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2 janvier 2006 — Comme nous le signalons par ailleurs, le texte de Mark Lynas dans The Independent du jour nous fait prendre conscience, peut-être sans que lui-même l’ait cherché et peut-être sans l’avoir cherché nous-mêmes, que nous sommes entrés dans l’époque où la crise climatique est, si l’on veut, “descendue dans la rue”. Elle est devenue, en 2005, une crise comme une autre, à part bien entendu qu’elle est bien plus grave qu’aucune autre. Nous voulons dire que la crise climatique a définitivement quitté son image écologiste, son image de crise à la fois exotique et orientée, pour devenir une crise tout court qui affecte notre vie et, surtout, notre avenir. Elle s’est banalisée, au vrai sens du terme mais avec l’effet contraire de l’habituel processus, puisqu’elle est ainsi devenue plus sensible à tous, et par conséquent plus pressante et urgente. La crise climatique n’appartient plus aux écologistes, elle est désormais le fardeau de tous.
C’est ce que Lynas traduit de la sorte, en se concentrant sur la scène britannique, en bon Britannique et parce que, effectivement et objectivement, il est vrai que les Britanniques sont à la pointe de la bataille pour faire entrer la crise climatique dans nos préoccupations générales et fondamentales.
« The past 12 months have seen big changes in the political — as well as the actual — climate. Perhaps the Rubicon was crossed when David Cameron was seen with Zac Goldsmith, editor of The Ecologist, discussing the ins and outs of global warming. Once the party of big business and anti-regulation, the Tories seem set to outflank a struggling Labour on the issue.
» What is so surprising is not just the shifting of the ideological landscape that this implies, but the fact that everyone agrees that it matters. Even as recently as the May general election, climate change barely made a headline. Now Cameron's re-invigorated Tories clearly see it as a vote-winner. Tony Blair, who did so much to put climate on the agenda, but then failed to deliver serious policies to address it, could lose out as a result. »
Cette transformation d’une crise exotique fondamentale en une crise générale fondamentale est un événement important, même s’il est difficile de le distinguer comme tel au premier coup d’œil. Il est du plus grand intérêt d’examiner les causes et les conséquences de cette transformation.
• La première de ces causes est l’évidence. Il y a des signes violents de la dégradation des conditions directes ou indirectes du climat (la fonte accélérée de la calotte glaciaire arctique, beaucoup plus rapide de ce qui était envisagé par les alarmistes). Il y a des manifestations climatiques violentes de la dégradation du climat. Il ne fait aucun doute que, dans l’esprit des gens, et cela à partir de nombre de commentaires scientifiques, la puissance monstrueuse de l’ouragan Katrina qui a détruit La Nouvelle Orléans est due au réchauffement climatique.
• La seconde de ces causes est la politisation implicite de la crise, et une politisation violente au travers de tel ou tel événement. Le cas le plus évident est Katrina : jamais un événement naturel n’aura été aussi rapidement politisé que Katrina, cela en rapport avec la consternante médiocrité de l’administration GW et ses effets. Par conséquence indirecte (assez peu consciemment réalisée), c’est l’une des causes de Katrina (le réchauffement climatique) qui est elle-même politisée, c’est-à-dire introduite sur la scène politique générale. Le fait n’a pas été directement mis en évidence mais il nous semble qu’il s’inscrira indirectement dans les consciences. Après Katrina, rien n’est plus pareil : tout grand désastre naturel, surtout lié à l’Amérique, sera “soupçonné” d’être le produit de la crise climatique et sera considéré d’un point de vue politique.
• Une troisième cause, inattendue et encourageante : l’Amérique, certes, c’est-à-dire la politique américaniste de GW Bush, joue un rôle paradoxal dans cette politisation et cette généralisation de la crise climatique. En s’opposant effectivement à cette évolution, par le biais d’une opposition radicale à l’existence elle-même de la crise, GW a fait à ses adversaires dans ce domaine un cadeau somptueux : le formidable courant anti-américain actuel devient de facto un courant qui soutient évidemment l’acceptation de l’existence de la crise, et l’interprétation politique et générale de cette crise. C’est l’application du nouveau précepte : tout ce que GW et Washington condamnent a toutes les chances d’acquérir respect, prestige et puissance dans le reste du monde. (Un point annexe à considérer est la façon dont les caractéristiques fondamentales du système américanistes pourraient être utilisées contre lui. C’est le cas des capacités de nuisance du système juridique, qui pourraientt être retournées contre le système si certains l’utilisent habilement.)
