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808Les représentants des institutions européennes et des 17 gouvernements des pays membres de la zone euro se sont mis d'accord in extremis le 26 octobre sur un dispositif complexe permettant à la Grèce de faire face à ses dettes publiques sans être obligée de quitter l'euro. Ce dispositif pourrait éventuellement être étendu à l'Italie, également menacée. Mais de l'avis général, il sera insuffisant pour résoudre les problèmes d'endettement à venir de ces pays, comme ceux des autres Etats membres de la zone euro. A plus forte raison, il ne pourrait être étendu aux déficits des 10 Etats membres de l'Union européenne mais non membres de la zone euro, si ceux ci-en ressentaient le besoin. Il faudrait donc d'urgence voir plus loin, en vue de solutions durables à long terme. Celles-ci supposeront la mise en place d'un noyau dur fédéral organisé autour d'un gouvernement économique et financier de la zone euro. Beaucoup en parlent mais les décisions importantes restent à prendre.
Deux questions de fond restent posées:
1. Concernant les dettes des Etats, pour quels objectifs et dans quelles limites les Etats européens peuvent-ils s'endetter? Autrement dit, comment distinguer les bonnes dettes des mauvaises?
2. L'euro étant une monnaie commune, comment gérer au niveau de la zone euro les décisions nationales relatives à ces dettes lorsque leur importance excède les capacités de remboursement des Etats pris individuellement ? La question est généralement formulée de façon plus explicite: qu'attendent les 17 Etats-membres de la zone euro pour mettre en place un début de fédéralisme, sous la forme d'un gouvernement économique et financier commun capable d'harmoniser les politiques budgétaires et économiques nationales, à commencer par celles se traduisant en termes de dépenses et recettes? Comment définir un tel “gouvernement pré-fédéral”? Que devraient être ses objectifs et ses moyens d'action?

Ces questions ne peuvent être abordées sur un plan purement technique. Elles supposent un regard politique et même géopolitique. Beaucoup des intérêts économiques dominant en Europe, qu'ils soient non-européens ou même européens (ceux que l'on nomme les Transnational Corporations, TNC), ne veulent pas d'un tel gouvernement économique et financier de la zone euro. Ils veulent continuer à diriger et spéculer sans entraves. Les peuples, ou à défaut les majorités social-libérales au pouvoir ou aspirant à gouverner à la suite des prochaines élections, devraient au contraire en faire leur priorité. Nous aimerions pour notre part entendre le candidat du Parti Socialiste français François Hollande confirmer clairement que ce sera pour lui la première des priorités. Le programme d'une future majorité de gauche en France devrait donc être précisé ou modifié en ce sens. Des contacts avec nos voisins, notamment l'Allemagne, devraient par ailleurs être pris sans attendre. 

Rappelons cependant que selon nous et pour beaucoup d'observateurs, une telle structure ne serait viable à long terme que dans le cadre d'une modification profonde des Traités conduisant à une Europe fédérale à 27, dont les 17 Etats utilisant l'euro seraient le noyau dur. Qu'il s'agisse des 27 ou des 17, il faudra mettre en place un Parlement élu au suffrage universel commun, capable de négocier avec les exécutifs les grandes lignes des politiques communes. Nous ne traiterons pas de cette question dans le présent article.
Appelons pour simplifier dettes publiques ou dettes souveraines celles que souscrit le gouvernement d'un pays pour couvrir les déficits de ses budgets, budgets de fonctionnement ou budgets d'investissement. Il le fait en émettant des emprunts, soit auprès de diverses institutions financières, soit sous forme de bons du Trésor offerts sur les marchés financiers. Il faut apprécier l'opportunité de ces emprunts d'une part en fonction des dépenses qu'ils visent à couvrir et d'autre part au regard des prêteurs à qui l'on s'adresse.
