Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
4198 avril 2011 — Il y a, dans The Independent du 8 avril 2011, un passionnant article de Ethan Watters, psychologue et auteur de Crazy Like Us: the Globalisation of the Western Mind. Article passionnant pour ce qu’il présente de constat, dans le champ psychologique, pour les désordres psychologiques des soldats du bloc américaniste-occidentaliste (BAO) ; passionnant également, et surtout dirions-nous pour notre compte, dans ce qu’il permet d’élargir une conception que nous avons sur l’importance essentielle de la psychologie et sur la pénétration de la crise du monde dans les psychologies individuelles.
Cette étude s'attache donc précisément à l'évolution de l'affection psychologique désignée PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), touchant notamment des soldats engagés dans les guerres postmodernes récentes, particulièrement les soldats américanistes, avec une comparaison initiale avec les soldats britanniques. Nous allons d’abord tenter de mentionner les principaux éléments de l’enquête, puis nous donnerons notre interprétation. Enfin, nous élargirons notre propos à nos propres conceptions qui portent principalement sur la crise centrale et terminale du Système d’une part, sur la psychologie humaine d’autre part, sur les rapports entre les deux enfin.
Watters observe l’extension considérable du PTSD chez les soldats US, après avoir servi en combat et être retournés aux USA. Il y a une énormes disparité entre ceux-ci et les soldats britanniques, les uns et les autres ayant connu les mêmes conditions de combat : le phénomène affecte 30% des vétérans US et 3% des vétérans UK. Cette disparité est intéressante mais elle n’est qu’accessoire dans le propos général. On verra plus loin notre hypothèse à ce propos, qui entre dans le cadre d’une appréciation hypothétique général liée à nos conceptions générales de la situation dans la perspective historique des deux derniers siècles et de ce que nous nommons le “déchaînement de la matière”.
• Pour ce point, la remarque essentielle, qui nous paraît absolument pertinente et acceptable, est que ce PTSD qui affecte la psychologie a essentiellement une cause culturelle ; que cette cause est à identifier dans le climat et l’environnement effectivement culturels que les soldats retour de combat et qui en sont affectés trouvent dans le contexte social où ils tentent de se réintégrer… Watters exprime cette théorie, parmi d’autres, en la privilégiant sans le moindre doute, et à juste raison selon nous : «One theory to explain these differences is that the minds of soldiers are responsive to cultural expectations of how they should feel – and that those expectations can be different from one place (or time) to another.»
• Ensuite, Watters remarque que ces troubles psychologiques ont grandement évolué durant la période historique qu’on qualifierait de “guerre moderne” (depuis la Guerre de Sécession), qui est pour nous la période de la guerre où la puissance technologique de la matière déchaînée a fait sentir tous ses effets à mesure de la modernisation et de l’augmentation de puissance des armements. Ce que nous fait remarquer le constat historique de Watters, ci-après, c’est que le PTSD, et son équivalents historique sous divers autres noms, fut d’abord plus d’ordre neurologique et psychosomatique, que d’ordre psychologique pur, et encore moins d’ordre psychologique lié à l’environnement culturel comme aujourd’hui.
«This suggests that the psychological reaction to war does not happen in a flash like a shrapnel wound. Rather, it evolves as the soldiers integrate their experiences with the values and expectations of their culture. British soldiers in the Boer Wars were likely to complain of joint pain and muscle weakness, a condition their doctors called “debility syndrome”. In the US Civil War, soldiers often reacted to the trauma of battle by experiencing an aching in the left side of the chest and having the feeling of a weak heartbeat, labelled “Da Costa's syndrome”. In the First World War, soldiers experienced “shell Shock”, with symptoms that included nervous tics, grotesque body movements, and physical paralysis. It was not until after the Vietnam war that soldiers began to describe their symptoms primarily in terms of the intrusive thoughts, memory avoidance and uncontrollable anxiety and arousal that makes up the core of the PTSD diagnosis.»
• C’est effectivement avec le Vietnam que l’on peut parler du véritable PTSD, tel qu’on l’entend aujourd’hui, avec une très forte influence de l’environnement culturel, sociologique et psychopolitique. D’une certaine façon, les vétérans US du Vietnam de retour dans leur pays connurent de graves troubles psychologiques parce que leur psychologie fut pénétrée par l’idée culturelle et politique d’une “guerre injuste” où ils avaient été trahis par rapport à ce qui leur avait été présenté, et conduits à commettre des horreurs au nom d’une cause totalement subvertie et infâme. Ils étaient donc victimes bien autant, sinon plus que coupables, et souffraient de désordres psychologiques parce que leur statut de victime avait été utilisé, contre eux, pour les forcer à accomplir des horreurs insupportables.
