La croisade de Bayrou et la référence belge

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Hier, à l’émission Ripostes de Serge Moatti, sur la cinquième chaîne française, François Bayrou a exposé une nouvelle fois ses conceptions “révolutionnaires”. Attaché notamment à l’exemple concret des élections municipales, il expliqua que son idée était que les forces politiques locales ne devaient pas s’aligner selon l’orientation nationale de la direction centrale. A Montpellier ou à Lyon, à Bordeaux ou à Lille, des partis de gauche doivent être capables de s’allier à des partis de droite, un parti du centre avec l’un ou l’autre, les Verts avec les uns et les autres, etc. tout cela sans référence nationale, mais selon la seule valeur des personnalités locales et de leurs politiques. C’est, selon Bayrou, toute la philosophie de son propre projet : un parti du centre sans exclusive, pour lequel les notions restrictives de droite et de gauche n’ont guère de sens. C’est la voie, selon lui, vers la vertu en politique : des choix selon le mérite des choses et non l’étiquette qu’elles portent.

Présentant cette vision comme manifestement révolutionnaire, c’est-à-dire inédite, Bayrou ajoutait aussitôt :«Tous les pays d’Europe font comme cela.» C’est l’étrange rhétorique habituelle de la plupart des dirigeants réformistes français : présenter ce qu’ils font comme révolutionnaire, c’est-à-dire comme totalement nouveau et sans précédent, et préciser aussitôt que c’est fait partout ailleurs en Europe (ou dans le monde) et qu’il est temps que la France “fasse comme les autres”. (Cela fut souvent l’argument de Sarko du point de vue économique lors du débat contre Royal.)

Bayrou a cité l’exemple de l’Allemagne, où les coalitions dirigeant les Landers ne suivent en rien le schéma national. Il aurait pu donner l’exemple belge, encore plus marqué à cet égard, où les engagements parallèles des partis entre national (fédéral), provincial, municipal et local sont si rares qu’ils sont présentés comme des exceptions significatives d’un événement politique. Il n’existe sans doute pas de pays de l’UE plus décentralisé et donc plus “libre” au niveau local que la Belgique, puisque la décentralisation normale (très forte en Belgique) entre les différents niveaux de pouvoir est multipliée et reproduite par la parcellisation linguistique administrative en trois zones (néerlandophones, francophones, germanophones) et la parcellisation administrative de type confédéral en trois régions (Flandre, Bruxelles, Wallonie). Même au niveau national, les partis sont démultipliés en deux avec une version francophone et une version néerlandophone du même parti, sans aucun lien organique, et un Parlement “national” (avec exécutif) wallon et flamand (avec un Parlement bruxellois en plus, cerise sur le gâteau). Ce serait, selon les conceptions de Bayrou, l’extrême de son projet révolutionnaire, où toutes les spécificités d’un ensemble extraordinairement complexe sont prises en compte, où il n’existe aucune contrainte partisane autoritaire du haut vers le bas.

Le résultat est une référence mal connue hors des plaisanteries convenues. La Belgique présente le cas le plus avancé de l’impuissance du pouvoir central et de la prolifération des arrangements et corruptions au niveau local. Des entités ont pu se constituer au niveau local, comme de véritables exemples d’investissements partisans de coalitions locales où les dictatures des partis locaux peuvent s’exercer en toute impunité. Au début des années 1990, une thèse universitaire célèbre décrivait Liège comme un mélange systèmique d’une cité moyenâgeuse autonome et d’une entité contrôlée et administrée par une structure mafieuse avec contrôle de tous les services publiques et para-stataux. (C'est en 1990 que le chef du PS liégeois André Cools fut assassiné. Dans cette affaire complexe mais bien révélatrice du phénomène qu'on décrit ici, on retrouva des tueurs de la Mafia sicilienne, l'affaire de corruption des hélicoptères Agusta achetés par la Belgique, une guerre interne au PS liégeois qui tient la ville, l'utilisation des moyens d'un ministère fédéral tenu par un socialiste liégeois pour le trafic de fonds illégaux.) Récemment, les scandales de Charleroi ont montré une même structure et une même corruption d’un système mis en place par un potentat local (le socialiste Van Cauwenberg, député de Charleroi et ancien Premier ministre de l'exécutif wallon).

D’une façon générale, pourtant, ces pouvoirs locaux tenant la justice, la police, la presse et l’université, les scandales ont souvent été évités et le système semble fonctionner sans trop d’à-coups. La formule installe non pas le scandale de la corruption et le scandale du déni de démocratie, mais la corruption et le déni de démocratie fonctionnant sans à-coups et sans scandale. Les tares du système général occidental sont installées dans la vie locale d’une façon beaucoup plus contrôlée. Les accidents qu’on a signalés ne font que marquer l’essoufflement de ce type de système, qui correspond à la crise générale du système démocratique.

La croisade de Bayrou, homme à l'esprit civique affirmé, relève du monde des idées et des intentions pures. La réalité, qui est celle d'un système à bout de souffle et en voie de désintégration, indique que la référence centralisatrice, à mesure de sa force, permet de freiner dans la mesure du possible les tendances irrésistiblement corruptrices des pouvoirs locaux. La Belgique est un bon exemple a contrario.


Mis en ligne le 14 mai 2007 à 08H14