1.1. Les bonnes dépenses
Celles-ci sont de deux natures. On distingue classiquement les dépenses de fonctionnement (Titre 2 et 3 du budget français) et les dépenses d'investissement (Titre 5 et une partie du titre 6). Aux dépenses de fonctionnement s'ajoutent le paiement des intérêts de la dette. (voir, concernant la loi de finances 2011, le tableau proposé par le site Educnet destiné aux enseignants et étudiants). Les mêmes distinctions peuvent être faites, en ce qui concerne les budgets des collectivités locales de toutes natures, budgets très important dans les Etats à structure fédérale comme l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie. Les budgets sociaux (santé, sécurité sociale, chômage), lorsqu'ils ne sont pas directement pris en charge dans le cadre des dépenses du budget général, s'ajoutent aux dépenses relevant des différents titres des lois de finance.
La tradition et le bon sens veulent que les dépenses de fonctionnement soient financées par l'impôt. Elles sont indispensables à la bonne marche de l'Etat. Il est donc normal que tous les citoyens concurrent à leur prise en charge, compte tenu de leurs facultés contributives. Il est de la responsabilité politique de chaque majorité gouvernementale de faire en sorte que ces dépenses soient calculées au plus juste, afin d'éviter toutes dérives, notamment électoralistes. De même faut-il mettre en place des régimes fiscaux répartissant équitablement le poids de l'impôt, entre personnes physiques et entreprises, d'une part, en fonction des ressources respectives de ces deux grandes catégories, d'autre part.
L'appel à des emprunts pour couvrir ces dépenses de fonctionnement ne devrait être accepté que dans un cadre annuel, pour faire face aux problèmes de trésorerie, découlant de décalages entre les rythmes de dépense et de recettes. L'emprunt serait par ailleurs acceptable en cas de dépenses exceptionnelles, dues par exemple à des catastrophes naturelles. Mais les années suivantes, les dettes ainsi souscrites devraient être remboursées au plus vite.
On sait que, depuis des décennies, un certain nombre d'Etats européens n'ont pas respecté les règles ci-dessus. Les budgets de fonctionnement demeurent votés en déséquilibre, sans volonté affichée de redressement. Les déficits budgétaires en résultant ont été couverts par des emprunts faits auprès des marchés financiers, nationaux ou internationaux, notamment sous forme d'offres de bons du trésor. Parallèlement, les régimes fiscaux n'ont pas été adaptés à l'évolution des activités et des rémunérations. Ils continuent à pénaliser ce qui est le plus facile à imposer, les salaires et les dépenses de consommation les plus visibles.
Depuis quelques années, par ailleurs, les comportements occultes, visant à pervertir les processus rappelés ci-dessus, se sont multipliés. Ils ont profité de la numérisation et de l'internationalisation des flux économiques et financiers. Tous les Etats en ont souffert, mais certains d'entre eux, en Europe, en ont été victimes (ou complice) à un point tel qu'ils deviennent des dangers pour ceux de leurs voisins s'efforçant à des règles plus strictes. Les fraudes et activités illégales sinon criminelles, interviennent dans les deux domaines des dépenses et des recettes. De fausses dépenses de fonctionnement s'imputent sur les budgets, alors qu'elles résultent d'activités privées. Des fuites et fraudes en matière de revenus permettent à une part croissante de la matière imposable de se dissimuler dans des banques pratiquant le secret ou dans des territoires, dits paradis fiscaux ou réglementaires, vivant exclusivement des bénéfices qu'ils retirent de ces activités.
Il est résulté de ces deux phénomènes une hausse devenue insupportable de l'appel à l'emprunt pour couvrir les déficits des budgets de fonctionnement des collectivités publiques. Or la crise des dettes souveraines européennes ne sera résolue à long terme que si les Etats acceptent d'assainir leurs budgets de fonctionnement. Il faudra pour cela éliminer les dépenses les moins utiles à la bonne marche de l'Etat et moderniser les systèmes fiscaux. Parallèlement, les Etats devront lutter plus efficacement contre les détournements de procédures et les fraudes. Ceci suppose des effectifs de contrôle de plus en plus nombreux et de mieux en mieux armés. On estime que plus du quart des déficits budgétaires pourraient être résorbés si ces comportements frauduleux étaient combattus avec efficacité.
