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1608Après le discours de Rand Paul à l’université de Berkeley, le 19 mars, l’ancien ministre du travail (très progressiste) de Clinton, Robert Reich, remarquait qu’“il y a peu de candidat qui puisse se targuer recueillir une standing ovation à la Conservative Political Action Conference (CPAC) et à Berkeley successivement”. On notera que Reich désigne Rand Paul, fils de Ron et sénateur du Kentucky, comme “candidat” (complétons : à la présidentielle de 2016). Effectivement, avant son triomphe de Berkeley, Rand Paul s’était classé premier, une semaine auparavant, avec 16% des voix (sondage parmi les militants venus assister à la CPAC), lors de la conférence des conservateurs US, la CPAC qui réunit républicains, libertariens et autres conservateurs US ; quant à Berkeley, on sait depuis longtemps, et au moins depuis les années 1960, que c’est l’université la plus à gauche, la plus “progressiste”, du monde universitaire US.
Il faut dire que le sénateur Paul a choisi un sujet rassembleur, ou disons qu’il a le flair de comprendre que c’est “le sujet rassembleur” par excellence aux USA : la protection de la vie privée, des droits civiques, etc., face aux attaques du gouvernement en général, et en particulier de l’Intelligence Community (IC), notamment la NSA et la CIA. Il semble qu’il faille admettre ce constat
• Le San Francisco Chronicle notait, le 20 mars 2014, à propos du discours de Berkeley : «Cheered by a youthful audience in one of the country's most liberal enclaves, Sen. Rand Paul – one of the Republican Party's leading contenders for the White House in 2016 – delivered a scathing rebuke to the U.S. intelligence community Wednesday, calling it “drunk with power.” “I don't know about you, but I'm worried,” the Kentucky senator told 400 people who filled a hall at UC Berkeley's International House. “If the CIA is spying on Congress, who exactly can or will stop them?”
»Paul's comments come one week after Sen. Dianne Feinstein, D-Calif., took to the Senate floor to accuse the CIA of illegal computer searches intended to hinder her Intelligence Committee's probe of alleged U.S. torture of terrorism suspects. Paul said Feinstein's allegations had shaken Washington. [...] He said he had told Feinstein, “‘Great speech, everybody is talking about it.’ I hope she will stand up, not let the CIA push her around, not let the NSA push her around.” [...] In response to Feinstein's allegations, Paul said, the Senate should appoint a select committee – “bipartisan, independent” and with full investigative powers – to probe spying abuses.»
• Sur Infowars.com, le 20 mars 2014, Steve Watson présente le discours de Rand Paul à Berkeley en le reliant directement à celui de la CPAC, la semaine précédente, sur le même thème, on dirait même “sur la même peur... «Libertarian Kentucky Senator Rand Paul warns in a speech today that he believes US spooks and shadow government agencies are ” drunk with power”, and that elected representatives are privately afraid of those operating behind the curtain. [...] In prepared comments Paul notes “I am honestly worried, concerned about who is truly in charge of our government. Most of you have read the dystopian nightmares and maybe, like me, you doubted that it could ever happen in America.” “If the CIA is spying on Congress, who exactly can or will stop them?” the comments also state. “I look into the eyes of senators and I think I see real fear. Maybe it’s just my imagination, but I think I perceive FEAR of an intelligence community drunk with power, unrepentant, and uninclined to relinquish power.”
»The Senator is set to continue on the track that saw him win CPAC’s GOP presidential nomination straw poll recently. During his CPAC speech, Paul slammed the NSA, urging “If you have a cell phone, you are under surveillance… I believe what you do on your cell phone is none of their damn business.”»
• Le new York Times consacre un article assez maigrelet au discours du “fils de Ron”. La Grey Lady ne considère pas vraiment les libertariens, surtout la famille Paul, comme sa tasse de thé. Il n’empêche, l’article salue sa performance à Berkeley avec un autre aspect du discours de Rand Paul, qui risque également de secouer les démocrates : Paul présente Obama comme un traître à sa communauté africaine-américaine dans le chef révéré du souvenir de Martin Luther King. (Le 20 mars 2014.)
