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63627 novembre 2007 — Nous revenons sur les notes de notre Bloc-Notes d’hier, successivement concernant la question de BAE et la corruption, particulièrement dans l’optique américaniste, et la question de BAE et des “relations spéciales” entre les USA et le Royaume-Uni. C’est essentiellement la question générale de la lutte contre la corruption, exposée également dans l’article du New York Times, qui nous intéresse.
L’article met en évidence qu’il existe aujourd’hui un fort courant en faveur d’une campagne anti-corruption sérieuse. L’article est très explicite à cet égard. Divers passages se mélangent à ceux consacrés à BAE, les uns renforçant les autres dans la mesure où BAE est perçu comme l’exemplaire affaire de corruption qui doit être réglée («Lawyers, prosecutors and corporate executives in the United States and abroad say they are closely watching the BAE investigation because it offers a test of how aggressively anti-corruption initiatives will be pursued globally, particularly in countries like Britain and Japan that have resisted enforcing such efforts. “The BAE case is a watershed moment,” says Mark Pieth, who oversees anti-bribery efforts for the O.E.C.D. “Large multinationals in many countries have come to us and told us that.”»)
On trouvera ci-dessous quelques passages relatifs à cet aspect de la lutte contre la corruption au sein des entreprises et par leurs activités.
«While law enforcement officials and governments in disparate jurisdictions once hesitated to work together to combat corporate fraud, graft has come to be seen as such a severe impediment to global economic growth that cooperation is becoming more frequent.
»Analysts say that this shift, along with the enactment of the Sarbanes-Oxley law tightening corporate oversight — and a greater willingness among companies themselves to tackle corruption — has also begun to change how many corporations operate in poorer, developing countries where graft has been most detrimental.
(…)
»The British High Court recently ordered a full judicial review of Mr. Blair’s decision not to pursue the BAE investigation. Meanwhile, the Justice Department’s BAE investigation has benefited from cooperation by law enforcement agencies elsewhere in Europe, according to people with direct knowledge of the inquiry. A decade ago, such cooperation would have been impossible because many European governments considered corporate bribery tolerable — and in the case of Germany, even made it tax-deductible, as “schmear gelt,” or “grease money.”
»Since then, German authorities have become particularly aggressive in pursuing possible corruption violations, as illustrated through their continuing investigation of Siemens AG, the German industrial conglomerate. Although some American companies once actively lobbied to water down the F.C.P.A., arguing that it made it hard to compete overseas, many corporations here have now thrown their weight behind it in the belief that it can be used to prevent competitors from indulging in bribes. So anti-corruption efforts in the United States are now gathering legal steam.
»“There has been a dramatic increase in the resources dedicated to enforcing the law by the Justice Department and the F.B.I., and even more important, a strong public commitment to compliance as well as enforcement,” says Peter B. Clark, who oversaw F.C.P.A. prosecutions at the Justice Department from the enactment of the law in 1977 until his retirement two years ago.
»According to top Justice Department officials, strengthening F.C.P.A. enforcement isn’t only about getting American companies to clean up their act or punishing foreign enterprises for breaking domestic laws. It is also part of an attempt to deal with the long-term impact that bribery has on emerging markets.
»“Corruption undercuts democracy, stifles economic growth and creates an uneven playing field for U.S. companies overseas,” Ms. Fisher says. “We are facing transnational crime all over the place.”
(…)
»Despite the new fondness for the F.C.P.A. in domestic law enforcement circles, the cases are notoriously complex to prosecute and are made even more so by the fact that many overseas jurisdictions are involved. Even in an era of increasing cooperation, internal politics in other countries can become roadblocks.
»“The rhetoric has changed,” says Benjamin W. Heineman Jr., who was General Electric’s chief legal officer from 1987 to 2005. “Everybody says the right thing now, but what are they doing?”
»Mr. Heineman praises the Justice Department’s efforts but says he is frustrated that the O.E.C.D. isn’t doing even more, especially in the BAE case. “They don’t powerfully name and shame the laggards,” he says.
»The threat of an indictment under the F.C.P.A., more than financial penalties, is what worries most companies that may come under scrutiny as part of the Justice Department’s crackdown on bribery.
»“No publicly traded company wants to be branded with the stigma of an indictment,” says David Zornow, who directs the white-collar criminal practice in New York for the law firm of Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom. “It’s potentially ruinous.”»
Pourquoi cet article est-il important? (Pourquoi lui accordons-nous de l’importance?) D’abord parce qu’il a l’avantage de mélanger un discours théorique (même si appuyé sur des faits) et un cas pratique pressant et lui-même d’une grande importance (BAE). Il est évident que la réputation de BAE est aujourd’hui internationalement établie; elle n’est pas loin d’être celle du “mouton noir”, de l’archétype de la corruption globalisée et institutionnalisée («The BAE case is a watershed moment»). Par conséquent, le crédit du beau discours que nous présente cet article dépend de l’acharnement qu’on mettra dans la poursuite du cas BAE, et du succès auquel on parviendra dans sa résolution à la satisfaction de la justice (ou “justice”).
