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17442 juin 2014 – Jamais dans l’histoire de “l’Europe des Pères Fondateurs” la question de la nomination du nouveau président de la Commission Européenne (CE) n’a acquis une importance politique aussi grande, en dépassant justement la seule politique interne européenne. (Voir le 31 mai 2014.) Cette affaire a pris à la fois un tour politique fondamental et un tour symbolique, directement liés au sens profond du scrutin européen du 25 mai, – lui aussi, ce scrutin, d’une importance politique et symbolique sans précédent par rapport au désintérêt habituel des électeurs et des directions politiques pour lui. Enfin, nous estimons que cet ensemble crisique est lui-même indirectement mais puissamment lié par un lien psychologique très fort à la crise ukrainienne, à cause du rôle de détonateur puis d’un des acteurs principaux qu’y ont joué l’Europe, et spécifiquement la Commission Européenne dont on cherche le nouveau président dans cette atmosphère d’affrontement politique. C’est là-dessus que nous jugeons que la situation présente un tour original et assez inédit, avec ce lien fermement établi entre deux crises qu’on pourrait être tenté, selon un point de vue standard et éventuellement standard-Système (selon les normes du Système), d’apprécier séparément.
La place centrale occupée dans l’affaire européenne en cours par Jean-Claude Juncker, principal candidat à la présidence de la Commission Européenne, et candidat particulièrement confiant dans ses chances, soulève un débat de fond. Ce débat est non seulement amplifié d’une façon dramatique, mais produit directement par les résultats des élections européennes, qui mettent plusieurs dirigeants européens dans des positions très difficiles. Le “I don’t care” de Juncker lorsqu’on lui a posé la question de l’effet de l’avancée eurosceptique dans les élections du 25 mai illustre bien la polarisation des positions antagonistes au sein de cette phase crisique. Au contraire de Juncker, tout au contraire, cette avancée eurosceptique concerne des domaines européens fondamentaux pour nombre de dirigeants européens, qui se trouvent dans des positions ambiguës, souvent inconfortables, puisque souvent déterminées contre leurs engagements habituels par la pression de leurs électeurs. Divers signes existent donc, qui substantivent le malaise et indiquent que l’Europe officielle, tant institutionnelle à Bruxelles que dans les capitales des États-membres, est entrée à nouveau dans la zone ontologique de sa crise, déjà explorée lors des débats post-référendums de l’année 2005, et écartée depuis par les crises financière et économique à partir de 2009-2010. (Cette crise depuis 2009-2010 était évidemment d’une très grande puissance et a suscité plusieurs épisodes dramatiques ainsi que des conséquences particulièrement douloureuses qui affectent aujourd’hui la plupart des pays européens, mais, en un sens, elle ne concernait pas la question ontologique de l’Europe parce qu’il s’agissait essentiellement de l’effet européen d’une crise sectorielle mondiale touchant les secteurs financier et bancaire. Par contre, certes, elle a préparé l’épisode actuel, puisqu’elle a mis en lumière la forme de réaction de l’Europe à cette crise sectorielle mondiale, et mis en évidence la façon dont la direction institutionnelle de l’Europe réagit par rapport aux intérêts et au bien-être des populations de nombre de ses États-membres.)
• Un des signes les plus tangibles, les plus concrets, de cette crise qui se cristallise pour l’instant autour de la candidature de Juncker à la tête de la CE, vient essentiellement du Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, de la France, les deux pays les plus touchés par les votes eurosceptiques du 25 mai (28% pour l’UKIP au Royaume-Uni, 25% pour le FN en France, les deux partis eurosceptiques étant chacun en première position dans leurs pays respectifs).
Le Guardian du 1er juin 2014 explique à propos de la position de Cameron versus Juncker, qu’il s’agit de rien de moins, selon le Premier ministre britannique, que du retrait du Royaume-Uni de l’UE : «In a pre-publication copy of an article, Spiegel said the prime minister [Cameron] had explained, on the sidelines of an EU summit in Brussels on Tuesday, that if Juncker became commission president, Cameron would no longer be able to ensure Britain's continued EU membership. The magazine said participants understood Cameron's comments to mean that a majority vote for Juncker could destabilise his government to the extent that an “in-out” referendum would have to be brought forward. That in turn, they understood, would most likely lead to the British people voting to quit the EU, the magazine said.»
