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20528 décembre 2010 — Nous avions conçu un tout autre début pour ce texte, déjà annoncé le 2 décembre 2010 par un Nota Bene, et texte auquel nous pensions depuis un certain temps. Entretemps, et même depuis le 2 décembre, les événements et la mesure qu’on a pu en prendre nous ont invité à une approche différente. On sait que l’affaire Wikileaks, ou Cablegate, est en train de se transformer en une “guerre”, que ce soit une “guerre de l’information” ou une “cyberguerre” , – notamment parce que, cette fois, le Système a réagi avec une fureur extraordinaire. Déjà, cet emportement, cette fureur de la Bête, cette réaction terrible sont une victoire, car l’événement marque la peur soudaine du Système devant ce qu’il ressent comme une menace ontologique, une “cyber-insurrection” (expression qui nous paraît préférable, par la dynamique qu’elle implique, à celle de “cyberguerre”)… Dans ce contexte brutalement imposé, notre intervention se devait d’emprunter d’autres approches ; si “guerre de l’information” ou “cyber-insurrection” il y a, et contre le Système, nous sommes nécessairement impliqués.
Du coup, nous serions tentés d’identifier notre destin à celui de la bataille qui s’étend… Puisque, certes, il s’agit bien d’une guerre, la vraie, la seule concevable, la guerre contre le Système sous sa forme de l’insurrection, et passant à une phase active. Cette guerre-là, loin des loufoqueries cruelles et sanglantes de l’Irak et de l’Afghanistan, correspond bien aux moyens disponibles, dans cette ère psychopolitique, dans le cadre de ce système de la communication dont on connaît l’ambiguïté ; le “système de la communication”, qui est très spécifique et bien autre chose qu’un système de communication seulement envisagé du point de vue technique, est en effet caractérisé par l’état paradoxal d’un Janus ; créé pour renforcer l’axe central du Système, qui est le système du technologisme, ce qu’il fait effectivement, mais également, par ses caractères spécifiques, conduit parfois et de plus en plus souvent à être utilisé par les adversaires du Système, contre le Système… C’est pourquoi cette guerre est possible, qu’elle est inévitable, et que son issue ne fait guère de doute dès lors que la Bête, – dito, le Système, – commence à montrer sa faiblesse sous la forme d’une fureur révélatrice.
Par conséquent, nous sommes at war, comme il disait, le 11 septembre 2001, après l’attaque…
Dans cette immense fresque qui met en cause au moins le sort d’une civilisation, et peut-être beaucoup plus, – c’est notre conviction d’intuition que nous aurions encore bien du mal à substantiver, mais moins qu’il y a deux ans (9/15) et, bien sûr, qu’il y a neuf ans (9/11), – nous avons bien du mal également à prétendre que nous (dedefensa.org) avons notre place. Le rapport des tailles et de l’importance des choses paraît ridicule ; pourtant, l’esprit y est… Cela nous conduit à dire quelques mots, cela nous conduit à notre cas, cela nous conduit à aborder d’abord des réalités plus terre-à-terre, qui étaient d’ailleurs le thème central (pré-Wikileaks) de ce message.
Pour ce faire, pour ce passage “terre-à-terre” qui nous est imposé et que nous nous imposons, ainsi qu’à nos lecteurs, il suffit du rappel d’une toute fraîche nouvelle parmi d’autres de la même sorte, du 2 décembre 2010, sur le boycott de Wikileaks par Amazon.com. Les commentaires ne nous paraissent pas utiles. Il s’agit, in vivo, d’un exemple spectaculaire des conditions de la bataille qui se déroule aujourd’hui, au cœur du système de la communication, entre les partisans et les adversaires du système général. Les seconds n’ont pas la fortune de leur côté, même s’ils ont sans doute le nombre. Que nos lecteurs gardent cela en mémoire lorsque, parmi les recherches que ce site entreprend, ou que tel ou tel lecteur lui conseille d’entreprendre pour assurer au niveau financier sa bonne marche, voire sa simple survie, surgit l’argument de la publicité. La vérité est qu’il n’y a que le soutien des lecteurs d’un site pour assurer la bonne marche et la liberté de ce site. C’est une règle vieille comme l’existence de l’argent, et comme la tentation d’exercer une pression par le moyen de l’argent.