Maintenant, et après avoir laissé s’épuiser les ricanements d’usage, on est en droit de s’interroger sur les causes de cette campagne anti-corruption dans les entreprises internationales et globalisées. Le mouvement s’est développé et accéléré, avec le cas Enron, avec les débordements accompagnant les activités des diverses entreprises US liés à la guerre en Irak, mais aussi et par-dessus tout avec le cas BAE, selon la perception que ces excès risquaient de mettre en péril le système. (Nous écrivons “excès” par rapport au niveau courant de corruption et nullement par rapport à un niveau théorique d’absence de corruption.)
Les Américains ont toujours utilisé les pressions anti-corruption pour éliminer leurs concurrents, se protégeant eux-mêmes par divers artifices. Mais, dans les conditions actuelles, et tenant compte du fait que les entreprises US elles-mêmes poussent à ce mouvement anti-corruption, il y a une volonté de plus en plus partagée de mettre un frein à des pratiques excessives qui menacent l’ensemble du système. Un lobbyiste européen à Bruxelles, passablement cynique (on sait l’estime où il fait tenir le cynisme aujourd’hui), offre une image: «C’est exactement comme l’histoire du crime organisé aux USA. Lorsqu’il s’est organisé sous le nom de ‘Cosa Nostra’, à partir des années 1930 avec Lucky Luciano à sa tête, il a adopté comme règles impératives pour prospérer en douceur d’éliminer ceux qui, notamment dans ses rangs, en prenaient trop à leurs aises, qui transgressaient trop bruyamment et violemment les lois. C’est ainsi qu’ils ont fait abattre Albert Anastasia dans les années 1950, parce qu’il devenait un tueur psychopathe. On pouvait transgresser les loi de façon habile, déguisée, avec la coopération d’autorités qu’on corrompait. Mais surtout pas de vagues, pas d’illégalités grossières qui attirent trop l'attention.»
L’image est audacieuse et irrespectueuse (on lui pardonnera) mais d’autant plus parlante. Dans la narrative du système, aujourd’hui, il y a un “devoir de vertu”, même s’il ne s’agit que d’une vertu apparente ou compartimentée. (A la différence du crime organisée, le monde du business international est de plus en plus intéressé à la respectabilité d’apparence du système par le respect des lois, voire même à la respectabilité du système légal lui-même puisque ce monde du business fait partie intégrante du système, qu'il en est l'une des parties les plus influentes.)
D’autre part, la réalité de la situation va bien plus loin que l’image du crime organisé. A côté de la nécessité d’une gestion bourgeoise de la corruption, il existe une situation d’urgence. Le système est dans une situation générale de plus en plus délicate, une situation de crise systémique qui s’exerce dans nombre de domaines, – notamment financier, économique, éthique, etc. Il faut donc d'autant plus tenter de le protéger en rehaussant son image vertueuse. La riposte la plus aisément concevable à cet égard est au niveau de la communication et des relations publiques.
C’est effectivement à ce niveau qu’il faut percevoir l’action entreprise contre la corruption, – protéger et/ou rétablir une “image” d’un fonctionnement ennemi de la corruption. Les USA sont d’autant plus partie prenante qu’existe chez les dirigeants américanistes le trait psychologique de l’inculpabilité qui les conduit à une considération indulgente sinon innocente chez eux de ce qui est condamnable chez les autres. Pour autant, si le processus législatif est renforcé et accéléré, ils ne seront pas plus épargnés que les autres. Une fois qu’ils ont le feu vert pour l’application des lois dont certaines sont très sévères, les agents du système (du gouvernement) agissent impitoyablement. Le “pas vu pas pris” habituel signifie alors qu'à l'inverse, lorsqu'on est “vu” on est diablement “pris”.
Sans aucun doute, BAE est un cas hautement dangereux. C’est une circonstance dangereuse pour la réputation du système, qu’un tel cas ait pu prospérer dans une relative impunité; c’en est une autre que ce cas concerne directement un gouvernement de l’importance du Royaume-Uni (et celui de l’Arabie dans l’affaire Yamamah), c’est-à-dire interférant sur des relations stratégiques fondamentales dans le systèmes (USA-UK-Arabie); c’en est une autre encore que ce cas implique une pénétration très forte du marché US sacro-saint de la défense, par le biais du rachat de sociétés stratégiques US (près de 50% du chiffre d’affaires de BAE avec le Pentagone); c’en est une autre toujours que ce cas soit celui d’une énorme société qui a montré qu’elle est prête à se battre avec la plus extrême alacrité, alors que, dans certains cas grave de mise en cause légale, ses dirigeants risqueraient de graves peines de prison; et ainsi de suite.
Si la campagne anti-corruption dans les grandes entreprises globalisées et en général occidentales s’avère nécessaire et si elle veut être crédible, notamment pour éviter un ébranlement de plus du système, le passage par une attaque maximale de BAE semble inévitable. Une attaque maximale de BAE implique des risques considérables d’ébranlement du système. Il y a un choix cornélien à faire (si ces gens savent qui est Corneille). C’est un de ces dilemmes graves mais courants qui s’imposent aujourd’hui à un système déjà fortement déstabilisé. Nul ne sait ce que sera le choix final mais on est obligé de constater que le cas BAE montre une persistance inquiétante à se poser comme dilemme pour le système.
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