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878Paru en 1931, d'un auteur anonyme qui nous est présenté comme un général (“général ***”), ce livre décrit dans un style alerte et vif, particulièrement plaisant, la crise des alliés, principalement les Français et les Anglais, sur le Front Ouest, en 1917-18. Le livre se termine exactement le jour de la nomination du général Ferdinand Foch, le 28 mars 1918, à la fonction suprême de généralissime commandant les armées alliés sur le front Ouest, alors que les alliés sont à deux doigts de la défaite stratégique. La situation va être redressée en deux jours, essentiellement grâce à l'installation de cette autorité coordinatrice. C'est un livre pro-Foch, dans la querelle souvent ranimée à propos de cet épisode (querelle opposant plus les tenants des commandants en chef nationaux Haig et Pétain contre Foch, et, surtout, Pétain contre Foch, et aussi, pendant quelques semaines, Clémenceau contre Foch). Hors ce parti adopté dans l'analyse, et d'ailleurs justifié par bien des faits et des arguments, ce livre a le mérite d'exposer, brièvement mais de façon essentielle, en ne gardant que les points essentiels, les problèmes fondamentaux soulevés et/ou mis en lumière par cette crise.
• Le problème de la souveraineté nationale. Il se pose essentiellement entre Anglais et Français, les Anglais devant placer leur corps de bataille sous un certain contrôle d'un généralissime qui ne pouvait être que Français. Les diverses péripéties telles que décrites dans ces moments délicats montrent plutôt la relativité de ce problème, et combien, plus qu'une question de principe, il s'agit d'une affaire politique et, également, et de façon souvent étonnamment forte, d'une question de psychologie entre les principaux acteurs. Ainsi, on est loin de trouver les forces en présence regroupées systématiquement par nationalités, mais parfois (souvent) des regroupements entre nationalités différentes contre une autorité d'une des deux nationalités (Haig et Pétain contre Foch pendant diverses périodes). Le problème de la souveraineté, lorsqu'elle concerne deux puissances à peu près équivalentes comme la France et le Royaume-Uni, ne se pose guêre: le “poids” des puissances respectives et leur utilisation extensive (le “poids” des morts si l'on veut) protègent les souverainetés.
• Les difficultés et les complexités des rapports entre militaires et civils, avec des interférences inter-nationales. (Le premier ministre britannique Llyod George détestait son commandant en chef Haig; il ne pouvait pourtant s'en séparer àcause de la popularité de Haig et du soutien du roi George V à ce dernier; Llyod George chercha souvent à favoriser un commandement unique qui irait à un Français, pour réduire sur le terrain les pouvoirs de son propre commandant-en-chef.) Bien plus que dans la Deuxième Guerre mondiale, la Grande Guerre fut souvent influencée par les intrigues politiciennes de l'un ou/et l'autre des partenaires, et par l'intimité des calculs politiques des deux alliés, et entre les deux alliés. A certaines périodes de négociations intenses, on eût dit les membres d'un même gouvernement mais de partis différents, jouant selon les positions politiques des uns et des autres.
• Le livre témoigne, d'une façon très intense, de la gravité extrême de la situation au début de ce printemps 1918. On comprend alors combien les alliés sont revenus au point de départ, à ces mois terribles d'août-septembre 1914. Tout leur dispositif est menacé d'effondrement sous les coups de boutoir des Allemands, qui reçoivent des renforts massifs avec leurs troupes libérés du front de l'est par la révolution bolchévique et la paix de Brest-Litovsk signée en mars 1918 par Lénine-Trotsky. On comprend comment on aboutira à une seconde bataille de la Marne (avril-mai 1918), aussi incertaine et aussi décisive que la première. Ainsi apparaît le caractère très spécifique de la Grande Guerre: deux actions quasiment décisives au début et à la fin, marquées par des offensives très rapides, des déplacement très rapides, encadrant une longue période de guerre statique, une vie au front terrifiante pour la psychologie des soldats, des batailles statiques elles aussi et épouvantablement sanglantes.
• Le facteur psychologique joue un rôle considérable, telle que nous est présentée la période par le général ***. Il joue un rôle considérable dans les manoeuvres préparatoires à la période décisive. Il joue un rôle considérable, et même décisif, dans la période finale. L'effondrement qui menace les alliés les 22-26 mars 1918 est d'abord dû à une véritable dépression des grands chefs (Haig et Pétain), d'un esprit défensif et d'un repli nationaliste (Haig ne songe qu'à protéger le chemin de la mer pour un éventuel rembarquement, Pétain ne songe qu'à protéger Paris; résultat, aucun des deux corps ne soutien l'autre et l'Allemand peut songer à percer à la jointure des deux). C'est encore la psychologie qui va sauver la situation, avec le volontarisme de Foch agissant comme un électro-choc sur la psychologie des deux chefs nationaux. En deux jours, sans aucun apport décisif en forces sur le terrain, par le seul retour de la détermination des chefs qui se transmet aux échelons inférieurs (commandants d'Armées, de Corps d'Armée), qui conduit à une orientation différente de leurs ordres et de leurs perspectives, les alliés bloquent l'armée allemande qui commence aussitôt àpayer les efforts terribles qu'elle vient de déployer.
La vision offerte par le général *** est ainsi fondamentalement basée sur le facteur humaine, et selon une analyse qui ne fait certainement pas l'unanimité. Il s'agit de l'interprétation de faits par ailleurs historiques. Cette interprétation, quant àl'atmosphère et aux méthodes, recoupe d'autres témoignages (notamment celui du général britannique Spears, officier de liaison avec les Français). Elle a l'avantage, et c'est une réflexion qui vaut pour aujourd'hui, de nous rappeler l'importance du facteur humain, même dans une guerre mécanique de masse.
Recension faite le 30 avril 2001.
La crise du commandement unique, – le conflit Clémenceau, Foch, Haig, Pétain - Editions Bossard, Paris, 1931