Le Monde, de son côté, va également à la pèche des informations concernant la France, dans la presse allemande qui semble assurément la voie favorite pour les nouvelles concernant les autres pays européens (le 1er juin 2014) : «Samedi 31 mai, plusieurs journaux allemands rapportent des critiques allant crescendo. Selon le Bild, le président français, François Hollande, aurait lui aussi signifier sa réserve à voir Jean-Claude Juncker accéder au poste de président de la Commission. François Hollande aurait ainsi fait savoir cette semaine à la chancelière allemande, Angela Merkel, qu'il avait besoin d'un “signal” en direction de ses électeurs, après le succès du Front national au scrutin de dimanche dernier. “Il a fait pression pour un programme d'investissement de grande ampleur et a mis sur la table [le nom] de son ancien ministre des finances, Pierre Moscovici”, écrit le Bild, sans citer de sources.»
... Certes, il sera intéressant de voir ce qui sera fait de ces deux pressions britannique et française, exercées en direction de la juge-arbitre suprême européenne, Angela Merkel, – dont l’embarras est évident. L’effet sera une bonne indication des tendances européennes en cours, avec des péripéties à venir quelle que soit la voie choisie. En attendant, cette occurrence résume la situation européenne, en complet contraste avec les années 1990 où la France constituait le pôle rassembleur de l’Europe, tantôt avec l’Allemagne pour les matières institutionnelles (l’euro), tantôt avec le Royaume-Uni pour les matières de sécurité (traité de Saint-Malo). Pour l’Allemagne, le problème est que la situation est moins le résultat de son propre accroissement de puissance que de l’affaiblissement de ses deux partenaires, jusqu’à la quasi-dissolution pour la France qui a perdu toute autonomie souveraine depuis 2008-2009 et les présidences Sarkozy et Hollande rompant avec la légitimité souveraine de la fonction par leur impuissance à en saisir l'essence. La conclusion véritable de cette évolution n’est pas tant dans l’émergence de l’Allemagne qu’au niveau de l’Europe institutionnelle elle-même, qui a gagné effectivement en puissance par rapport aux États-membres, et par l’abandon de diverses souverainetés de ses États-membres, mais pour un résultat général d’une part d’une extrême confusion de l’action européenne illustrée par la crise ukrainienne, d’autre part d’une crise fondamentale de l’idée européenne illustrée par le vote du 25 mai.
• Cette crise de l’idée européenne, ou du “rêve européen”, est présenté et commenté par un collaborateur de The Observer, William Keegan, le 31 mai 2014 : «European Union dream threatened by austerity and disharmony : structural problems with the eurozone and economic blunders have dragged the postwar project into a critical phase..» Keegan ne fait que confirmer la profondeur de la crise européenne, qui a désormais sa spécificité et ne peut plus être présentée comme la conséquence de crises extérieures. L’Europe est désormais productrice de crises...
«One of the prominent successors, decades later, to Monnet and Schuman was Valéry Giscard d'Estaing who, as president of France in the second half of the 1970s, was a leading participant in the formation of the European monetary system and the exchange rate mechanism, the precursor to full monetary union and the euro.It was noteworthy that in a recent interview with the Financial Times, Giscard observed: “It is said people are voting against Europe – that's not true. They are voting against what Europe is doing wrong.” For Giscard, it is bad management, not the basic architecture, of the eurozone that is the problem. But if he studied the timely new book by Philippe Legrain, European Spring – Why Our Economies and Politics are in a Mess, he might be more inclined to accept that the fundamental structure of the eurozone is also to blame.
»Legrain, a former economic adviser to the president of the European commission, gives a vivid insider's account of just how badly the European political and economic elite responded to the financial crisis. As in the UK, the wrong diagnosis was made when laying so much of the blame on putatively excessive public spending – an analysis that may have applied to Greece, but not the others – as opposed to the credit crunch.»
• Là-dessus, l’analyste russe Natalia Meden, de Stratégie-Culture.org a l’heureuse idée, le 31 mai 2014, de développer une réflexion où elle rapproche décisivement la crise ukrainienne et de la crise européenne dans sa phase actuelle. Ainsi Meden prend-elle à son compte, sans le dire explicitement ni même la réaliser nécessairement, l’idée que l’Europe est désormais productrice de crises ; elle y ajoute l’idée que “l’Europe productrice de crises” est elle-même trop handicapée par ses propres crises pour mener à leur terme, éventuellement à son avantage, les crises extérieures qu’elle suscite.