«Diagnosis of PTSD began to take shape in the US after the Vietnam war and represents much more than a clinical set of symptoms. It has become a world view; a weapon in a battle between a militaristic view of the world – where going to war and using deadly force can be both morally justified and personally uplifting – and a therapy view of the world, where violence is an aberration that inevitably damages the human psyche and spirit.
»Originally called post-Vietnam syndrome, modern PTSD began in hothouse rap sessions held by Vietnam Veterans Against the War and supervised by antiwar psychoanalysts. The motivations behind the creation of the diagnosis are clear in early descriptions of post-Vietnam syndrome such as this one written by a young psychoanalyst named Chaim Shatan and published in the New York Times in the spring of 1972: These veterans were suffering because they had been, “deceived, used and betrayed” by both the military and society at large. That the creation of this syndrome would help the anti-war effort was clear. Shatan wrote in a memo to his colleagues at the time: “This is an opportunity to apply our professional expertise and anti-war sentiments.” The diagnosis of post-Vietnam syndrome was intended to highlight the psychological cost of participating in what many mental-health providers perceived to be an unjust war.»
• La version moderne, et même postmoderne, du PTSD, celle qui nous intéresse, donne lieu à des explications beaucoup plus complexes et incertaines. Rien ne semble assuré à cet égard et l’on en est réduit à diverses hypothèses… Ce qui nous paraît évident, c’est que l’explication, ou le diagnostic, semble s’élargir considérablement, dans tous les cas comme nous le ressentons, par rapport aux arguments précédents qui étaient liés aux guerres impliquées, au sens et aux conditions de ces guerres, pour aller vers les conditions générales de la société en pleine évolution, – pour ne pas dire, ou plutôt pour le dire d’une façon extrêmement précise, – “vers les conditions générales” du Système en crise... Retenons en attendant ces considérations sur le PTSD postmoderne, surtout considéré à partir de 2004, à partir du moment où l’initiale poussée triomphaliste du Système suivant 9/11 se transforme irrésistiblement en cette crise majeure et terminale du Système, telle qu’elle se manifeste désormais d’une façon dévastatrice. C’est alors que le PTSD se manifeste, lui, d’une façon traumatique, dévastatrice et presque systématique…
«…In contrast to those angry but socially engaged Vietnam War veterans, the personal accounts of current-day US soldiers returning from Afghanistan and Iraq often seem pigeonholed into a PTSD diagnosis that is tied to a particularly modern style of lonely hyperintrospection.
»The frustration, anger, and unhappiness of modern soldiers have been moved from the social (where one might find moral anger, nationalistic justification, or religious meaning to justify the sacrifice) to the biopsychomedical. Because the disorder focuses largely on internal states and chemical imbalances within the individual brain, this explanation for psychological problems often leaves the soldier – to borrow a recent US military marketing slogan – feeling like “an army of one”.
»Patrick Bracken, of Bradford University's Dept of Health Studies, argues that the emergence of PTSD is a symptom of a troubled postmodern world. “In most Western societies there has been a move away from religious and other belief systems which offered individuals stable pathways through life, and meaningful frameworks with which to encounter suffering and death,” Bracken writes. “The meaningful connections of the social world are rendered fragile.”»
