La crise devenue structure des USA (et du Système)

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La crise devenue structure des USA (et du Système)

Il est toujours intéressant, bien entendu, de s’attacher à des singularités de langage chez des auteurs habitués à manier le langage des spécialités qu’ils connaissent. Cette introduction un peu vague, – une “singularité de langage”, dira-t-on, – pour nous conduire à une chronique de Robert Reich (ce 29 juillet 2012 sur son site RobertReich.org, reprise sur Aljazeera.com le 7 août 2012). Le mot qui renvoie à cette “singularité de langage” est souligné de gras dans notre citation, qui résume le propos de Reich…

«The worst economy since the Great Depression and you might think at least one of the candidates would come up with a few big ideas for how to get us out of it. But you’d be wrong. Neither candidate wants to take any chances by offering any large, serious proposals. Both are banking instead on negative campaigns that convince voters the other guy would be worse. […]

»President Obama has apparently decided against advancing any bold ideas for what he’d do in the second term, even if he has a Congress that would cooperate with him. He’s sticking to a worn script that says George W. Bush caused the lousy economy, congressional Republicans have opposed everything he’s wanted to do to boost it… […] Mitt Romney is playing it even more cautiously. His economic plan is really a non-plan: more tax cuts for the rich, undefined spending cuts, and no details about how he’d bring down the budget deficit. No presidential candidate since Herbert Hoover in 1928 has been more vague about what he’d do on the critical issues facing the nation. [ …]

»The only thing the public will have decided is it fears and distrusts the other guy more. Which means the winner will also be burdened by almost half the electorate thinking he’s a scoundrel or worse. The worst economy since the Great Depression, but we’re in an anti-election that will make it harder for the next occupant of the oval office to do a thing about it.»

C’est en effet une “singularité de langage” de désigner comme “une économie” ce qui est, stricto sensu, habituellement désigné comme une “crise économique” (la pseudo-Grande Récession appréciée par comparaison à la Grande Dépression, une “crise” par rapport à une autre “crise”, selon le jugement habituel). Reich ne parle même pas de “situation économique”, c’est-à-dire qu’il n’emploie en aucun cas un terme désignant une “conjoncture”, une situation séquentielle, un épisode qui n’est pas appelé à durer par définition. Parler de la “pire économie” depuis la Grande Dépression, c’est impliquer qu’on parle de l’économie elle-même et nullement d’une phase crisique de l’économie. Ce n’est pas une révolution de la conception économique, ce n’est pas une révolution du langage, c’est une indication intéressante de la situation de la psychologie, notamment de cet économiste (Reich) et d’ailleurs d’un nombre grandissant d’économistes qui emploient ce langage devant une situation de “crise” qui s'éternise, ne se résout pas, s'aggrave plutôt, prend racine et s'installe dans notre vie courante...

Il s’agit d’exprimer le fait que c’est l’économie elle-même qui est devenue crise ; l’économie elle-même qui, en montrant la structure qu’on lui découvre, devient structure crisique, – ou bien, la chose considérée à l’inverse, c’est la structure crisique qui se révèle être simplement l’économie elle-même, telle qu’elle est aujourd’hui. La “crise” devient façon d’être et raison d’être à la fois du Système… En un sens, sans elle (sans la “crise”), le Système n’existerait plus : on trouve là une parfaite inversion et une illustration convaincante du binôme définissant le Système, le binôme surpuissance-autodestruction ; le Système a fait du processus d’autodestruction auquel il parvient une représentation convaincante de ce qui est habituellement considéré comme sa capacité de surpuissance. Reich en arrive, psychologiquement, au constat implicite qu’il est totalement, absolument inutile de chercher à réformer un Système dont l’économie est crise-en-soi ; il n’exprime pas ce jugement mais il n’est plus très loin de la réaliser sous cette forme.

Du coup, le reste devient logique et lumineux. Reich fustige l’inexistence absolue des deux candidats aux présidentielles, y compris bien entendu BHO, l’icône de quelques restes persistants de la croyance dans le libéralisme-progressisme, le multiculturalisme, l’antiracisme triomphant et toutes ces élégantes sornettes qui permettant d’entretenir les conversations de salon. (Le journaliste et dissident Paul Street note, dans un texte d’Aljazeera du 8 août 2012 : «It's very odd how for some progressives and liberals in this country wars, secret detentions and bailouts and violations of habeas corpus, that were heinous and terrible and hideous when an inarticulate white Republican from West Texas does it, becomes curiously okay when a sophisticated black lawyer does it.») Mais, en un sens, on pourrait considérer qu’il devient inopportun et injuste de reprocher aux deux candidats leur complet désintérêt pour la situation économique, et les souffrances sociales et psychologiques qui en résultent. Involontairement, Reich nous donne, avec sa “singularité de langage”, la clef de cette pseudo-énigme. Pour la paire BHO-Mitt, également, la “crise” est devenue structure crisique, puis “économie” en elle-même. L’“économie” n’est plus qu’une crise permanente, comme le Système lui-même, et il importe de ne pas s’en préoccuper pour les élections présidentielles. Chacun des deux candidats s’emploie donc effectivement à arranger sa campagne électorale selon la logique de la situation telle qu’il la perçoit désormais. Puisqu’il n’y a plus de problème de “crise” économique et donc plus de problème de situation, il s’agit de se rabattre sur une campagne personnalisée, – s’agissant finalement pour chaque candidat de convaincre les électeurs que l’autre est encore pire que lui et que, pour cette raison, il importe de “voter pour moi”. Il y aura donc une “non-élection” correspondant à une “crise” économique devenue économie-en-soi, et fonctionnant par conséquent parfaitement.

…Cela, bien entendu, c’est la description du climat psychologique de la campagne tel qu’on peut le deviner au travers des remarques de Reich. Cela n’a rien à voir avec la description de la vérité de la situation (notamment économique) des USA et du Système. Entre les deux chose, la narrative de la campagne et la vérité de la situation des USA et du Système, il existe une incompatibilité désormais totale, sans plus aucun lien, sans plus aucune communauté de substance ; quelque chose, cette absence complète de rapports, qu'il est difficile de ne pas appréhender comme devenant explosif à un moment ou l'autre. On verra comment se résoudra cette indifférence totale et réciproque, entre deux facteurs qui seront conduits par la force des choses à interférer l'un dans l'autre à un moment ou l'autre ; et l’on notera qu’il ne s’agit que d’un front de plus dans l’affrontement titanesque entre la narrative du Système et la vérité du monde.


Mis en ligne le 9 août 2012 11H13

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