Meden remarque justement, dès son titre et selon les termes qu’elle y utilise, que l’Europe n’a plus, depuis le 25 mai, “l’intention de prendre en charge le nettoyage des écuries d’Augias de Porochenko”. Elle marque bien combien, soudain, l’Ukraine est passée en pages intérieures, voir en dernière page de la presse-Système, au profit des nouvelles concernant la crise européenne dans sa séquence du 25 mai. Il apparaît aussitôt évident qu’elle touche justement le point essentiel dans cette circonstance, savoir que l’Europe, soudain confrontée à sa crise ontologique, n’a plus du tout l’intention, ni de concentrer son attention, ni ses efforts, ni ses moyens, dans la résolution d’une crise ukrainienne qui passe au second plan, qui devient presque incongrue, presque déplacée sinon obscène dans sa prétention de figurer comme un problème européen essentiel... (Ce qui n'empêche bien entendu qu'elle le demeure, certes, les forces supérieures productrices des événements en cours n'ayant cure des “intentions” des figurants-Systèmes de ces mêmes événements.)
«Like in a wave of magic wand European media stopped intimidating people with the threat coming from the East as the presidential election in Ukraine wound up. The threat looked especially ominous at the time Europe marks the 100th anniversary since the start of World War I. It remembers how the “Long Shots of Sarajevo” pushed the caldron was to the boiling point by assassination of Archduke Franz Ferdinand.
»Chancellor Angela Merkel opened a major exhibition marking the centenary of the First World War in Berlin on May 28. In her speech there she avoided mentioning the rise of tension in the heart of Europe. The European elite have other headaches than the after-Maidan Ukraine. This is the time of redrawing the Brussels political landscape and it’s much more important than cleaning out the Poroshenko Augean Stables…
»Who will become the next President of European Commission that is the question! Will it be Jean-Claude Juncker or the Socialists’ candidate Martin Schultz? Will Günther Oettinger, European Commissioner for Energy, remain to be a member of the European Commission and if so, in what capacity? All told, the results of European election and the following events make pale in importance the Ukrainian crisis which is turning into an endemic problem. The Maidan coup brings to mind the “Arab Spring”, and Egypt in particular. No way could Ukraine clean the mess and leave the crisis behind any time soon. Besides, how long will Poroshenko keep his position as the country is balancing on the verge of political and economic collapse?»
On sent bien que ces différents aspects demandent à être réunies et intégrées dans une même logique, dans une même dynamique. Ce qui se passe en ce moment pour l’Europe, c’est une intégration complète et réussie dans la crise générale de civilisation que nous connaissons, ou “crise d’effondrement du Système”. D’îlot de stabilité et d’apparente pérennité à la fois puissant et formidable, – chose rare pour un îlot, – d’artefact miraculeux semblant détenir la recette de l’avenir (formule d’une gouvernance vertueuse), exportant éventuellement certains des éléments de cette recette (immédiatement transcrites en désordres supplémentaires pour ceux qui en furent et en sont les bienheureux récipiendaires), l’Europe s’est transformée en un centre de crise, à la fois producteur de crises en son propre sein et autour d’elle-même. Après avoir semblé développer avec une suffisance certaine et une auto-assurance sans la moindre hésitation la surpuissance sans risque excessif (de conflits, notamment), l’Europe s’est brusquement transformée, devenant crise elle-même et productrice de crises qui produisent elles-mêmes l’autodestruction. Elle s’est donc parfaitement intégrée comme acteur actif et ardent dans la dynamique surpuissance-autodestruction de la crise d’effondrement du Système.