Il y a aussi le cas Paypal, qui a décidé de couper le compte Wikileaks, selon des arguments grotesques et extraordinairement spécieux, – à l’image de toute la contre-offensive du Système contre Wikileaks. Ce cas Paypal nous pose un problème spécifique, au niveau de la gestion des abonnements, et Dieu sait que nous n’en avions pas besoin d’un de plus, mordiou… Dans un autre texte, à venir, nous examinerons cette question d’un point de vue plus technique. Nous procéderons de la sorte pour ne pas alourdir ce texte présent, – non sans vous exhorter, tous, à choisir les solutions de paiement autres que Paypal pour vos abonnements.
“Vos abonnements”, disons-nous ? Lesquels ?
Malgré cette faiblesse de départ, – mais l’occasion était trop belle, – nous ne sommes pas dans cette page, aujourd’hui, pour récriminer et nous lamenter. Nos lecteurs connaissent depuis longtemps nos arguments, nos aléas, nos difficultés, nos ambitions excessives, nos déceptions… plaidoirie inutile. Pourtant, quelques nouvelles récentes, pour fixer les choses, notre situation, nos perspectives éventuelles, ne sont pas inutiles.
Disons simplement que la situation générale, surtout après un mois de novembre catastrophique au contraire de ce que nous en attendions, nous conduit à qualifier cette situation de “bien médiocre” si nous voulons être optimiste, et de “nettement mauvaise” si nous nous laissons aller au pessimisme. Pourtant cette situation est aussi paradoxale…
Quelques chiffres rapidement pour nous en expliquer. (Comme toujours, nous nous référons à un système de comptage qui utilise une méthodologie aléatoire, – comme elles le sont toutes ; ce qui nous importe, ce sont les rapports entre périodes, selon la même méthodologie de comptage, qui donnent une vérité de l’évolution.)
• En septembre et octobre, le rythme des abonnements, et, surtout, des abonnements annuels (ceux qui nous sont le plus nécessaires), a connu un certain renouveau, qui nous a paru encourageant ; il y a même eu des choix d’abonnements de soutien qui nous ont beaucoup aidé. En même temps, le rythme des visites au site baissait pour la première fois dans l’histoire de dedefensa.org, par rapport à l’année précédente : – 1,3% en août, – 12,3% en septembre, – 14,8%% en octobre. Tout cela nous paraissait logique, le nombre de lecteurs se réduisant devant l’accès limité aux textes.
• En novembre, changement complet. Le rythme de prise d’abonnements recule, voire s’effondre par rapport aux deux mois précédents. Par contre, les visites augmentent, inversant complètement la tendance : + 20,6% (152.617 visites contre 126.578 en novembre 2009, – lequel mois de novembre 2009, avec système d’abonnements activé, était lui-même en augmentation de 12,9% par rapport à novembre 2008, en période d’entrée libre, avec 112.118 visites).
• Le rythme est tel que lundi 6 décembre 2010 fut une journée “quantitativement” historique avec 9.432 visites, record quotidien absolu pour dedefensa.org (précédent record en septembre 2008 avec un peu plus de 7.400 visites). Et toujours un aussi faible taux de prises d’abonnements.
Il y a quelque chose qui, dans notre démarche, – dans cette démarche épisodique de faire appel à nos lecteurs, – pourrait apparaître comme singulièrement gênant, – qui l’est même, parfois, pour nous-mêmes. Ce n’est nullement la question de l’argent, qui a l’air d’effrayer tant d’“internautes” ; c’est la question de l’aspect quantitatif de cette démarche. Ce que nous apprécions comme essentiel dans nos conceptions générales, c’est sans aucun doute de revenir à la vision qualitative du monde, contre la conception quantitative qui caractérise le Système en général, cette entreprise née du “déchaînement de la matière” avec la modernité comme faux nez. Nos démarches auprès de nos lecteurs contiennent nécessairement et à première vue un aspect quantitatif, qui pourrait être exprimé de la façon la plus vulgaire, la plus conforme à l’esprit du système : toujours plus d’abonnements, toujours plus d’argent… (Ainsi, comme le suggérait un lecteur avec un bel humour roboratif, en commentaire d’un texte du 23 août 2010, l’absence de réussite quantitative serait a contrario une vertu et le signe d’une réussite qualitative paradoxale !)