Politiquement, ces efforts d'assainissement seront difficiles. Mais les majorités au pouvoir, comme les forces politiques aspirant à les remplacer, devront se persuader qu'en Europe, les yeux s'ouvrent de plus en plus. Au delà de la pression des lobbies qui militent efficacement pour que rien ne change, émerge une frange de l'électorat désormais capable, notamment dans la cybersphère, de démêler les mensonges des vérités, les promesses tenables et celles qui ne le sont pas. Il serait de bonne augure pour la démocratie qu'en France, les affirmations de la majorité présidentielle comme les programmes de la gauche visant à prendre le relais, soient rectifiés en conséquence de tels examens critiques.
Les dépenses d'investissement sont de toute autre nature. Elles sont en principe “bonnes ” car destinées à financer des investissements qui seront rentables à terme: par exemple la construction d'infrastructures industrielles, de centres universitaires ou d'aides ciblées à des laboratoires de recherche dont les dépenses dépassent la capacité de financement par les budgets annuels. Si ces investissements sont bien gérées, ils rapporteront des produits générant eux-mêmes des activités pouvant à terme contribuer à l'augmentation des ressources fiscales. Les dettes seront donc remboursées. Il suffira de faire appel à un mécanisme d'emprunt à long terme permettant de faire la soudure entre les dépenses d'aujourd'hui et les recettes de demain.
Dans des Etats (de plus en plus rares malheureusement) où la puissance publique conserve un rôle de pilotage global, ces dépenses sont indispensables. Elles doivent en priorité être financées par les budgets d'investissement, eux-mêmes supportés par des recettes fiscales adéquates. Si l'appel à l'emprunt se révèle utile, il faudra s'assurer que les prêteurs ne se substituent pas à la puissance publique dans le choix des investissements à prendre en charge. Financer une ligne de transport ferroviaire n'a pas le même impact politique que financer une section d'autoroute.
Aujourd'hui par ailleurs, il faut se persuader que beaucoup d'investissements dits stratégiques n'auront de sens que s'ils sont partagés par une coopération entre plusieurs Etats européens voisins, voire avec les budgets communautaires. Des négociations européennes s'imposent donc pour décider des choix à faire ainsi que des moyens à mobiliser. Le concept de Fonds stratégique européen d'investissement s'impose alors. Il pourra être décliné selon les domaines et les Etats ou collectivités régionales intéressées. Cette solution ne serait pas exclusive de celle apportée par la création d'une Banque publique d'investissement intervenant sous le couvert de la Banque centrale européenne (BCE) dont le statut serait modifié en conséquence. Pour être efficace, une telle banque devrait pouvoir mobiliser des fonds de 500 à 1.000 milliards d'euros. Ces points seront à régler dans le cadre du futur gouvernement économique et financier de la zone euro, évoqué dans le §2 ci-dessous.
Mais là encore se retrouve la question de l'électoralisme et de la fraude. Il ne faut pas s'illusionner. Les opérations d'investissement et les crédits nécessaires courront le risque d'être détournés soit par des gouvernements pour des raisons de clientélisme électoral, soit par des spéculateurs ou des hommes politiques corrompus. Le risque de détournement au niveau des collectivités locales est tout aussi grand. D'où la nécessité de prévoir, dans chaque Etat et au niveau européen, des dispositifs d'allocation soumis à un contrôle de gestion sérieux et à une évaluation démocratique a priori et a postériori efficace. Malgré ces risques, l'expérience semble montrer que les investissement public atteignent leurs objectifs beaucoup plus souvent que des investissements privés ou mixtes (dans le cadre de partenariat dits publics-privés).
