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381Une revue de l’armé britannique, la British Army Review, publie une série d’articles constituant une critique très forte et inquiète de l’état de l’armée britannique et des tactiques utilisées dans les guerres en cours. Il s’agit essentiellement de l’Irak et, aujourd’hui, de l’Afghanistan, avec les mêmes erreurs répétées. Le Times de Londres, consacre un article à la chose, ce 3 septembre 2009 («The Army is making the same old mistakes in Afghanistan, say soldiers») : «Britain is failing to learn from the “military mistakes” made in Iraq in developing ways to defeat the Taleban in Afghanistan, according to a series of critical articles published in an internal army journal.»
Un exemple des critiques reflétant l’état d’esprit général est donné ici par un extrait des observations du major Gerry Long, du 1st Battalion, The Parachute Regiment, qui a servi en Irak et sert en Afghanistan.
«The stress on families of repeated tours has yet to be properly assessed. The higher echelons of the Army, the civilian and political overseers, have never encountered this kind of stress and do not understand that the smallest mistake, the minor penny-pinching process, can have repercussions out of all proportion to the original measure; the death of a thousand cuts is an everyday event in the British Army.
»“On return [from Iraq and Afghanistan], what welcomes the Army after the homecoming parade and the memorial service? Health and safety inspections and the Human Rights Act, with the necessary paperwork to go with it.
»“Both operations have been almost totally based on land; the greatest burden has been carried by the Army, Royal Marines and RAF support helicopter force in cost not only to personnel and families, but equipment — wearing out as fast as the soldiers suffer burn-out. The effect of repeated tours, stress of battle, suicide and divorce continue to mount, often out of view of the greater population or the political elite.”»
La caractéristique essentielle de toutes ces critiques est qu’elles privilégient largement la dimension psychologique. Une place est faite, dans ces critiques, aux matériels, à leur emploi, etc., mais même cette dimension est perçue essentiellement dans ses effets psychologiques sur les forces. C’est bien cette dimension qui domine, qui est par ailleurs directement mentionnée lorsqu’il est question du moral des combattants, des effets de cette guerre sur leurs familles, de la situation psychologique des combattants lorsqu’ils sont relevés et qu’ils rentrent en Angleterre, des accidents et drames sociaux qui en résultent (divorces, suicides, etc.) Tout cela est couronné par le constat de l’absence de réalisation de cette situation par les dirigeants et la plus grande partie de la population («…often out of view of the greater population or the political elite.”»). Il en résulte une situation psychologique de désarroi moral, de solitude sociale, etc., qui a un effet très grand sur la façon dont les troupes appréhendent les tactiques sur le terrain, leur façon de combattre, etc. De ce point de vue, les effets de cette crise sont effectivement psychologiques, et ils ont des effets sur la situation sociale de l’armée dans son pays d’origine.
Il s’agit bien plus d’une crise psychologique que d’une crise de l’institution militaire en tant que telle. C’est, si l’on veut, une crise civile à l’intérieur de l’institution militaire, et elle affecte essentiellement les deux armées anglo-saxonnes (la britannique dans ce cas, l’armée américaine également, comme cela est largement documenté). Cette situation particulière des armées anglo-saxonnes a, à notre sens, bien plus des causes psychologiques que des causes militaires pures (tactiques, notamment, voire stratégiques). Ce sont la présentation même, officielle, la virtualisation de ces guerres si l’on veut comme des conflits fondamentaux, essentiels à l’équilibre et à la survie des pays qui les conduisent, qui sont surtout la cause de cette situation. A cela répond, comme un motif terrible d’effondrement du moral, la situation sur le terrain de la guerre de “contre-guérilla”, marquées par des erreurs permanentes (psychologiques là aussi), l’hostilité des populations, la perversion des méthodes militaires avec l’emploi massifs de contractants civils en-dehors des cadres et de l’éthique militaire. Cette situation n’existe pas avec cette force fondamentale dans les autres pays qui participent au conflit, d’ailleurs d’une façon beaucoup moins affirmée. Dans ces pays, les guerres en cours ne sont même pas perçues comme des “guerres” réelles, et certainement pas présentées avec tant de pompe et d’ambitions politiques et morales qu’elles le sont dans les deux pays anglo-saxons.
La crise que signalent les divers articles analysés par le Times et publiés dans la British Army Review est une transcription au plan militaire de la crise du sens qui caractérise notre civilisation. Plus précisément, cette “crise du sens” est ici représenté par une crise d’un “sens faussé”, un “sens” complètement fabriqué par la représentation virtualiste du monde qui caractérise la politique anglo-saxonne depuis le 11 septembre 2001, et qui fut préparée par le conflit du Kosovo de 1999. C’est la confrontation de la psychologie nourrie d’une narrative faussaire avec les réalités du terrain et de la “guerre” que les soldats anglo-saxons sont censée mener. Cela rappelle l’exemple de certaines expéditions soviétiques (Budapest en 1956 et Prague en 1968) où les troupes russes étaient confrontées à une situation psychologiques totalement différente (notamment l’attitude des populations) de ce qui leur était présenté. La différence est bien entendu que les opérations soviétiques étaient courtes tandis que nos guerres sont longues, très longues. La dévastation psychologique est à mesure. Cette situation générale est complétée par la coupure avec le commandement, dont l’attention générale est portée sur sa situation hiérarchique, sur la présentation de communication du conflit, avec la virtualisation qui va avec, qui n’a rien à voir avec la situation des soldats. La crise des armées anglo-saxonnes est donc précisément une crise civile (psychologique) à l’intérieur des armées. Cet effet correspond parfaitement aux prolongements paradoxaux de la G4G, si souvent examinés ici. Ces guerres, qui amènent la discorde dans le tissu psychologique et social des pays qui les mènent sont bien la manifestation de la crise occidentaliste interne, plus que celle des pays où ont lieu les guerres. S'il est encore question de “défaite”, c'est à ce niveau qu'elle se manifeste, et elle touche les deux pays anglo-saxons qui affirment par ailleurs, avec tant d'emphase, leur puissance irrésistible.
Mis en ligne le 3 septembre 2009 à 06H30
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