La crise coréenne historique : Washington passe la main

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Quoi qu’il en soit de cette crise nord-coréenne dont on fait fort grand cas dans les cénacles du système, dans la perspective apocalyptique courante dans ce même système lorsqu’il ne s’agit pas de ses propres infamies, un fait historique s’est subrepticement imposé. Les Etats-Unis ont officiellement abandonné leur rôle de leader du monde, – ce n’est pas une surprise pour nous, mais c’est un beau symbole.

Le texte de CNN.News du 24 novembre 2010 nous informe suffisamment là-dessus : une litanie sans fin d’appels à la Chine pour qu’elle intervienne en tant que leader dans cette crise et ramène la Corée du Nord “à la raison”. Parmi toutes les déclarations en ce sens, on mettra en exergue celle de l’amiral Mullen, président du Joint Chief of Staff, parce que c’est l’imprimatur officiel de l’establishment militaire US concernant cette abdication du rôle stratégique prépondérant des USA, partout et dans toutes les circonstances sérieuses où des intérêts stratégiques majeurs sont en cause : «It's really important that Beijing lead here…», ou encore «China has to lead…»

En langage des cartes, cela se dit “Je passe”, – voire, pour être plus clair : “Je me couche”, cela de la part de la puissance US du point de vue de sa prétention à la prépondérance universelle… Sans aucun doute, un moment historique, dont la presse-Pravda US ne fait pas ses choux gras.

«With top U.S. officials continuing to declare that help from China will be key in calming tensions between North and South Korea, President Obama is planning to call Chinese President Hu Jintao in the next few days to discuss the critical situation, according to senior administration officials.

»The phone call will come just days after Obama held a bilateral meeting with Hu on the sidelines of the G-20 summit in Seoul, South Korea, where administration officials were quick to tout the fact that it was the seventh face-to-face meeting the two leaders have had since Obama took office.

»“I think that the region looks to the United States, with respect to China, to engage in a positive, constructive relationship with China,” White House National Security Adviser Tom Donilon told reporters in Asia earlier this month. “We obviously pursue our interest; they pursue their interest. But I think the region looks to us to engage that relationship and manage that relationship in a positive and constructive way.”

»Obama is also to planning to host Hu for an official visit to Washington in early January, but the relationship will be tested much sooner with U.S. officials already putting not-so-subtle public pressure on China to step up now to cool tensions on the Korean Peninsula.

»U.S. officials say China's help is key in getting North Korea to ratchet down the crisis caused by Pyongyang's deadly strike on a South Korean military installation.

»Adm. Mike Mullen, chairman of the Joint Chiefs of Staff, said Wednesday in a CNN interview that, “It's really important that Beijing lead hère” to help diffuse the situation because of its ability to break through and communicate with the secretive North Korean regime. “I've believed for some time that probably the country that can influence North Korea the most is – is clearly China,” Mullen said in an interview for this weekend's edition of CNN's ‘Fareed Zakaria GPS.’ Mullen also alluded to China's desire for stability in the region, as well as its economic ties to North Korea, by saying that “China has as much to lose as anybody in that region with the continuation of this kind of behavior and what the potential might be.”»

Notre commentaire

@PAYANT Que n’a-t-on entendu cette phrase, même lorsqu’elle n’était suivie d’aucun effet : “US has to lead”, qui constituait une sorte de “Sésame” impliquant l’onction sacrée de la légitimité (autoproclamée, cela va de soi) de l’empire de la toute-puissance US, clinquante et ferraillante, sur le reste du monde (ROW pour les intimes). Aujourd’hui, même la rhétorique a disparu, et c’est un point essentiel tant la rhétorique, c’est-à-dire l’un des produits essentiels du système de la communication, fait partie de la puissance elle-même, selon les “valeurs” de cette étrange époque… «China has to lead…», cette phrase est historique, nullement pour le rôle ainsi dévolu à la Chine, dont nous avons les plus grands doutes qu’il soit conforme à ce que les experts, stratèges et autres esprits occidentalistes-américanistes avancés de notre temps impliquent à cet égard, mais simplement parce que les lettres “US” ont disparu de cette courte phrase-slogan et que c’est notamment le chef de toutes la puissance militaire US qui prononce cette nouvelle version.