Les Etats européens riches devraient pouvoir s'accommoder de telles règles de bonne gestion. Mais ces règles limiteront considérablement les possibilités d'action budgétaire des gouvernements en charge des pays les moins favorisés. A l'extrême, ceux-ci ne pourront même plus rémunérer des fonctionnaires pourtant indispensable à la bonne marche de l'Etat. Ce risque menace actuellement les pays européens du Sud, sommés de faire des économies. Des réactions sociales de plus en plus violentes en résulteront nécessairement. Pour éviter qu'en Europe, seuls les Etats les plus riches, ceux du nord, puissent disposer de budgets suffisants, il faudrait assurer des transferts entre Etats riches et Etats pauvres. C'est ce qui se fait au sein des Etats nationaux, entre collectivités locales inégalement prospères, sous forme de divers fonds de péréquation. C'est ce qu'à fait l'Allemagne de l'Ouest au profit de l'Allemagne de l'Est à la suite de la réunification.
Dans cet esprit, les Européens devront accepter des politiques communes volontaristes par lesquelles les pays riches organiseraient des transferts de richesse au profit des pays pauvres. Pour le moment, malheureusement, sauf à la marge (dans le cas des fonds structurels européens), de telles politiques n'existent pas en Europe. Il en résulte que dans l'immédiat se font pleinement sentir les inégalités de puissance économique entre Etats-membres. Or on peut difficilement demander à la Grèce d'imposer à ses ressortissants des modes de vie austères alors que la libre circulation des personnes et des biens conduit à transformer en standards communs les modes de vie des pays plus riches.
D'où le besoin inéluctable, à terme, d'une structure fédérale qui assurerait la péréquation des ressources et des charges entre les différentes composantes de l'Europe. Seul un Etat fédéral européen serait capable de faire admettre cette péréquation par l'ensemble des citoyens, capable aussi d'imposer des mesures visant à combattre les fraudes qui sont souvent à la source de beaucoup d'inégalités apparentes. 

1.2. Les bons prêteurs
Que ce soit pour financer les investissements ou, à la limite, les déficits des budgets de fonctionnement, les Etats doivent faire appel à des prêteurs extérieurs. Il conviendrait qu'ils sélectionnent ceux-ci avec le même soin qu'ils devraient mettre à sélectionner leurs dépenses. Certains Etats font appel à leurs propres épargnants pour couvrir leurs emprunts. C'est le cas, souvent cité, du Japon. C'est aussi, dans une large mesure, celui de la Chine. Mais il faut pour cela qu'ils disposent d'une épargne privée importante et mobilisable. Il faut aussi qu'ils acceptent le risque d'un effondrement général de l'économie si pour une raison ou une autre, ces épargnants ne pouvaient plus être remboursés. L'Europe présente, nous l'avons vu, trop d'inégalités entre puissances économiques et donc entre épargnes pour faire financer à grande échelle par ses propres citoyens les emprunts émis par ses Etats. A petite échelle cependant, nous pensons que les fonds stratégiques européens d'investissement mentionnés ci-dessus pourraient tirer une partie de leurs ressources de “dettes perpétuelles”, c'est-à-dire non remboursable mais négociables, s'adressant à des épargnants européens, y compris petits épargnants, qui subsistent dans des pays restés relativement riches comme la France.
Une solution fortement recommandée aujourd'hui, mais interdite par les statuts de la Banque centrale européenne, consisterait à faire payer par la BCE, sous forme de création d'euros, une partie des dettes souveraines européennes. En pratique, celle-ci achèterait les bons du trésor ou les titres d'emprunts émis par les Etats en difficulté. L'Allemagne et les Etats du Nord s'opposent encore à cette solution, de peur qu'elle favorise une reprise non contrôlable de l'inflation. Mais les vrais opposants proviennent du secteur bancaire, Les banques, y compris les banques européennes, perdraient de cette façon les commissions que leur procure la recherche de liquidités sur les marchés financiers. Plus en profondeur, les intérêts privés, européens ou transnationaux, perdraient une partie du pouvoir qu'ils acquièrent sur les Etats en finançant leurs emprunts.