L’épisode ukrainien est, pour cette phase, un événement fondamental, un événement fondateur, – et cette crise-là ne peut se comprendre précisément dans ce cas, selon la façon de voir spécifique que nous adoptons pour cette analyse-là, qu’en conjonction avec la crise européenne, comme élément constituant de cette crise européenne, comme élément détonateur de cette crise européenne, etc. Pour cette raison, nous nous livrons à l’exercice de lier absolument les événements des deux crises, en avançant l’idée que, sans la crise ukrainienne, les élections européennes du 25 mai n’auraient pas été ce qu’elles ont été, essentiellement dans l’effet qu’elles ont déclenché et qu’elles vont développer désormais avec une alacrité sans frein, c’est-à-dire comme un choc psychologique d’une très grande puissance... Ce n’est pas la fin de l’Europe, – concept qui n’a guère de sens selon la configuration générale actuelle où l'ensemble du Système doit s'effondrer en toute solidarité entre tous ses éléments, – c’est la transformation de l’Europe en un facteur de division, de désordre, de déstructuration et de dissolution, – l’Europe parvenue, enfin, à l’équivalence des USA, voire les dépassant dans cette matière créatrice d’effets négatifs, au sein du bloc BAO. Ce n’est pas la fin de l’Europe car l’on a trop besoin d’elle pour assurer un élan supplémentaire, voire décisif, dans la machinerie surpuissance-autodestruction du Système et la séquence fondamentale du processus d'effondrement du Système auquel elle appartient à part entière.
Ici, nous voulons donc développer une interprétation de ce que nous jugeons comme une interconnexion entre les deux crises, la crise européenne spécifique et la crise ukrainienne... Il s’agit de deux crises qui ont leurs spécificités et leurs prolongements très puissants, certes, et qui les conservent, mais qui nous apparaissent également liées entre elles de manière fondamentale, de façon à se développer et à se dynamiser l’une l’autre ; en réalité, si l’on veut, elles représentent la même crise s’inscrivant comme un des aspects de la dynamique générale que nous désignons indistinctement comme l’ infrastructure crisique de la situation de la civilisation ou comme la crise d’effondrement du Système selon le point de vue choisi.
L’intérêt de ces deux crises se trouve effectivement dans leur interaction, qui permet une interprétation beaucoup plus haute de la séquence, et éventuellement une interprétation métahistorique. On doit dans ce cas raisonner d’un point de vue essentiellement psychologique, c’est-à-dire du point de vue de la perception des événements qui permet souvent dans découvrir l'essence profonde, et l’on obtient alors une interprétation très intéressante. Bien entendu, de très nombreux facteurs conjoncturels, “tactiques” si l’on veut, entrent en jeu, comme l’activisme constant de déstructuration du système de l’américanisme dans les pays d’Europe de l’Est et en Russie même, avec comme but final la déstructuration de la Russie, selon les techniques d’“agression douce” (“révolutions de couleurs”, corruption, manipulation par ONG, pression de la communication, etc.). Mais aucun de ces facteurs conjoncturels n’est décisif dans le cas que nous examinons ici. Il importe alors d’observer les événements de la séquence selon le point de vue proposé.
• Il est assuré que la crise ukrainienne dans sa phase active présente commence à la mi-novembre 2013 avec la rupture des négociations entre l’Ukraine et l’UE. Nous avons déjà signalé la pression considérable, quasiment impérialiste, qu’a exercé la Commission Européenne sur le gouvernement Ianoukovitch, et cela suivant une dynamique-Système de la bureaucratie, sans dessein politique avéré, sans consigne particulière du centre (la direction de la Commission), mais simplement en suivant la dynamique bureaucratique. (On peut citer notre texte du 31 mai 2014 : «Il faut entendre du dedans, c’est-à-dire chez certains fonctionnaires de cette direction qui y furent directement impliqués, le récit de la circonstance initiale de novembre 2013 qui déclencha la crise ukrainienne, l’extraordinaire intransigeance du Commissaire à l’Elargissement de la Commission, tchèque de nationalité, qui mena les négociations et refusa la moindre concession à Ianoukovitch, ne lui laissant d’autre choix que de refuser, – et ainsi pourra-t-on mieux comprendre cette crise-là...») Il s’agissait sans aucun doute d’une poussée “impérialiste” de type-bloc BAO de la meilleure forme contemporaine de cette époque de déstructuration massive, avec l’intransigeance et l’arrogance qui siéent à cette forme postmoderniste d’impérialisme dont les Anglo-Saxons furent les initiateurs, et Arnold Toynbee l’un des premiers enquêteurs éclairés. (Voir le 4 novembre 2013 sur cette interprétation de Toynbee, sur l’“occidentalisation” du monde à partir de 1945, dito l’anglosaxonisation/l’américanisation du monde, dito la transmutation-Système du monde, – selon l’avancement du programme...)
