USA… Manœuvres, déploiement de quelques navires dont un navire antimissiles, vols de démonstration de B-52, de B-2, de F-22, renforcement des défenses de l’île stratégique de Guam. Là-dedans, jusqu’ici et à notre connaissance, pas un mot d’un porte-avions de renfort. Dans le cas d’une crise importante, les USA ont l’habitude, dans leur technique d’un renforcement destiné à affirmer leur puissance et à dissuader l’adversaire autant qu’à se préparer à toute éventualité, de déployer en priorité un groupe de porte-avions (même s’ils en ont déjà un dans la zone) pour l’effet de “communication stratégique” qu’implique ce geste. Ils ne l’ont pas fait jusqu’ici, semble-t-il. C’est une situation notable qui, à notre sens, pourrait renvoyer à trois éléments : 1) le désir du pouvoir politique de ne pas trop dramatiser la crise ; 2) le désir des chefs militaires, encore plus pour eux, de ne pas dramatiser la crise ; 3) et, surtout, à notre sens, parce qu’il s’agit d’une situation de fait, une démonstration de la situation stratégique extrêmement serrée des USA du point de vue de la disposition des porte-avions, comme on l’a vu à plusieurs reprises ces dernières semaines (le 26 janvier 2013, le 11 février 2013, le 4 mars 2013).
• Il y a les interprétations “complotistes”, comme il est de coutume, venues de tous les coins de l’Internet. Passons sur les mini-sous-marins nord-coréens chargés d’armes nucléaires et peut-être croisant près des côtes US de Sister Sorchal (texte de WhatDoesItMeans 8 mars 2013, “regonflé” et “rafraîchi” par la nouvelle annoncée par ZeroHedge.com le 3 avril 2013 que les “veilleurs” sud-coréens ont perdu le contact avec trois de ces mini-sous-marins nord-coréens en vadrouille). La démarche classique du complot à cet égard est présentée par le site Infowars.com, qui est le spécialiste de cette interprétation, le 3 avril 2013. Il s’agit d’ailleurs plus d’une supputation que d’une révélation ou d’une affirmation… «The Federal Reserve plan to crash the economy and make room for world government and an authoritarian globalist economic and accompanying police state control system will necessitate a sufficient prerequisite – and that prerequisite may very well be a new war on the Korean peninsula.» Une interprétation annexe concerne la “guerre par inadvertance” (Los Angeles Times le 3 avril 2013 : «…when forces are on high alert and threats of preemptive strikes are flying, however implausible, they “potentially create hair-trigger situations where even small tactical movements could be misinterpreted”»).
Il est difficile de tirer de tout cela un enseignement précis, plus encore de faire une prévision. Mais nous ne sommes pas là pour ce travail (la prévision), qui n’a guère de sens dans une époque comme la nôtre, marquée par le désordre, et marquée par une dimension eschatologique dans le sens où l’élément humain avec tout son attirail n’est plus, malgré son attirail, maître de tous les événements, encore moins de leurs clefs, et surtout des plus importants parmi ces événements. Cette incontrôlabilité est renforcée par les caractères des deux principaux adversaires en présence (la Corée du Sud étant toujours reléguée, par son statut de colonie stratégique des USA, à un rôle secondaire si étrange par rapport à sa position) : le caractère fantasque, abrupt et parfois surréaliste du régime nord-coréen, et le caractère obsessionnel des USA pour l’identification des menaces et l’utilisation de la puissance militaire… Ce constat de l’absence de maîtrise à la lumière de la durée de la crise conduit au reste à considérer qu’un conflit avec la Corée du Nord, malgré ou peut-être à cause de certains aspects grotesques des considérations qui le précéderaient et le caractériseraient, ne déparerait pas cette époque étrange.
Comme on le sait et comme on l’a répété, il y a eu déjà un certain nombre de “crises”, en général des alertes passagères et des séquences gesticulatoires, entre les deux, – Corée du Nord et USA. Cette fois, la séquence est de plus longue durée et montre quelques aspects sérieux. En un sens, on pourrait dire que cette séquence pourrait être prise plus “au sérieux” que les précédentes. Malgré les dispositions militaires et les critiques de dramatisation de la crise contre eux, les USA montrent une certaine retenue par rapport à des épisodes précédents marqués par des attitudes menaçantes, des gesticulations militaires et l’habituel (depuis 9/11) paroxysme belliciste de communication ; leurs mesures militaires sont d’ailleurs plus marquées par un souci défensif, toujours par rapport aux cas précédents. Cela peut être aussi bien dû au caractère plus mesuré de l’équipe de sécurité nationale en place (Kerry-Hagel) par rapport à celles qui ont précédé, qu’à une certaine prise de conscience de la situation générale du monde et des risques portés par le désordre qui marque la politique et la stratégie, avec le supplément du constat dans ce contexte de la réalité de la réduction de leurs capacités de puissance stratégique. En un sens, cette séquence de crise avec la Corée du Nord a des caractères qui la font s’inscrire plus que les précédentes dans la situation générale que nous connaissons, avec l’absence de maîtrise engendrée par le caractère eschatologique régnant, et l’incertitude par conséquent qui en est la marque prioritaire… On irait jusqu’à dire, tant les avatars avec la Corée du Nord semblaient jusqu’alors relever d’un domaine à part dans la situation générale, que cette séquence de crise semble conduire à une intégration de la situation crisique nord-coréenne dans ce que nous avons identifié comme une situation générale nouvelle d’infrastructure crisique.
Mis en ligne le 5 avril 2013 à 06H15