La Chine a d’ailleurs pris son rôle en main, mais à sa façon qui n’est effectivement pas l’occidentaliste-américaniste, en condamnant l’exercice naval que les USA préparent avec la Corée du Sud, avec l’envoi d’un groupe de bataille autour d’un porte-avions, comme elle avait condamné auparavant l’attaque nord-coréenne. (Daily Telegraph du 25 novembre 2010.) La position de la Chine est donc claire : elle n’est pas une “représentante” de cette communauté internationale-là qui condamne unilatéralement la Corée du Nord et encourage des manifestations de force contre ce pays, mais une puissance (leader, puisqu’il en est ainsi) qui veille à ce que rien ne vienne augmenter la tension déjà grande dans la zone, et condamne par conséquent cette manifestation de force US… Ce faisant, et fort logiquement, elle dénie aux USA le rôle de représentation de cette communauté internationale avec sa condamnation unilatérale, type exécuteur des hautes œuvres sous la forme du bras séculier qu’implique l’envoi d’un porte-avions. Réponse du berger à la bergère, de la Chine aux USA : “Puisque vous nous reconnaissez le rôle de leader, alors conformez-vous à nos instructions pour ce qui concerne l’usage de votre quincaillerie”.

D’un autre point de vue et compte tenu de l’alarme considérable, presque hystérique, qui a accompagné ce tir d’obus nord-coréens dans la communauté internationale si sensible à cette sorte de manifestation (sauf lorsqu’elle est israélienne ou américaniste, soyons juste), tout cela permet également de confirmer l’abdication US dans cette affaire, notamment de ce point de vue de la quincaillerie qui est une chose si chère à la politique sophistiquée de sécurité nationale de cette puissance. Outre de reconnaître le rôle leader de la Chine, – et ceci expliquant en bonne partie cela, – les USA ne sont capables d’envoyer sur place qu’un seul porte-avions, ce qui est une force absolument insuffisante pour faire peser une véritable menace de type américaniste contre la Corée du Nord (d’autant que les forces US en Corée du Sud, y compris aériennes, sont considérablement amaigries). Nous parlons en termes d’influence par le biais de la quincaillerie, et constatons que les USA n’ont plus la quincaillerie pour substantiver l’influence qu’ils prétendaient jusqu’ici exercer.

Tout y est pour ce moment historique de l’aveu… Une crise montée en épingle, devenue par conséquent vitale pour la liberté et l’avenir d’un monde si satisfaisant sous l’empire du système, dans une région où les USA ont des intérêts stratégiques évidents (main-mise sur la Corée du Sud et Taïwan, sur le Japon), et pourtant où les USA sont obligés de passer la main, d’en appeler d’une façon pressante à la Chine, tout cela sous un flot de rhétorique mielleuse où l’on oublie toutes les acrimonies (précision du nouveau directeur du NSC à propos des récente rencontres, au G20, de BHO avec l’honorable monsieur Hu : «[“T]here was not any kind of heated exchanges on currency or any other issues” when Obama and Hu sat down face-to-face earlier this month»). Le seul avantage d’Obama, de sa froideur, de sa distance des choses, c’est qu’il n’hésite pas, en certaines occasions, à dire et à faire dire les choses sans ambiguïtés, pour que personne ne s’y trompe. La chose est donc claire parce qu’elle est dite : les USA “passent la main”. Rien n’est assuré quant à ce qu’en fera la Chine, si même elle tient à “prendre la main” à la façon US, ce qui nous étonnerait grandement. Il importe surtout que les USA en soient où ils en sont, ce qui aura les répercussions hystériques qu’on imagine au Congrès, chez les républicains chauffés à blanc, mais aussi chez les “alliés”, c’est-à-dire les vassaux des USA en Asie, de la Corée du Sud au Japon, en passant par Taïwan, qui commenceront à comprendre ce que la protection impériale US signifie aujourd’hui. En attendant sa prochaine attaque, on peut ainsi reconnaître à la dynastie surréaliste des Kim & compagnie qui dirige la Corée du Nord, une certaine utilité objective dans la marche endiablée et précipitée des affaires du monde.


Mis en ligne le 26 novembre 2010 à 11H55