La crise climatique et l’émancipation des Etats de l’Union

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La crise climatique et l’émancipation des Etats de l’Union


21 janvier 2007 — L’extraordinaire fermeté dans l’aveuglement que montre l’administration GW sur la question du réchauffement climatique ne cesse de se confirmer. Le Britannique Tony Blair semble en avoir fait les frais, — pour lui, c’est une coutume — encore récemment à propos du discours sur l’Etat de l’Union qui sera donné mardi.

Le 14 janvier, The Observer annonçait un changement historique de GW Bush sur la crise climatique, à la plus grande satisfaction de Blair : « Downing Street says that belated US recognition of global warming could lead to a post-Kyoto agreement on curbing emissions.» Le même jour, quelques heures plus tard, la Maison-Blanche démentait (selon une dépêche Reuters) : «A U.S. official on Sunday denied a British newspaper report that President George W. Bush was preparing to announce a dramatic policy shift on global warming in his State of the Union speech this month. “While the administration does not detail the president's speech before it is given, this rumor is not true,” a senior U.S. administration official said.» Rendez-vous mardi pour entendre ce que GW Bush dit finalement sur cette question.

Bien entendu, cette inaction absurde par rapport à la crise climatique de l’administration en place, — mélange d’idéalisme scientiste et américaniste et de corruption des intérêts pétroliers — s’ajoute aux autres catastrophes en cours (Irak, droits civiques, etc.). Elle témoigne d’une psychologie très particulière, particulièrement entêtée, qui fait que, même si l’administration GW cédait sur cette question pressante de la crise climatique, ce ne serait que du bout des lèvres et pour tenter de se maintenir dans les sondages. L’administration GW restera à la traîne et fermée sur cette question. Cette inaction, ou, au mieux, cette position passive et en retrait est réellement intéressante par les réactions qu’elle entraîne.

• On connaît déjà la position en pointe de la Californie, sous la direction d’un gouverneur qu’on attendait ultra-réactionnaire et qui s’avère, plus logiquement, ultra-électoraliste. Peu importent les moyens si l’on a la fin, — et puis, peut-être est-il converti ? Arnold Schwarzenegger, ex-Terminator bardé de muscles d’Hollywood, républicain agressif, est devenu un chantre de la lutte contre la pollution et l’émission de gaz CO2. Il a fixé, sous forme d’une loi de l’Etat de Californie qu’il vient de parapher, l’objectif le plus ambitieux jamais affiché : réduire de 80% les émissions de CO2 d’ici 2050. L’initiative fait tache d’huile, si l’on ose dire, avec cette proposition faite au Congrès (selon The Independent du 18 janvier) :

«Barbara Boxer, a California Democrat and the new chairman of the Senate Environment Committee, is introducing a national bill that follows her state's example and seeks to reduce carbon emissions by 80 per cent by mid-century.

• La Chambre des Représentants semble vouloir suivre cette voie, avec la Speaker Nancy Pelosi impliquée dans la création d’une commission chargée spécialement de ce problème. (Selon Associated Press du 17 janvier: «House Speaker Nancy Pelosi, intent on putting global warming atop the Democratic agenda, is shaking up traditional committee fiefdoms dominated by some of Congress' oldest and most powerful members. She's moving to create a special committee to recommend legislation for cutting greenhouse gases, most likely to be chaired by Rep. Edward Markey, D-Mass.»

• D’une façon plus générale, la question de la lutte contre la crise climatique divise le gouvernement central et les Etats de l’Union. Le phénomène est déjà connu mais il commence à avoir un effet dans les relations internationales. Le même article de The Independent note ceci :

«But the very proliferation of initiatives here is complicating efforts by Europe to draw Washington into a new global effort to combat global warming, even though its dangers are finally registering with a hitherto disdainful and sceptical administration.

»“Basically, the US has to get its own house in order,” said an EU diplomat involved in talks with the administration. It was also important, he added, not to raise US fears about a ‘son of Kyoto’ — a pact with fixed targets that would replace the existing Kyoto agreement on its expiry in 2012.»

En conclusion de cet article, on lit encore ceci, enchaînant sur les deux paragraphes qu’on vient de citer et qui fait allusion au discours sur l’Etat de l’Union évoqué plus haut: «These considerations too make it unlikely Mr Bush will have anything startling to say next Tuesday. “If they are doing something, then it's a very well-kept secret,” the diplomat said.»

