La crise iranienne et les robots

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La crise iranienne et les robots

On sait qu’à Munich, lors du séminaire du week-end de la Wehrkunde, le vice-président US Biden a parlé avec le ministre iranien des affaires étrangères et a annoncé ce qui se chuchotait depuis longtemps : le lancement d’une grande initiative US de négociations bilatérales USA-Iran. Dans notre texte du 5 février 2013, nous écrivions : «Des sources de l’administration Obama confient que cette affaire est préparée depuis deux ans, avec une minutie exceptionnelle, et suivie aux plus hauts échelons, celui de la secrétaire d’État jusqu’à ces derniers jours (départ de Clinton) et même au niveau direct d’Obama. Une telle préparation, sous supervision directe du président, c’est du sérieux.» On peut même ajouter que le “sérieux“ de la chose a été confirmé par le détail bureaucratique que près de vingt documents complets sur les modalités et les perspectives de cette initiative ont été rédigés pendant ces deux années et lus par le président lui-même. La nouvelle de l’annonce-Biden et tout ce qu’elle recouvre de travail bureaucratique et de contacts secrets entre les USA et l’Iran a surpris considérablement les alliés des USA, qui s’en tiennent pour les négociations avec l’Iran à la formule P5+1 (que certains, comme l’on sait, voudraient voir évoluer en P5+3 et au-delà…).

Tout cela est-il sérieux ? Est-ce une “grande nouvelle”, une “percée” ? PressTV.com annonçait, le 6 février 2013 que de nouvelles sanctions US, très dures, toujours plus dures et affectant le commerce du pétrole iranien, sont entrées en action. (En conséquence, dit la même source le même 6 février 2013, le prix du baril de pétrole a grimpé à $116, augmentant de plus de 20%.) Tout cela constitue-t-il une prémisse constructive à la “grande nouvelle” ? dans tous les cas, “tout cela” doit satisfaire les “néo-bushistes”-“hyper-bushistes” qui veillent à la pureté du destin sacré de la démocratie.

Les deux analystes US Hillary et Flynn Leverett, que nous citons régulièrement, ont une appréciation différente de l’enthousiasme officiel quoique souvent incohérent que montre le vice-président Biden. Ils donnent leur analyse de la chose, en la mettant dans le contexte plus large de l’esprit de la politique US vis-à-vis de l’Iran (on devrait dire “politique US à l’encontre de l’Iran”), dans une petite note qu’ils publient sur leur site Going to Teheran, le 4 février 2013. Ils citent également et résument dans ce texte la substance de l’interview qu’ils ont donnée à Russia Today le 31 janvier 2013, que l’initiative-Biden ne modifie en rien. Nous citons ci-après cette note des Leverett.

«Speaking at a security conference in Munich, Vice President Biden made headlines by affirming the Obama Administration’s willingness to participate in bilateral talks with Iran, if “the Iranian leadership, Supreme Leader, is serious.” This formulation completely obscures how it is the Obama Administration, not Ayatollah Khamenei, that has not been diplomatically serious. That’s because the Obama Administration remains unwilling to detach itself from the neo-imperial strategy in the Middle East that it inherited from its predecessors.

»In an interview with Russia Today, […] we set America’s dysfunctional Iran policy in the context of what we describe in our new book, Going to Tehran: Why the United States Must Come to Terms with the Islamic Republic of Iran, as the “imperial turn” in U.S. Middle East strategy. As RT headlines the interview (quoting us), the United States “has militarily coerced Middle Eastern political outcomes since the Cold War.” The results have not been pretty, neither for the people of the Middle East nor for American interests. But America’s political class remains focused on applying its established imperial strategy yet again vis-à-vis Iran.

»In the interview, we also

»– explain why this strategy— encompassing sanctions, economic warfare, covert action, and cyberattack— won’t work against the Islamic Republic.

»– outline our “worst case scenario”: that the United States will start another war in the Middle East to disarm another Middle Eastern country of weapons of mass destruction it does not have”—for the damage this would do “to the American position in the Middle East makes how much damage was done to the American position by the invasion of Iraq look quite trivial by comparison.”

»– describe what a really serious U.S. diplomatic approach to Tehran would look like.

»– discuss the negative effects that America’s two most prominent ostensible allies in the Midde East—Israel and Saudi Arabia—are imposing on American foreign policy and American interests.»

La “grande nouvelle”, qui a nécessité tant de précautions, de travail et de re-travail, de contacts secrets, de précautions et de constructions bureaucratiques, d’implications des plus hauts dirigeants américanistes, accoucherait donc d’une souris malingre et caractérisée par les habituels tendances et chances de réussite de la politique extérieure du bloc BAO. On y retrouve bien entendu cette méthode extravagante d’inefficacité et d’arrogance de maintenir sur l’interlocuteur avec lequel on veut s’entendre, des mesures coercitives et agressives qui l’identifient évidemment comme un non-interlocuteur avec lequel il est à la fois impossible et nullement souhaitable de s’entendre sinon par sa réduction totale à merci.