Nous nous sommes largement expliqués de cet aspect-là, d’une façon plus précisément liée au cas de dedefensa.org (le 20 novembre 2009), et d’une façon plus générale, liée à Internet (le 28 novembre 2009). Parce que nous sommes vulgaires sapiens, nous sommes dans le Système, parce qu’aujourd’hui le Système est tout, jusqu’à pouvoir détruire la nature même de notre univers, atteignant ainsi l’essence même du péché originel (comme le John Huston de Chasseur blanc, cœur noir de Clint Eastwood ajuste son éléphant, qui aurait pu être un tigre). Aucune discussion n’est possible à ce stade du constat, nous ne pouvons que nous accommoder de cette situation et arranger au mieux les conditions de notre résistance. C’est pourquoi, en tentant de mettre dans notre démarche un esprit différent, en faisant d’abord d’un abonnement plus qu’une initiative matérielle mais d’abord un encouragement intellectuel et moral, nous tentons de sortir de cette substance quantitative quelque élément qu’on puisse apprécier comme qualitatif, et ainsi contribuant effectivement à cet esprit de résistance, – selon notre point de vue.
C’est dans cet esprit que nous avons avancé depuis quatorze mois avec notre formule d’abonnements. Mais l’“esprit” n’empêche nullement le désarroi épisodique des psychologies, notamment devant les résultats généraux de notre campagne, et, surtout, les plus récents. (Comment expliquer l’effondrement du rythme des abonnements en novembre avec une augmentation considérable des entrées sur le site durant la même période , sans envisager l’hypothèse que la formule de l’abonnement est promise à un échec inéluctable? Ce n’est pas une certitude mais on acceptera la solidité de l’hypothèse.)
Nous sommes placés devant une situation bien complexe, parce que nous ne sommes en rien du tout assurés que la formule abonnements puisse nous permettre d’aller aussi loin que nous le voulons, alors que le public potentiel de dedefensa.org existe toujours. Par conséquent, nous sommes dans l’expectative : conserver cette formule qui cahote diablement et risque de nous imposer des limites, en chercher une autre (mais laquelle ? Et surtout, une qui ne demande guère, sinon pas d’investissement ?!), revenir à celle des donations que nous avions expérimentée en une année complète en 2008, et qui avait donné des résultats financiers supérieurs à notre première année d’abonnements, tout en laissant l’accès libre à tout le site ? Les prochains mois, l’année 2011 sans aucun doute, disons jusqu’à la date-butoir de septembre 2011 (deux ans de domaine payant) nous donneront une réponse, ou nous l’imposeront...
Sur l’essentiel des choses, malgré ces avatars, ces découragements, etc., notre détermination reste intacte. Le site lui-même en répond, et aussi le projet, le livre La grâce de l’Histoire qui doit être mené à son terme. La grâce de l’Histoire est un de nos plus sûrs encouragements à poursuivre, sa publication et son développement rythment l’évolution du site.
Voilà où nous en sommes. Nous ne pouvons que regretter que tous nos arguments en faveur d’une formule que nous jugeons loyale et rigoureuse n’aient pas convaincu le plus grand nombre, non sans observer que la qualité du petit nombre qui nous suit est un signe d’espoir puissant, tant cette qualité est grande, – quantitatif et qualitatif, toujours... Il nous semble que nombre d’“internautes” ne semblent pas avoir réalisé qu’ils sont désormais des lecteurs avant d’être des “internautes”, des gens qui s’informent pour s’armer dans la bataille du système de la communication, c’est-à-dire, qu’ils le veuillent ou non dans ce monde où nous sommes, des “résistants” contre le Système, et qu’ils doivent acquérir le comportement qui sied à cette position. Pendant ce temps, l’affaire Cablegate, elle, a définitivement prouvé qu’Internet a aujourd’hui complètement remplacé le système d’information du passé (presse-Pravda, grands groupes officiels) dans la qualité de l’information et du commentaire, à l’heure où la communication et l’information sont devenues les armes principales de l’insurrection nécessaire.