La solution jusqu'ici retenue par tous les Etats européens, qu'ils participent ou non à la zone euro, a été de faire appel aux marchés, soit par émissions de bons du trésor, soit par l'intermédiaire d'emprunts d'Etat ou garantis par l'Etat. Dans tous les cas, ces procédures conduisent inévitablement les puissances publiques à donner un droit de regard sur leurs politiques régaliennes aux préteurs, c'est-à-dire à des intérêts privés pouvant ne pas avoir les mêmes objectifs. Longtemps les Etats occidentaux se sont tournés vers des épargnants de leur mouvance politique, par exemple fonds de pensions et caisses d'épargne s'adressant à des nationaux ou des tiers de confiance. Mais avec la ruine de beaucoup de ces fonds patrimoniaux, ils se sont adressés à des fonds spéculatifs transnationaux beaucoup plus exigeants en termes de rendement et de délais de remboursement. Ils se sont ainsi soumis aux emprises des banques et fonds d'investissement américains, dont beaucoup étaient non seulement spéculatifs mais délibéreraient malhonnêtes. 

Aujourd'hui, faute de ressources suffisantes provenant des épargnants du monde occidental, les Etats européens sont tentés de faire comme l'Amérique, puiser dans les épargnes accumulées par les pays asiatique, au premier rang desquels la Chine, qui exportent beaucoup vers les pays occidentaux et dépensent très peu sur leur marché intérieur. 

Les gouvernements européens sont longtemps restés très méfiants à l'égard des prêts consentis par la Chine. N'était-ce pas introduire dans leur zone économique non pas des épargnants ou actionnaires anonymes mais des fonds d'investissement très puissants, largement contrôlés par l'Etat et animés d'une forte volonté de conquête. Pour leur part, les pouvoirs publics américains ont semblé considérer jusqu'à très récemment qu'un tel risque n'existait pas. A quoi bon imposer les contribuables nationaux si la Chine fournissait les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques américaines? Mais ce raisonnement est de moins en moins admis par les économistes nord-atlantiques d'inspiration keynésienne, comme Paul Krugman.
La Chine prête des dollars à l'Amérique à condition que celle-ci achète les produits industriels fabriqués en Chine. Certes ceux-ci sont vendus à bas prix, mais les importer au lieu de les produire, fut-ce à un coût plus élevé, s'est traduit par une forte désindustrialisation de l'économie américaine et la multiplication du chômage. Les mouvements d'Indignés qui se généralisent en résultent. Les conseils d'administration des entreprises américaines du groupe des TNC (transnational corporations) en ont bénéficié, mais les bénéfices enregistrés n'ont pas été réinvestis dans l'économie réelle américaine. Les seuls secteurs en ayant profité ont été ceux des recherche/développement à usage militaire. Le considérable budget de recherche du Pentagone permet ainsi d'entretenir un potentiel de défense dont même la Chine est obligée de tenir compte.
Il faut voir cependant que l'Amérique se protège par l'interventionnisme de l'Etat fédéral. Celui-ci, qui contrôle la banque centrale (Fed), dispose d'une grande latitude pour émettre des dollars en fonction des besoins. Il peut ainsi, d'une part obtenir les dollars dont il a besoin en interne et d'autre part influer sur la valeur des dollars détenus par les prêteurs chinois, obligeant ceux-ci au respect d'un certain nombre de règles concourant à la sécurité nationale.
L'Europe n'étant pas une puissance fédérale et ses gouvernements ne pouvant pas par ailleurs faire appel à des émissions ou achats d'euros par la BCE qui sont interdits par le statut de cette dernière, ne peut espérer pour le moment faire jeu égal avec la Chine, ni d'ailleurs avec l'Amérique. Elle devrait donc se méfier des diverses propositions de Pékin visant à prendre en charge une partie des dettes publiques européennes. Ces aides ne seront pas sans contreparties. Leurs conséquences stratégiques pourraient être extrêmement néfastes, en termes de perte d'indépendance de l'ensemble européen vis-à-vis de la puissance chinoise. C'est ainsi que, à la date du 25 octobre, le gouvernement chinois a proposé , en échange du rachat de certaines dettes européennes, d'être admis comme partenaire de plein droit au sein de l'espace économique européen. Ceci interdirait de facto les mesures de rétorsion protectionnistes dans les domaines ou les entreprises chinoises ne respectent pas les règlements et contraintes européennes. Est-ce une telle capitulation que sont allés ce jour négocier à Pékin des représentants des institutions européennes? 