On avancera bien entendu que l’administration Obama est obligée de tenir compte du Congrès, qui fait de toutes les façons ce qu’il veut, c’est-à-dire attaquer constamment l’Iran par des mesures coercitives et unilatérales, et illégales du point de vue du droit international par l’extension qui en est donnée. Le Congrès, observent les commentateurs qui se veulent antiSystème, est tout entier dans les mains de l’AIPAC, le lobby pro-israélien. Nous pensons, nous, qu’il est bien au-delà de cette situation politique, – même s’il s’agit d’une position politique honteuse et détestable. Le Congrès est au niveau de la robotisation, agissant comme un corps autonome absolument infecté par une psychologie totalement sous l’influence de la politique-Système. Il fait à peu près la même chose dans l’esprit contre la Russie, selon les voies possibles et la situation politique, et par d’autres canaux, que ce qu’il fait contre l’Iran, sans qu’il y ait contre la Russie un AIPAC zélé, efficace et corrupteur.

Cette robotisation affecte donc la bureaucratie gouvernementale elle-même et, plus encore, le gouvernement Obama lui-même. Cela n’est pas nécessairement de l’hostilité spécifique contre l’Iran mais certainement une incompréhension complète de l’Iran d’une part, une robotisation de la politique-Système (ou, pour le cas spécifique de notre-président, la “politique-turbo de l’idéologie et de l’instinct”) d’autre part ; et, surtout, comme cause conjoncturelle puissant, l’esprit super-cool accouchant du sens du compromis du même “notre-président” qui ne veut surtout pas se brouiller avec le Congrès, et donc compromis aboutissant à une radicalisation systématique et constante de la politique iranienne. Le résultat est que la politique iranienne des USA, et du bloc BAO au grand soulagement du président Hollande, est aujourd’hui certainement plus verrouillée dans l’extrémisme anti-iranien qu’elle ne l’était sous la présidence Bush, en 2006-2008, lorsque l’U.S. Navy se permettait de mettre des bâtons dans les roues de tout projet hostile contre l’Iran. (Cela justifie plus le qualificatif de “super-bushisme” que celui de “néo-bushisme”, à l’image d’une “politique de l’idéologie et de l’instinct” de l’adlministration GW Bush devenue une “politique-turbo de l’idéologie et de l’instinct” de l’administration Obama.)

Le résultat est que l’initiative brillante des USA annoncée par le vice-président Joe Biden d’ouverture vers l’Iran conduit à la conclusion que la politique du bloc BAO est plus que jamais verrouillée dans une alternative, désormais possible depuis le “printemps arabe” et les prolongements normalement abracadabrantesques qu’on relève aujourd’hui. (L’un des derniers prolongements, après tout assez goûteux, étant d’apprendre, par PressTV.com ce 6 février 2013, que Ahmed Moaz al-Khatib, le président de la Coalition Nationale Syrienne mise en place à grands coups de dollars et de gourdin par le Qatar et les amis du bloc BAO en novembre 2012 pour écraser Assad et porter un coup terrible à l’Iran, a demandé avec insistance, à Munich, au ministre iranien des affaires étrangères, que l’Iran aide à restaurer la stabilité de la Syrie.)

Cette alternative comprend donc deux termes, comme toute alternative bienpensante :

• Une aggravation continue des relations avec l’Iran, au travers de “grandes nouvelles” comme celle de Biden, qui ne feraient qu’accentuer l’incompréhension et la frustration, aggravation menant à une attaque de l’Iran comme les Leverett l’évoquent eux-mêmes. La condition sine qua non est que les USA et le reste, y compris Israël et ses roulements de mécanique, en aient encore les moyens et soient dans un état qui leur en donne la capacité, et dans un état de leurs situations intérieures qui leur en permettent l’élan – tout cela très douteux…

• Une dissolution accélérée de la crise entre l’Iran et le bloc BAO dans une évolution également accélérée du désordre dans la région du Moyen-Orient, en Syrie et désormais autour de la Syrie. Nombre de pays impliqués dans ces désordres deviennent de plus en plus instables et leurs politiques sont de plus en plus soumises à des aléas extérieurs à elles (y compris des aléas de politique intérieure, certes), devenant elles-mêmes de plus en plus volatiles. (Des pays comme l’Égypte, la Turquie, Israël, l’Arabie saoudite, etc., désormais beaucoup plus instables intérieurement que l’Iran.) Tout cela peut conduire à des reclassements inattendus qui élargiraient complètement le problème iranien en achevant l’intégration de toutes les crises en une “crise haute” majeure, quasiment insoluble pour le bloc BAO. (Crise haute ne signifie pas explosion à mesure mais une transmutation des problèmes et des crises diverses en une crise générale poussant à des issues différentes et beaucoup plus larges, mettant en cause les structures même qui sont en place : par exemple, la crise du nucléaire iranien se transmutant en une crise de la transformation du Moyen-Orient en zone dénucléarisée. Un tel développement ne pourrait se concevoir qu’au milieu d’autres bouleversements de même importance, l’ensemble formant effectivement cette “crise haute” dont les conséquences seraient bien plus de nature métahistorique que géopolitique. La signification fondamentale de la crise haute n’est pas de nous fournir un schéma général de l’issue des crises sectorielles ou régionales impliquées mais de nous signifier que ces crises ne peuvent plus subsister à leur échelon et forcent à une transmutation à un niveau général, sinon global.)

...Ou bien, – ultime rayon d'espoir pour la chronique et le fun, et pour prendre date pour un autre monde, – les robots se révolteront-ils un jour ?


Mis en ligne le 7 février 2013 à 07H24

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