«Senator Rand Paul, Republican of Kentucky, said Wednesday that President Obama should be particularly wary of domestic spying, given the government’s history of eavesdropping on civil rights leaders like the Rev. Dr. Martin Luther King Jr., injecting the issue of race into the contentious debate over surveillance. “I find it ironic that the first African-American president has without compunction allowed this vast exercise of raw power by the N.S.A.,” Mr. Paul said in an address at the University of California, Berkeley. “Certainly J. Edgar Hoover’s illegal spying on Martin Luther King and others in the civil rights movement should give us all pause,” he said. “Now if President Obama were here, he would say he’s not J. Edgar Hoover, which is certainly true. But power must be restrained because no one knows who will next hold that power.” [...]
»His stopover here may have seemed like a wrong turn on Mr. Paul’s cross-country speaking tour, hardly the most orthodox place to rally support for a politician who won the presidential straw poll this month at the Conservative Political Action Conference, the annual gathering of die-hard conservative activists. But Mr. Paul knew his audience better than it may have appeared. The title of his speech, “The N.S.A. vs. Your Privacy,” was carefully tailored as the latest piece of a grander strategy by the senator to broaden his appeal to people — particularly younger ones — who have largely written the Republican Party off.»
Poursuivons donc avec le cas de Rand Paul puisqu’il s’agit effectivement de lui. Rand n’est pas son père, Ron Paul, notamment (surtout) en matière de politique extérieure. Il l’a encore montré en sacrifiant au conformisme général washingtonien dans la crise d’Ukraine, où il a adopté la position de la condamnation de la Russie. D’autre part, on peut considérer qu’il a expédié une affaire qui ne l’intéresse guère en un seul discours qui le dédouanait tout en lui permettait d’éviter d’entrer dans l’arène. Ce n’est pas glorieux, sans aucun doute, mais c’est d’une signification limitée, – encore une fois, parce que la crise ukrainienne n’intéresse pas en profondeur, ni Washington (sauf l’inévitable cohorte neocon et le conformisme qu'elle implique), ni l’opinion publique US. Malgré l’énorme poussée médiatique de propagande-Système, c’est une indication sérieuse.
Cela signifie donc, comme nous le notions déjà ci-dessus, que la crise ukrainienne n’a nullement supplanté la crise Snowden/NSA, qui devient avec l’affaire Feinstein la crise Snowden/NSA-CIA tout simplement. Les conditions sont telles, avec les récentes fuites et la gravité de l’affaire Feinstein, que l’argument est désormais largement répandu d’un gouvernement, ou plutôt d’une IC s’inscrivant comme une menace directe contre les libertés civiques, contre le cadre constitutionnel, même contre le fonctionnement du législatif et de l’exécutif et transformant les USA en une structure orwellienne. En un mot, la perception est qu’il s’agit de plus en plus, même si cette interprétation est outrancière, d’un véritable coup d’État. Cette crise-là est en train de devenir une question de fond, – la question de fond essentielle aux USA. Rand Paul a compris cela et aussi, comme un nombre grandissant d’observateurs, il a compris que cette crise va nécessairement figurer au premier plan des consultations électorales ; pour les élections mid-term, certes, mais aussi pour les présidentielles de 2016. On ajoutera à cela que les révélations continuent à défiler, dont certaines font toujours grand’bruit (voir Russia Today, le 21 mars 2014, sur la dernière fuite, et montrant ainsi l’écho de ces révélations dans les autres médias) : le nouveau site de Greenwald & Cie (The Intercept) tient ses promesses, malgré diverses manifestations de scepticisme, et le matériel qu’il produit accentue bien entendu la force de l’effet de cette crise sur l’électorat.
Cette situation n’a d’ailleurs rien de surprenant. On a signalé combien les USA sont de retour vers un neo-isolationnisme, avec une position réelle à mesure par rapport à la crise ukrainienne (voir le 3 mars 2014 et le 12 mars 2014). On comprend alors le choix de sa position de Rand Paul, et l’on voit d’ailleurs combien elle transcende les différences idéologiques et partisanes (de la CNPAC à Berkeley). Mais Rand Paul n’est qu’un symptôme de l’essentiel que nous voulons dire : pour nous les USA ont une position beaucoup plus éloigné, beaucoup plus indifférente par rapport à la crise ukrainienne que l’on croit. C’est un facteur essentiel à considérer pour envisager la suite de la crise ukrainienne, qui ne la rend pas moins grave, mais qui la rend extrêmement grave d’une façon différente de ce qu’on est conduit à envisager dans un premier jugement.
Mis en ligne le 22 mars 2014 à 06H14