La “crise budgétaire” Londres-Washington…

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Toujours cette même ambiance surréaliste… (Nous ne nous lassons pas d’identifier cet événement de la sorte, cette démarche du ministre de la défense britannique Liam Fox allant “soumettre” les perspectives budgétaires du Royaume-Uni au secrétaire à la défense US Robert Gates.) Mais une crise qui ne s’apaise pas, bien au contraire, et dont on peut voir les ramifications avec la situation politique à Londres. Cet acte de “soumission” de Fox à Washington est aussi une manœuvre interne de la faction “dure” des conservateurs britanniques.

• Le 24 septembre 2010, Antiwar.com fait une rapide synthèse des événements après la rencontre Fox-Gates. L’annonce est faite que Fox a promis à Gates que le Royaume-Uni renouvèlerait sa force nucléaire en temps normal (décision effective en 2014), mais des références sont faites à la situation bien connue selon laquelle cette perspective n’est absolument pas acquise et que les libéraux démocrates de Clegg obtiendraient au contraire un report substantiel de cette décision.

• Le Daily Telegraph du 24 septembre 2010, lui, annonce que Fox a averti Gates qu’il ne fallait plus compter sur le Royaume-Uni pour une nouvelle aventure du type Afghanistan. Plus les moyens ni, sans doute, le goût.

• Au-dessus de tout cela plane le spectre d’une crise sérieuse au sein du gouvernement conservateurs-démocrates libéraux. L’épicentre de cette crise est la possibilité d’une démission de Liam Fox (voir The Independent du 17 septembre 2010), notamment si le Trident n’est pas modernisé/remplacé dans les délais prévus (décision en 2014).

@PAYANT Ainsi découvre-t-on de plus en plus clairement que le voyage-allégeance de Liam Fox à Washington n’est pas si simple. Certes, il s’agit d’allégeance, ce qui ne peut surprendre dans le chef de Liam Fox, dont on peut dire qu’il est, à force de proaméricanisme de droite, presque l’équivalent d’un agent du parti républicain (US, s'entend) à la tête du ministère de la défense britannique. Mais Fox vient moins apporter cette allégeance, qui est déjà acquise, que tenter d’exercer une pression, par Washington et Gates interposés, sur une partie des conservateurs (les libéraux démocrates, ce n’est pas son problème) qui rechigne à s’aligner, selon la coutume sacrée, sur Washington. En fait, Liam Fox fait partie d’une minorité conservatrice puissante, celle qui en est restée à l’époque Thatcher, avec une pointe de modernisation “à-la-Blair”, pour ce qui est des rapports du Royaume-Uni avec les USA. Cette minorité porte évidemment tous ses efforts sur le maintien des structures de sécurité entre les deux pays, comme sauvegarde ultime des liens les plus serrés possibles à l’intérieur de la structure générale des spécial relationships, ou ce qu’il en reste.

Le 17 septembre 2010, dans l’article déjà référencé, The Independent rapportait des déclarations de Julian Lewis, un parlementaire conservateur et ancien “ministre de la défense” dans le “cabinet fantôme” conservateur (le contre-gouvernement que forme chaque parti britannique lorsqu’il est dans l’opposition), évidemment membre éminent de la tendance conservatrice signalée et très proche de Fox par conséquent. Lewis, parlant du projet de repousser la décision de modernisation du Trident, le qualifiait de “trahison incroyable” de l’accord de gouvernement, et il précisait : «I and the Secretary of State for Defence came into politics primarily to ensure that this country would always have nuclear weapons as long as other countries have them. I would be amazed if he [Fox] remained Secretary of State for Defence if a decision were actually to be taken…» Bien entendu, Lewis parlait pour Fox, et d’une certaine façon pour le Pentagone… A cette lumière, le voyage de Fox à Washington (on pourrait dire : “le voyage au Pentagone”) fait effectivement partie de la même tactique de pression sur la direction conservatrice et sur Cameron.

Mais on a vu qu’entretemps, les libéraux démocrates semblent l’emporter sur cette question. Du coup, les déclarations de Liam Fox, justifiées ou pas, apparaissent comme autant de bombes à retardement : assurer dans un même souffle au puissant secrétaire à la défense Robert Gates que la décision de modernisation de la force nucléaire britannique sera prise à temps et qu’il ne faut plus compter sur le Royaume-Uni pour de nouvelles gâteries type-Afghanistan, c’est lancer une double provocation au sein du cabinet à Londres. C’est mettre en cause la possible décision de report de la décision sur les Trident, et c’est alimenter la mauvaise humeur washingtonienne contre ce gouvernement conservateur qui refuse de mettre de l’argent pour pérenniser l’alignement “à-la-Blair” sur Washington. (Sans compter que Washington-Gates sont évidemment au courant des manœuvres de Fox, qu’ils soutiennent indirectement.) C’est-à-dire que la tendance Fox au sein du parti conservateur se sent assez forte, ou à l’inverse sent la situation des relations avec les USA très menacée, pour envisager une confrontation au sein du gouvernement, pour envisager une crise qui permettrait de tenter de forcer à une décision radicale en faveur de la réaffirmation de ces relations avec les USA (c’est-à-dire, passant par les diverses mesures qu’on sait au niveau militaire).

La situation devient donc intéressante. Elle implique effectivement les relations Londres-Washington d’une part, la situation à l’intérieur du gouvernement britannique (entre conservateurs de libéraux démocrates) d’autre part, mais aussi les connexions entre les deux et jusqu’à la situation au sein du parti conservateur. Cameron tient à garder son gouvernement selon la formule actuelle, qui porte sa marque de fabrique, et en même temps à conduire une politique vigoureuse des finances publiques qui implique effectivement de fortes réductions budgétaires pour la défense. On dirait que la discorde est encore plus à l’intérieur du parti conservateur qu’entre conservateurs et libéraux démocrates, et encore plus entre Cameron le conservateur et le Pentagone qu’entre les libéraux démocrates et le Pentagone. C’est un vilain tour que les “relations spéciales” font à ses partisans puisque que, dans cette affaire, ce sont les adversaires les plus déclarés de ces relations, les libéraux démocrates, qui sont les plus à l’aise dans la crise qui se développe.


Mis en ligne le 27 septembre 2010 à 07H22

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