• Autre cause et autre point paradoxal, l’activisme du Royaume-Uni et de Blair. Point paradoxal parce que, dans ce cas : (1) Blair est très populaire auprès de ses électeurs, des Britanniques en général et de la classe politique britannique ; (2) Blair est sur une ligne nettement démarquée et antagoniste de l’administration GW. Cette rubrique est un point important parce qu’elle implique que la puissante capacité de communications des Britanniques, — influence, spin et tout l’attirail médiatico-virtualiste, — est plutôt au service de l’excellente cause de l’alerte et de la “généralisation” de la crise climatique.
• Enfin, il y a un contexte de “crise naturelle” plus général, notamment la crise des ressources pétrolières, qui modifie les psychologies dans le sens de faire évoluer le jugement. Qui s’intéresse aux “crises naturelles”, et, par conséquent, à la crise climatique, n’est plus considéré comme un zozo barbu, écologiste gauchisant et subversif, en
Quelles vont être les conséquences de cette prise de conscience, de cette banalisation au bon sens de la crise climatique ? Elles sont très nombreuses, directement et potentiellement, et les explorer toutes n’a aucun sens. Nous nous arrêterons pourtant à deux d’entre elles, parce qu’elles sont générales, fondamentales, politiques et qu’elles participent de domaines qui nos importent.
• L’effet sur la position de Washington va être important. L’isolement de Washington sur cette question s’est confirmé en 2005, dans des conditions peu favorables à l’administration GW dans la mesure où le fondement de sa position (d’ailleurs en train d’évoluer sous la pression des faits) est une position scientifique hyper-extrémiste et de moins en moins sérieuse. Washington va devoir évoluer, mais contraint et forcé, c’est-à-dire sans jamais retrouver la prépondérance qui lui est habituelle dans les rassemblements internationaux. Un autre aspect de l’isolement de Washington est son isolement à l’intérieur. De plus en plus d’États et de ville des USA répudient, sinon rejettent la position officielle de Washington et adoptent les normes de Kyoto. C’est un cas intéressant de “dévolution” du pouvoir, qui joue son rôle dans une crise américaniste à multiples facettes (Irak, sécurité intérieure, protection des libertés civiles, etc.) où la mise en cause du pouvoir central est désormais implicitement faite.
• L’effet sur la mise en cause de notre système général est un autre aspect essentiel des conséquences de la banalisation de la crise climatique, — un autre mais, certes, le principal de ce qui est à venir. Évidemment, cette crise est directement liée aux activités humaines, spécifiquement au mode de développement que nous avons choisi. Là aussi, elle se combine puissamment à la crise de production du pétrole, qui reflète également le choix de notre type de développement. Ce qui nous attend, au plus nous pénétrerons dans la crise climatique, c’est le développement de critiques radicales contre ce système d’« économie de force » comme le désignaient en 1931 Robert Aron et Arnaud Dandieu. Récemment (début novembre), Blair a semblé amorcer un tournant, dans une déclaration faite au sommet du G8 (selon The Guardian du 2 novembre 2005) : « He said when the Kyoto protocol expires in 2012, the world would need a more sensitive framework for tackling global warming. ''People fear some external force is going to impose some internal target on you ... to restrict your economic growth,'' he said. ''I think in the world after 2012 we need to find a better, more sensitive set of mechanisms to deal with this problem.'' His words come in the build-up to UN talks in Montreal this month on how to combat global warming after Kyoto. ''The blunt truth about the politics of climate change is that no country will want to sacrifice its economy in order to meet this challenge,'' he said. »
… Eh bien, cette affirmation selon laquelle rien de notre système économique ne pourra être modifiée, nous semble, à nous, au regard de la crise climatique qui gronde déjà, rien de moins qu’une incantation extrêmement inquiète. Dire que rien ne sera changé à notre système économique comme le fait le Premier ministre britannique alors que personne n’a rien exigé de précis à cet égard (sinon les Américains, mais même Blair ne se préoccupent pas de leurs déclarations dans ce domaine), c’est presque reconnaître que c’est effectivement sur ce terrain que se mesureront, ces prochaines années, les grands enjeux de notre destinée. Et reconnaître cela, déjà, c’est amorcer une retraite qui sera rythmée au gré des futurs Katrina.