Pour terminer, un tout autre sujet dans la forme, qui est bien entendu intimement lié au reste dans l’esprit…
Il y a quelques temps, un lecteur nous reprochait d’employer ce “nous” au lieu du “je”, supposant assez justement que la plupart des textes étaient de Philippe Grasset. Sans doute pensait-il, ce brave homme, à un “nous” majestatif, sorte de “nous, Philippe Grasset Ier, décrétons…” Quelle bien curieuse pensée ce serait là, ai-je pensé à la première personne du singulier…
Eh bien, expliquons-nous, pour clore ce petit dossier, parce que cette explication rendra compte d’une façon vivante de l’“esprit de la chose” (je parle de dedefensa.org, mais aussi d’autres occurrences)… Ce “nous”, je le conçois par rapport à dedefensa.org, comme moi-même faisant partie de dedefensa.org, et comme “nos” lecteurs devraient faire ou font également partie de dedefensa.org – et de certains d’entre eux, les plus fidèles, j’en réponds comme de moi-même. Ainsi, ce “nous” est un choix de communauté, de solidarité, et aussi un choix de politesse vis-à-vis de “nos” lecteurs, et nullement “mes” lecteurs, – expression possessive qui me paraîtrait horriblement déplacée. Je n’existe que parce qu’existent les lecteurs de dedefensa.org et parce que dedefensa.org existe. Je ne suis pas loin de penser que dedefensa.org pourrait devenir, pourrait être défini comme un de ces “systèmes anti-systèmes” qui se créent spontanément en tant que tels, où les sapiens acceptent d’être des participants, des acteurs, et nullement le démiurge de la chose. Croyez-le ou non, mais c’est bien ma pensée, et chaque abonnement est, pour moi comme pour “nous”, d’abord un signe de communauté et de solidarité d’un lecteur (comme l’est le message d’un lecteur m’avisant qu’il est en grandes difficultés économiques et qu’il voudrait avoir des conditions particulières pour avoir l’accès aux textes, – demande à laquelle “nous” avons toujours répondu positivement). Croyez-le ou non, lecteur, mais si vous ne me croyez pas je serais incliné à plus vous regretter qu’à vous maudire.
Un de ces lecteurs qui est sans le moindre doute dans le “nous” que j’emploie m’a adressé très récemment une très longue lettre, extrêmement émouvante, extrêmement haute, dont j’aimerais beaucoup qu’il en fît un texte pour nous tous. Sur la fin, il écrit ceci : «J’espère alors que vous trouverez dans cette lettre un peu de soutien, et un témoignage qui peut être vous permettra de vous reposer (je ne peux pas dire : penser à autre chose !) après avoir mis en ligne, comme je viens de l’apercevoir, la partie suivante de votre ouvrage, “La grâce de l’Histoire”.» J’ai pris ce verbe, “reposer”, comme cette aide qu’un ami vous apporte, qui vous permet de vous reposer un instant sur lui avant de poursuivre, et vous donne ainsi une aide inestimable, notamment dans la solidarité fraternelle que vous ressentez. Voilà ce que signifie le “nous” dont je parle et que j’emploie. Voilà l’“esprit de la chose”.
L’esprit, c’est ce qui nous manque dans leur monde, et c’est ce qu’il nous faut pour attaquer le Système qui nous tient tous prisonniers (eux y compris). Puisque nous sommes “at war”, qu’on sache bien que, jamais, jamais guerre dans l’Histoire ne fut d’un enjeu aussi immense, aussi formidable, aussi décisif.
Philippe Grasset, p.o. dedefensa.org