• Aussitôt commencent un cycle de protestation et de manifestation à Kiev, un mouvement connu depuis comme le Maidan (du nom de la place de Kiev où eurent lieu les rassemblements), mais un temps baptisé Euromaidan parce que le fondement de communication, l’argument central, la narrative sublime du mouvement se résumaient dans l’aspiration des protestataires à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, exactement comme l’on accéderait au paradis terrestre. Il faut alors faire l’hypothèse, substantivée par diverses “scènes vues...” dans les couloirs et autres cafétérias des centres européens de Bruxelles, qu’une sorte de “vertige civilisateur” saisit les opérateurs de cet “impérialisme”-soft (ou “-light”) activé effectivement, ô miracle des origines, par un Commissaire venu de ces pays de la New Europe (Rumsfeld dixit, in illo tempore), le tchèque Stefan Füle. La présentation des événements, la mise en scène presque inconsciente, la perception avide de déformation vertueuse des moyens de communication du côté du bloc BAO et de l’Europe (l’UE), impliquèrent de facto une véritable représentation de l’UE comme un idéal de gouvernance et de prospérité, – presque une légitimation populaire pour l’UE, – car il sembla bien aussitôt que c’était bien “le peuple” qui proclamait son désir presque extatique d’Europe. (Encore une fois, par pitié, laissons les manipulations de côté, de la Nuland & Cie à Pravy Sektor, en passant par le monde interlope des oligarques ukrainiens changeant de bord comme de compte en banque. Nous parlons de la perception des événements.) Il faut comprendre ce que cela représente pour les dirigeants européens, les hauts fonctionnaires, etc., et tout cela selon la perception et le jugements les plus sincères et les plus vertueux du monde : l’Europe était donc bien ce qu’eux-mêmes répétaient à satiété depuis des années, pour s’en convaincre ; et surtout depuis quelques années (2005, les votes négatifs en France et en Hollande, 2009-2010, l’énorme crise de l’euro, l’austérité imposée par les banques et la dévastation sociale qui s’ensuivit), où leur conviction reçut tant de coups inattendus et furieux, tant de dénonciations, tant de blessures cruelles... Pour eux, Euromaidan fut une divine surprise, littéralement divine : “le peuple” nous aime, “le peuple” nous veut... (“Euromaidan, c’est une révolte ? – Non Sire, c’est une révolution”, devaient répéter avec délice, dans leurs rêves, dirigeants et bureaucrates européens.)
• Les choses sérieuses commencèrent les 21-22 février 2014, où, pour quelques heures, quelques ministres nationaux délégués par l’Europe purent sentir le frisson de la tragédie, la vraie, la sanglante, les parcourir dans la nuit profonde et furieuse de Kiev, durant les négociations entre Ianoukovitch et l’opposition. (Voir le 22 février 2014.) A partir de là, tout s’emballa et sembla se défaire, tout comme les accords signés sous la maîtrise et la responsabilité de l’UE et aussitôt transformés en chiffons de papier, entre les virées de Pravy Sektor, les escapades à Kiev d’un Brennan de la CIA ou d’un Biden venant placer le fiston dans le Conseil d’Administration de Burisma Holding, entre les rodomontades de la bande de Kiev, les querelles des oligarques corrompus jusqu’à la moelle, la sécession en superbe douceur de la Crimée et le désordre comme une traînée de poudre de la partie russophone du pays. La récréation était finie. De même, l’apparat et la représentation se dissipèrent comme le voile vaporeux d’une photo de David Hamilton, mettant à nu et à vif toutes les tensions déstructurantes de la situation. La plus importante de ces tensions est bien sûr la situation nouvelle créée avec la Russie, qui passe d’une hostilité rampante du bloc BAO, type-“agression douce”, ne permettant guère à la Russie de riposter, à une attitude déclamatoire et provocatrice plus ou moins assumée et contrainte, où la Russie peut raisonnablement riposter sans se déconsidérer auprès de ses alliés plus ou moins affichés. La Russie a pu ainsi prendre des mesures radicales (“alliance”, de facto stratégique, avec la Chine, voire avec l’Iran), toujours sans risquer cette même déconsidération. De même, cet antagonisme ouvert avec la Russie a contribué à déconsidérer un peu plus les aspects ouvertement déstructurants et insensés de la politique extérieure US, en même temps qu’elle a alimenté et alimente certaines divisions graves au sein du bloc BAO, notamment entre certains pays européens et les USA. La situation de confrontation est plus ouverte, plus affichée, et les tensions potentielles entre alliés du bloc BAO s’en trouvent activées. Le retour à la vérité de la situation se fait avec nombre d’avatars et de pressions diverses dont le bloc BAO n’avait pas besoin. Il est assez raisonnable d’avancer que cette nouvelle situation aura des effets considérables, où le bloc BAO (UE + USA) perd sa posture habituelle construite sur un simulacre de communication de producteur de stabilité, d’exemple de gouvernance, de modèle, etc. On comprend évidemment que, dans ces diverses considérations, la perception, et par conséquent la psychologie, ont joué un rôle considérable.