Effectivement, notre hypothèse serait bien que ce PTSD postmoderniste vient moins de la guerre elle-même (Afghanistan, Irak) par contraste avec la société civile en paix, et donc la guerre nécessairement “injuste” par ce contraste (comme dans le cas du Vietnam), que par la guerre comme prolongement et exacerbation paroxystique d’une société postmoderne plongée elle-même dans les affres de sa crise centrale, – donc la société aussi “injuste” que la guerre elle-même, même si en apparence moins cruellement et moins brutalement… C’est-à-dire, bien entendu, “la société” en tant qu’expression de la crise centrale et terminale du Système, qui se manifeste dans notre société as a whole, avec le paroxysme des guerres postmodernistes dont on connaît les conditions particulièrement atroces ; nous voulons parler, pour ce dernier point, de l’hyper-protection de nos guerriers, le massacre des populations indigènes, et pourtant aucune victoire qui sanctifierait la guerre de la notion de “guerre juste”, mais au contraire l’espèce de défaite ensablée et embourbée dans la corruption, l’inefficacité, le paralysie et le sang, tous ces caractères de nos armées hyper-puissantes et impuissantes face à la riposte asymétrique et antiSystème du citoyen extérieur agressé. Au bout du compte, qu’est-ce qui distingue l'infamie inconsciente des bandes armées et super protégées de nos forces spéciales, bandits postmodernes et aussi cruels que des bandes de l’An Mille, ou l'infamie inconsciente des barons de Wall Street, ou l'infamie inconsciente des CEO de British Petroleum, ou l'infamie inconsciente des milliardaires Koch ou Ruper Murdoch, et ainsi de suite… – ne parlons pas, par bonté d’âme, de celles des figurants de seconde classe que sont nos hommes politiques, – pas de temps à perdre. (Dans ce tableau consternant, et pour justifier le distinguo remarquable fait dans le texte de Watters entre les vétérans US (30% touchés par le PTSD) et les vétérans UK (3%), on jugera qu’il s’agit d’un signe de plus que la société postmoderne est le reflet de la crise centrale et terminale du Système, puisque c’est aux USA que se manifeste le plus profondément, avec la subversion la plus grande, cette crise du Système.)
Si nous soulignons le qualificatif “inconscient”, c’est parce que nous pensons que tous ces gens, victimes (les soldats et leur PTSD) et coupables sont en fait des êtres soumis à la puissante influence du Système en crise qui pénètre et emporte leurs psychologies. A ce moment, effectivement, le PTSD n’est que la paroxysme du processus, devenu pathologie voyante et nécessairement devant être traitée à cause de la brutalité (la guerre postmoderne) de la manifestation du Système ; le PTSD mériterait donc d’être inscrit comme une pathologie de la psychologie infligée par le Système en crise terminale, et donc terriblement agressif à cause de cela, mais qui n'est pourtant qu'une parmi d'autres des pathologies que le Système inflige à nos psychjologies…Le PTSD est le prolongement guerrier d’une pathologie de la psychologie infligé à tous par le Système en phase de crise terminale. Dans ce cadre, le sapiens qui croit mener le monde est l’exécutant, le complice et la victime du Système, par l’intermédiaire de sa raison subvertie par ce Système né du déchaînement de la matière, et donc aussi bien enjeu de la crise du Système dont il subit les terribles soubresauts.
(Citons de ce très récent F&C du 5 avril 2010, notre appréciation de la position de sapiens dans la hiérarchie des responsabilités et des culpabilités, et dans la hiérarchie de la victimologie également, dans la crise terminale actuelle, rappelée de la thèse que nous avions développée dans dde.crisis du 10 septembre 2010, sur la “la source de tous les maux” : «Nous tenons que sapiens est une créature faible et vaniteuse, souvent aveugle mais nullement mauvaise en soi. Nous renvoyons à ces conceptions sur la “source de tous les maux”, où nous situons le Mal dans la matière et dans son déchaînement, c’est-à-dire, pour notre temps métahistorique, dans le Système considéré comme une entité autonome, une sorte d’égrégore maléfique. Le mal ne touche et n’influence sapiens que d’une façon “collatérale”, comme les dégâts du même nom si l’on veut. Ainsi le problème est-il que, par son imprudence et son aveuglement, et sa vanité certes, sapiens se retrouve, au cœur de l’anthropocène, mis en cause comme principal coupable de la crise du monde et de l’effondrement des structures de la civilisation, comme “source de tous les maux” si l’on veut, alors qu’il ne l’est pas fondamentalement.»)
Bien entendu, ces diverses réflexions à partir du cas d’espèce du PTSD lié aux conflits, et qui s’avérerait une face seulement d’une sorte de pathologie de la psychologie liée au Système en crise, s’inscrit dans nos réflexions plus larges sur le rôle de la psychologie, – cette fois, non seulement comme une pathologie issue du Système mais éventuellement, et peut-être inexorablement, comme une résistance face au Système. Le PTSD considéré dans son sens le plus large n’est qu’une pathologie que parce que nous sommes sous l’empire du Système. Si, au contraire, cette pathologie est justement bien comprise dans sa signification réelle par notre jugement, éventuellement sous l’action de l’“intuition haute”, elle devient pathologie libératrice en libérant une réaction salutaire que nous désignerions comme une psychologie de résistance. Le PTSD n’est une pathologie que parce que le sujet, revenu de la guerre, est forcé de continuer à vivre sous l’empire du Système en crise, qui est la véritable cause de sa pathologie.