Que se passe-t-il en 2030?

L’extraordinaire aveuglement de l’administration GW sur la question du réchauffement climatique risque de provoquer et d’accélérer un mouvement de décentralisation politique aux USA. “GW décentralisateur des USA”, c’est un thème qu’avait abordé sous une forme fictive Rebecca Solnit dans The Nation : « View From the Future», mis en ligne le 21 décembre dernier. A partir d’une fiction (l’auteur écrit à une époque supposée être autour de 2030), il s’agit de montrer comment, agissant comme repoussoir alors qu’il menait une politique hyper-centralisatrice (en réalité agencée selon quelques groupes de pression tels que les pétroliers et le complexe militaro-industriel), GW Bush avait poussé nombre de forces à choisir une voie décentralisatrice aux USA.

Ce passage, qui s’appuie sur des événements d’ores et déjà réalisés, montre l’esprit de cet essai qui ne fait à cet égard que refléter un état d’esprit grandissant aux USA :

«Without benefit of conspiracy, what Bush the Younger really prompted (however blindly) was the beginning of a decentralization policy in the North American states. During the eight years of his tenure, dissident locales started to develop what later would become full-fledged independent policies on everything from queer rights and the environment to foreign relations and the notorious USA Patriot Act. For example, as early as 2004, several states, led by California, began setting their own automobile emissions standards in an attempt to address the already evident effects of climate change so studiously ignored in Washington.

»In June 2005, mayors from cities across the nation unanimously agreed to join the Kyoto Protocol limiting climate-changing emissions — a direct rejection of national policy — at a national meeting in Seattle. Librarians across the country publicly refused to comply with the USA Patriot Act, and small towns nationwide condemned the measure in the years before many of those towns also condemned what historians now call the US-Iraq Quagmire.»

Ce mouvement de décentralisation qui se dessine aujourd’hui devrait voir le Congrès de Washington tenir un rôle auxiliaire des Etats dans leur entreprise de s’affirmer contre la politique fédérale. L’affrontement entre le Congrès et l’administration y pousse, d’autant que l’un des thèmes en est la lutte contre la crise climatique. Cet affrontement contribue à affaiblir encore plus l’exécutif à cause des conditions et de la cause de cet affrontement. Le Congrès pourrait bien apporter sa contribution à la démonstration que l’on peut se passer, pour l’action dans un domaine qui s’impose partout comme la première préoccupation (la crise climatique), d’un gouvernement fédéral englué dans l’obsession de la guerre contre la terreur, dans la corruption et dans la paralysie des groupes d’intérêt de dimension nationale voire globalisée (comme le Pentagone et l’industrie qui le soutient). Le surcroît de pouvoir que sont en train d’acquérir ces différents corps (les Etats, le Congrès, etc.) aux dépens de l’exécutif n’est pas le genre de choses dont l’on se défait aisément (on parle ici de l’après-GW). C’est un état de fait qui est en train de s’établir.

Les gouvernements étrangers commencent à remarquer cette situation, comme on l’a vu plus haut. Pour l’instant, ils s’en plaignent, appuyés sur l’idée que le pouvoir central US peut et doit reprendre les choses en main (s’il le voulait, ce qui n’est d’ailleurs nullement acquis), tout cela a l’aide de formules à l’emporte-pièce qui masquent l’indigence de la vision critique («Basically, the US has to get its own house in order»). Ils s’apercevront peut-être que c’est une idée dépassée. Ils pourraient alors bien être conduits à s’y faire et à apprendre à traiter désormais au niveau des Etats. Dans cet ordre d’idée, il se pourrait que l’avis de l’Etat de Californie soit aujourd’hui devenu plus important que l’avis de l’administration, pour la négociation d’un traité succédant à Kyoto.

Ce qui nous paraît important de noter, c’est la convergence des pressions et des dynamiques. Il y a d’une part la position extraordinairement affaiblie de l’administration couplée à son hostilité à la lutte contre la crise climatique ; il y a d’autre part la dynamique du côté des Etats, soutenus par le Congrès, dans cette lutte contre la crise climatique. Enfin, il y a la dynamique incontrôlable de la crise climatique, qui est en train de s’imposer comme le problème majeur auquel nous sommes confrontés, et qui impose des évolutions également incontrôlables. Le tout est un cocktail peut-être explosif pour la cohésion interne du système fédéral US.