De son côté, le recours aux prêts du Fonds monétaire international (FMI) n'est guère plus recommandable, en ce qui concerne les dettes publiques des pays européens. Le FMI est très largement l'agent des intérêts dominant à Wall Street et Washington. Ses interventions ont toujours visé à étendre le champ du capitalisme néolibéral anglo-saxon, aux dépends des pouvoirs de décision et de régulation des Etats et des secteurs publics.
On peut conclure de ce qui précède que le recours à la BCE pour prendre en charge tout ou partie des dettes souveraines européennes devrait s'imposer. Mais il faudrait pour cela que les dépenses des gouvernements générant ces dettes aient été contrôlées par une autorité extérieure. Ce devrait être, dans un premier temps, la tâche du gouvernement économique et financier de la zone euro de plus en plus sérieusement envisagée. 

Depuis longtemps cette exigence avait été formulée par des critiques des traités européens tels que Jean-Pierre Chevènement leur reprochant leur excès de libéralisme. Nous l'avions nous-mêmes reprise dans notre essai de 2008 (avant la crise dite des subprimes) intitulé L'Europe ou le vide de puissance. Essai sur le gouvernement de l'Europe à l'ère des super-Etats. En pratique, quelques timides mesures ont été récemment étudiées, notamment entre l'Allemagne et la France, visant par exemple à l'harmonisation des taxes sur les entreprises. D'autres ont été évoquées lors de la réunion entre chefs d'Etats de la zone euro du 26 octobre. Mais le compte est encore loin.
Comment pourrait-on rapidement définir un gouvernement économique et financier de la zone euro. Il pourrait s'agir d'une autorité indépendante relevant du pouvoir exécutif européen. Il associerait des représentants désignés par les gouvernements concernés, ainsi que par la Commission européenne et de la BCE. Mais une fois nommés, pour une durée déterminée, ces personnalités seraient dotées d'un statut et de moyens de fonctionnement garantissant leur liberté d'action, sur un modèle proche de celui dont dispose la BCE par son statut actuel. On serait tenté de dire qu'il s'agirait d'un super-ministère des finances européen. Mais le limiter à ce statut de ministère des finances l'empêcherait de prendre en considération tous les autres domaines dont il devrait assurer l'harmonisation, notamment en termes de politiques fiscales, douanières, industrielles, sociales.
Il devrait s'agir en fait d'un mini-gouvernement fédéral opérant pour le compte des Etats de la zone euro et des institutions européennes. Mais en ce cas se posera vite la question de sa légitimité démocratique. Il devra dans un premier temps rendre compte de son action au Parlement européen, puis participer à un processus de co-décision avec celui-ci. Le Parlement européen lui-même devrait, si la marche vers des Etats-Unis d'Europe se confirmait, être élu au suffrage universel européen, selon des modalités que nous n'examinerons pas ici.
Les pouvoirs du gouvernement économique et financier de la zone euro ainsi envisagé pourraient devenir progressivement très larges, dans des secteurs concédés par les Etats utilisant l'euro. En fonction des besoins internes à l'Europe et de l'évolution de la concurrence internationale, il mettrait en place des coordinations budgétaires, monétaires, fiscales et de contrôle aux frontières de la zone euro, dans le cadre d'une ouverture sur la base de la réciprocité. Il veillerait aussi à harmoniser le contrôle prudentiel sur les banques, institutions financières et agences de notation opérant en Europe. De véritables administrations fédérales, sous forme de petites équipes dotées d'importants pouvoirs de contrôle, seraient en conséquence à prévoir.
