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2 février 2004 —“Les patrons tremblent sur leurs bases. On fait le nécessaire pour les sauver”, écrivions-nous, — mais cela sera-t-il suffisant ? Il y a un aspect insaisissable dans la crise qui est sa caractéristique la plus remarquable avec sa rapidité (les deux caractéristiques allant de pair : insaisissable en grande partie, parce que si rapide). Aujourd’hui, on assiste au déroulement d’une logique de déstructuration du pouvoir anglo-saxon, — les deux, britannique et américain, pour une fois très proches, conformément à leurs discours, mais c’est très proches dans l’intensité des crises qu’ils subissent.
La raison de cet étrange phénomène pourrait être que, au vu des précisions et révélations qui s’accumulent, des explications nouvelles s’offrent à nous. Cette énorme montagne de crise qu’est l’affaire irakienne accouche par instants de curieuses souris.
Parmi les précisions intéressantes qui nous arrivent, en voici quelques-unes qui méritent quelques instants de réflexion.
• D’abord, la révélation apportée par The Observer, hier, que les officiels américains savaient, dès le courant mai 2003, qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive (AMD) en Irak.
« Among those interviewed by The Observer was a very senior US intelligence official serving during the war against Iraq with an intimate knowledge of the search for Iraq's WMD. “We had enough evidence at the beginning of May to start asking, ‘where did we go wrong?’, he said last week. We had already made the judgment that something very wrong had happened [in May] and our confidence was shaken to its foundations.”
» The source, a career intelligence official who spoke on condition of anonymity, was also scathing about the massive scale of the failure of intelligence over Iraq both in the US and among its foreign allies — alleging that the intelligence community had effectively suppressed dissenting views and intelligence.
» The claim is confirmed by other sources, as well as figures like David Albright, a former UN nuclear inspector with close contacts in both the world of weapons inspection and intelligence. “It was known in May, Albright said last week, that no one was going to find large stockpiles of chemical and biological weapons. The only people who did not know that fact was the public.” »
Les implications de ces révélations sont considérables. Elles signifient que l’équipe de David Kay (qui vient de démissionner), reformée en septembre 2003 à partir de l’équipe initiale de recherche des AMD en Irak et présentée partout comme une initiative de la Maison-Blanche pour “régler” le problème des ADM (c’est-à-dire, en trouver), a commencé ses recherches en Irak alors qu’il était connu qu’on ne trouverait rien. Elles signifient que Blair a affronté toute la crise du suicide de David Kelly, les auditions du juge Hutton, etc, avec cette information cruciale à l’esprit. Et ainsi de suite.
Mais il y a mieux, ou pire, si l’on adopte un point de vue froidement réaliste ou cynique. Si tout le monde savait qu’il n’y avait pas d’ADM en Irak, dans des gouvernements rompus à toutes les manipulations diverses, connues sous le nom de “communication”, pourquoi n'a-t-il pas été décidé de monter une opération secrète pour mettre en place de fausses ADM, et ainsi écarter l’essentiel des effets désastreux de la crise qui éclate aujourd’hui ? Ce contraste entre la perversion complète du processus qui conduisit à la guerre, où toutes les informations étaient manipulées (consciemment ou pas, peu importe pour ce cas), et la naïveté surprenante de l’attitude qu’on découvre ici, est sans doute le fait le plus étrange de cette affaire.
Nous ne tenterons pas d’expliquer cette étrange situation par un subit accès de vertu, comme une contagion inattendue, bien qu’il ne faille pas écarter cette possibilité hollywoodienne. Une autre approche nous est suggérée, qui nous semble plus adéquate, qui rejoint nos diverses hypothèses sur le virtualisme. Elle ne donne pas une réponse directe à notre question mais permet de voir combien les hypothèses psychologiques, concernant le comportement des directions occidentales, ne cessent de gagner du terrain. Les bizarreries de comportement deviennent alors plus faciles à envisager, même sans réponse précise.
• Dans une chronique qui examine le comportement des services de renseignement anglo-saxons,
Martin Woollacott, dans le Guardian du 31 janvier, examine comment, littéralement, selon le titre qu’il nous propose, « Our spies were hostage to their mistrust of Saddam — The Iraq intelligence failures built up over more than a decade. » La chronique de Woollacott est intéressante dans la mesure où elle va franchement au coeur du problème en posant l’hypothèse que, dans cette confusion, dans cette valse d’évaluations et de mensonges qui n’en sont pas complètement, il semble bien qu’on ne sache pas vraiment pourquoi “nos gouvernements” sont partis en guerre, — et, au-delà, parce que nous disposons de plus en plus d’informations que ces gouvernements sont obligés de donner, on peut avancer l’hypothèse que, désormais, ces gouvernements eux-mêmes ne savent plus, ou ne savent toujours pas pourquoi ils sont partis en guerre.
« Neither the Hutton report, nor David Kay's evidence before the Senate armed forces committee, have changed what we know about the beliefs and motives of the US and British governments before the war. We knew then and we know now that they believed he had some minor WMD holdings and expected to find them, or encounter them in battle. They were not lying when they said this, yet it was not the reason they went to war. If that reason was principally to do with weapons, it was to do with weapons not yet made, whose connection with the present was established only on the basis of an assumption about what was in Saddam's mind.
» Did our governments and our intelligence services know that mind as well as they thought they did ? A few, like Ritter, questioned the assumptions that grew up inside the secret world during the 90s. Tim Trevan, once spokesman for Rolf Ekeus, the first head of the UN special commission for Iraq, has commented on the contradiction between the objectives of disarmament and regime change. »
• Les révélations et informations qui continuent à affluer nous montrent de plus en plus des situations d’obsession, des “personnalisations” ou des “démonisations” qui relèvent plus de la pathologie que de la politique, aussi comploteuse fût-elle. Il est manifeste que nous sommes dans le domaine de la psychologie, pas dans celui de la stratégie, et que c’est bien la psychologie qui compte dans cette affaire. Maureen Dowd va au coeur des choses avec sa chronique consacrée à l’“effet-miroir” (la projection sur l’autre, qui est pourtant complètement différent, de sa propre psychologie, de sa propre logique, de son propre mode de pensée).
« Bush officials, awash in the vice president's Hobbesian gloom, deduced that Saddam would not hide if he had nothing to hide. Even after all their talk about a Bernard Lewis clash of civilizations and a battle of good versus evil, they still projected a Western mind-set on Saddam.
» Ms. Rice argued that the U.S. was right to conclude that Saddam had W.M.D. and attack him because the dictator was not behaving rationally. But why did she think someone President Bush deemed “a madman” would behave rationally?
» Cheney & Company were so consumed with puffing the intelligence to try to connect Saddam with 9/11, Al Qaeda and nuclear material, they failed to challenge basic assumptions.
» The closer the inspectors got to the truth that Iraq didn't have weapons, the more the Bush hawks asserted that only war would uncover weapons. Their threats to Saddam made him bluff that he had the weapons that they said he had.
» “Most intelligence failures are about missing something happening, said a former Bush official. What's so bizarre about this is, they thought something was happening that wasn't. This is right up there with Pearl Harbor and Bay of Pigs.” »
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