C’est alors que nous revenons sur ce que nous exprimons souvent, qui est l’influence des crises diverses et de plus en plus nombreuse, sous la forme de la chaîne crisique ou de la “crise anthropique” (de anthropocène) dont la catastrophe du Japon et de Fukushima est l’expression catastrophique actuelle. Pour nous l’argument du PTSD tel qu’il commence à être considéré, non comme conséquence de la guerre elle-même mais conséquence du constat que la société d’où il est issue n’est pas différente en substance de la guerre que l’on a menée puisque sous la même influence du Système, est une confirmation par un biais important de la puissante influence que la crise terminale du Système exerce sur les psychologies, – cette influence qui peut être négative lorsqu’elle enchaîne encore plus au Système, ou positive lorsqu’elle suscite l’esprit de résistance contre lui, c’est selon. Mais alors que le PTSD est vu dans l’étude citée comme une pathologie en lui-même, il n’est une pathologie que parce que les conditions extérieures (culturelles et sociologiques) qui lui sont imposées constituent une référence directe au Système en crise terminale et à ses monstruosités.
En quelque sorte, la référence de la normalité qui est offerte aux psychologies des soldats qui reviennent de ces guerres constituent une confirmation de l’horreur de la guerre qu’ils ont traversée. La victime du PTSD est placée dans une contradiction insupportable de devoir accepter les horreurs qu’il a commises et subies comme la normalité même. Mais si l’influence des crises elles-mêmes se fait sentir, comme se fait sentir l’influence de la guerre, – et il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment, bien au contraire, – c’est alors la soi-disant normalité de la société soumise au Système qui se découvre comme une monstruosité à l’instar de la guerre elle-même. Les vétérans des guerres postmodernistes du Système qui ont compris cela, pour des raisons diverses, et notamment l’influence des crises sur leur psychologie, échappent au PTSD ou en sortent pour “entrer en résistance”, réconciliant par là même l’horreur des guerres qu’ils ont faites avec la condamnation générale du Système qui suscite ces guerres. Leur radicalisation, leur esprit de résistance absolue, sont une évolution inéluctable chez eux, et la chose commence à se faire de plus en plus sentir.
Concluons de tout cela une confirmation pour notre compte : plus que jamais, la psychologie est le facteur prépondérant… C’est elle qui détermine les traumatismes suscités par le Système, mais c’est elle également qui doit susciter et qui commence à susciter l’esprit de résistance antiSystème. Effectivement, la situation est bien que la crise pénètre chaque psychologie, chaque esprit, influe sur tous les jugements. Cette situation très spécifique est le produit d’une évolution que le Système lui-même a voulu, qui est le développement de l’individualisme. Cet individualisme est une des causes du PTSD dans la mesure où chaque ancien soldat est laissé à lui-même, pour affronter les horreurs du Système ; mais cet individualisme permet également aux psychologies individuelles de jouer un rôle fondamental dans l’évolution des jugements et, éventuellement, dans leur changement radical… Ce faisant, les esprits individualisés, donc séparés des entraînements collectifs, le sont aussi, dans tous les cas peuvent l'être des entraînements collectifs que voudrait leur imposer le Système. (Le fait que le Système ait lui-même suscité l’individualisme pour détruire les structures de tradition et plus facilement s’imposer, et que cet individualisme dans ce cas se retourne alors contre lui, – cela est sans surprise, ce n’est pas la première fois qu’une des armes du Système est retournée contre lui.) Placés devant les horreurs du Système par l’influence de leur psychologie qui joue le rôle essentiel à cet égard, les esprits individualistes qui ont mesuré la fourberie de cet individualisme, peuvent, doivent être conduits à rechercher de nouveaux élans collectifs auprès d’autres esprits individualistes ayant suivi le même chemin. Cela s’exprime notamment dans l’esprit de résistance au Système qui est désormais la tâche essentielle, la mission ultime, – et la seule voie de prévention efficace contre la pathologie (PTSD et le reste) qui guette toutes les psychologies influencées par le Système et qui s'y soumettent au lieu de l'affronter..