• Au fond, la phase entre novembre 2013 et février 2014 fut comme la montée de l'épisode hypomaniaque de la pathologie du maniaco-dépressif dont on sait que nous jugeons qu’elle caractérise la psychologie des dirigeants-Système dans la séquence historique et métahistorique que nous vivons depuis 9/11 et surtout l’automne 2008, et cette fois spécifiquement des dirigeants européens. (Sur la psychologie de la maniaco-dépression et la “terrorisation” de la psychologie des dirigeants-Système, voir le 19 janvier 2012, le 16 avril 2012, le 18 juin 2012, etc.) A partir du 21-22 février s’amorça la redescente vers la dépression, également caractéristique du cas, avec le sous-sol dépressif atteint de plein fouet le 25 mai... Et nous plaidons bien entendu, dans cette même analyse de l’humeur maniacodépressive (voir les textes référencés), que la plongée dans la dépression est aussi le retour à la vérité de la situation. Ainsi en fut-il pour l’Europe le 25 mai.. L’on voit le rôle fondamental que joua la crise ukrainienne dans la séquence, en permettant que la chute dépressive du 25 mai soit d’autant plus catastrophique, d’autant plus significative, avec sans le moindre doute des effets encore plus catastrophiques à venir, – et tout cela dans la perception de la situation d'une psychologie effectivement caractérisée par ce fameux état bipolaire.
Ainsi peut-on avancer l’interprétation que la crise ukrainienne est une réplique par prémonition et anticipation, et un modèle dans l’esprit de la chose, du séisme que furent les élections européennes du 25 mai, éclipsant complètement celle de Porochenko qui n’intéressa pas grand’monde (la mascarade Euromaidan est finie), pour clamer haut et fort que la crise européenne qui avait brutalement surgi au cœur de la crise ukrainienne regagnait son terrain d’élection. La fièvre extatique sans lendemain d’Euromaidan, – ou épisode hypomaniaque, – apparut alors pour ce qu’elle fut, une véritable inversion comme le Système nous a accoutumés dans sa surpuissance, laissant place bientôt à la fureur déchaînée par cette succession de crises des électeurs européens du fameux 25 mai telle qu’on la perçut, comme le Système nous a accoutumés dans son autodestruction.
L’ensemble de la séquence restitue un exemple extraordinaire de dissolution et de désagrégation finale d’une position de force dans le domaine de la communication, de l’ensemble du bloc BAO. La chronologie semble avoir été calculée par une intuition haute, notamment avec la fixation de cette date du 25 mai et ses deux élections qui permet une appréciation rupturielle parallèle des crises européenne et ukrainienne, et donc achève l’interaction des deux, par la perception qu’on en a. Ainsi l’ensemble crisique Euromaidan-eurosceptique (novembre 2013-25 mai 2014) apparaît-il comme une courbe folle passant d’un sommet impérialiste et extatique hypomaniaque à une chute dépressive extraordinairement brutale, la première rendant la seconde particulièrement dévastatrice, – “plus dure a été la chute”, parcours classique qui est en soi une crise, dont la “dureté” transforme effectivement la profondeur et la force de la crise jusqu’à lui donner une autre nature... Le 25 mai 2014 ne serait certainement pas ce qu’il est sans novembre 2013.
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