Seul un dispositif du type examiné ici pourrait répondre à la question constamment posée aujourd'hui: en quoi la participation à la zone euro protège-t-elle et renforce-t-elle les Etats membres? Il faut répondre à cette question en se projetant dans un futur proche, celui résultant de la mise en place du gouvernement économique et financier que nous venons d'esquisser. On notera que si cette protection devenait effective, elle créerait des inégalités avec les 10 autres membres de l'Union européenne n'ayant pas voulu ou pas pu adopter la monnaie commune.
Aujourd'hui, l'euro, géré par la BCE, permet principalement trois choses: donner un visage monétaire à la zone euro, ce qui est important dans un monde où seuls s'imposent durablement les grands ensembles - favoriser les échanges commerciaux internes à la zone en simplifiant les opérations de change - lutter contre l'inflation laquelle est la grande crainte de l'Allemagne, en réglementant les tentations de création de monnaie pour résoudre les déficits budgétaires et commerciaux. Cela est de moins en moins suffisant.
Si les négociateurs du traite de Maastricht étaient allés jusqu'au bout de leur logique: mettre en place un gouvernement économique et financier commun dont l'euro aurait été l'un des instruments, la zone euro aurait pu devenir une véritable puissance géostratégique, capable de faire jeu égal avec les autres zones monétaires (dollar, yuan, yen) et les pouvoirs régaliens qui les inspirent. Mais il n'est pas trop tard pour rattraper cette erreur monumentale.
Il faut bien voir cependant que les aimables discussions de droit constitutionnel concernant la fédéralisation progressive de l'Union européenne, sous la pression d'un noyau dur représenté par les Etats de l'euro, doivent tenir compte du facteur politique majeure que nous avons déjà évoqué. Il s'agit du fait que les pouvoirs financiers, européens ou internationaux, qui dominent l'Europe ont toujours refusé la mise en place de procédures et d'institutions publiques permettant d'échapper au passage obligé par « les marchés » pour financer les emprunts des entreprises et des gouvernements européens. De ce fait les marchés, dont l'influence est considérablement augmentée par le pouvoir prédictif des agences de notation, peuvent se réserver le monopole des bénéfices tirés de leurs activités de prêts aux Etats. Ils peuvent, ce qui est bien plus lourd de conséquence, leur imposer sous prétexte de redressement des mesures d'économies ou de « réforme » des administrations publiques. La conséquence inéluctable en est la disparition des services publics et leur remplacement par des compagnies privées d'ailleurs plus coûteuses et moins efficaces, comme le montre amplement l'exemple américain.
Un certain nombre d'experts et hommes politiques européens dits souverainistes font valoir qu'un retour aux monnaies nationales permettrait de dévaluer celles-ci librement, en tant que de besoin, pour faciliter les exportations. Mais cet argument ne serait recevable que de la part d'un très grand pays européen, essentiellement l'Allemagne – qui pour le moment n'en formule pas l'exigence, la zone euro lui offrant une sorte de marché captif. En cas de sortie de l'euro, les pays économiquement plus faibles paieraient la prime à l'exportation résultant d'une monnaie faible par un renchérissement vite insupportable de leurs importations essentielles. Ils s'engageraient dans une course inflationnistes dont souffriraient tous les revenus fixes ou déclarés. Les souverainistes font en fait le jeu, inconsciemment ou volontairement, des TNC, Transnational Corporations, pour qui l'Europe devrait rester indéfiniment un marché ouvert à coloniser.
Les réalités et contraintes sommairement évoquées dans cet article sont encore mal perçues par les gouvernements européens. Seules les TNC qui font très largement la loi en Europe en ont compris l'importance. Mais elles ne veulent rien changer aux répartitions de pouvoir actuelles, puisqu'elles en tirent profit. Concernant la France, nous pensons que le gouvernement issu des futures élections de 2012 serait très avisé d'en tenir compte. D'où la nécessité de le faire dès maintenant dans l'élaboration des programmes pour les 5 prochaines années, qu'il s'agisse de ceux de la droite encore au pouvoir ou de la gauche qui aspire à prendre le relais.
Jean-Paul Baquiast
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