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1230Plusieurs chroniqueurs s'interrogent aujourd'hui sur les raisons du manque de réaction manifesté par l'administration américaine, par Barack Obama et plus généralement par le milieu politique américain tout entier, démocrates et républicains confondus, face à la déliquescence progressive de l'Etat mexicain sous les coups des narco-trafiquants. La société du crime et de la terreur qui s'est instaurée dans les villes mexicaines jouxtant la frontière américano-mexicaine, dont Ciudad Juares est la plus souvent citée, menace dorénavant de plus en plus les Etats américains voisins, Texas, Nouveau Mexique et Arizona notamment. Mais à partir de là les barons de la drogue étendent leur influence souterraine dans la plupart des banlieues des grandes villes, notamment évidemment parmi les populations déshéritées latino-américaines.
Pour ce qui concerne le Mexique, l'écrivain Leonidas Alfaro Bedolla, auteur de narconovelas et historien natif de Culiacan, dans l'Etat de Sinaloa, le berceau du narcotrafic, estime dans l'Express du 23 juillet que la situation est, non seulement très grave, mais apparemment sans issue, car la violence augmente de jour en jour, face à un gouvernement Calderon de plus en plus impuissant (lien). Le 22 juillet, la police mexicaine a exhumé au moins 51 corps d'une fosse commune découverte près de Monterrey, capitale économique du nord du pays. Il s'agirait d'assassinats en série remontant à deux semaines, victimes d'une guerre entre cartels.
Les services de renseignements américains avaient il y a deux ans indiqué dans un rapport sur l'évaluation des risques que le danger majeur menaçant le pays venait de la culture de la violence et de la drogue s'étant emparé du Mexique et des Etats d'Amérique centrale. La menace était pour eux bien pire que celle d'Al Quaida. De grandes décisions avaient alors été prises, visant notamment à sécuriser la frontière avec des barrières de haute technologie et une mobilisation exceptionnelle de la garde nationale et de volontaires civils. Mais depuis, il semble que l'alerte soit retombée. La frontière est toujours aussi poreuse et personne, sauf les populations pauvres en contact direct avec les hommes de main des trafiquants infiltrés, ne s'en inquiète.
On sait que l'Arizona a proposé récemment une loi destinée à contrôler l'immigration clandestine à ses propres frontières, que Washington dans son ensemble a déclaré “raciste”, sans prendre la peine de répondre concrètement aux menaces qu'une immigration sauvage prise en mains par des gangs et cartels de la drogue font peser sur la sécurité de l'état. Que se passerait-il pourtant si l'Arizona levait ses propres milices et qu'un certain nombre d'autres Etats suivaient son exemple, s'estimant trahis par l'administration fédérale.
Paradoxalement, dans le même temps, alors que Barack Obama et les démocrates semblent abandonner le sud du pays aux retombées de la guerre de 4e génération qui semble en train de s'installer au Mexique, comme le confirme la voiture piégée sur le mode irakien ou afghan qui vient d'exploser à Ciudad Juares (voir à cet égard un article de Reuters), l'Administration et l'ensemble des parlementaires, démocrates et républicains unis, soutiennent non seulement les campagnes militaires lointaines et sans issues au Moyen Orient, mais n'hésitent pas à en envisager d'autres, dans des zones dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles devraient laisser les citoyens américains indifférents. C'est ainsi que des forces navales considérables, incluant un PA nucléaire, sont en cours de manœuvre conjointement avec la marine sud-coréenne en mer du Japon, prétendument pour décourager une agression nord coréenne à l'égard de sa voisine du sud – le tout d'ailleurs au grand mécontentement de la Chine dont personne à Washington ne semble s'inquiéter. Il est vrai que les dépenses militaires rapportent des centaines de milliards de dollars aux lobbies militaro-industriels, ce qui ne serait pas le cas d'un contrôle de l'immigration clandestine, contrôle dont les employeurs américains du secteur agricole et fruitier seraient les premiers à se plaindre.
Notre confrère et ami Philippe Grasset s'interroge sur cet apparent non-sens de la politique américaine. Il y voit une nouvelle preuve de la désorganisation de l'Etat fédéral et de l'incapacité de l'Administration à impulser des mesures claires de redressement. Ainsi, selon son expression, se révèlerait une nouvelle fois le « ventre mou d'un colosse en décomposition » (http://www.dedefensa.org/article-_toc_toc_la_crise_frappe_a_la_porte_24_07_2010.html). C'est sans doute le cas, mais ne faudrait-il pas ajouter une autre hypothèse. Même si les dirigeants de la corporatocratie américaine font parfois montre d'aveuglement, l'expérience montre cependant qu'en général ils ont toujours su ce qu'ils faisaient. Tous les moyens leur ont toujours été bons pour conforter leur pouvoir, y compris la mort d'innocents américains, militaires ou civils (nous pensons évidemment ici au 11 septembre). Dans le cas de l'insécurité qui monte sous l'influence des narco-trafiquants dans les Etats du Sud, et de l'indifférence apparente avec laquelle celle-ci est accueillie à Washington, ne s'agit-il pas plutôt d'une volonté délibérée de “montée aux extrêmes” encouragée par des décideurs cyniques représentant le “sommet de la classe dirigeante bourgeoise américaine”, pour reprendre le vocabulaire trotskyste attardé toujours en usage chez le World Socialiste Web Site. Le terme de montée aux extrêmes a été souvent utilisé par Philippe Grasset. Il mérite d'être un peu approfondi.
Le concept de montée aux extrêmes, qui dans une certaine mesure correspond à celui de politique du pire, désigne, appliquée à la vie politique, le phénomène faisant que des forces en conflits, au plan national ou international, poussent à la radicalisation de ces conflits plutôt qu'à leur apaisement. Elles y voient la façon de mieux faire prévaloir leurs objectifs. Le jeu est dangereux. Il l'est d'abord pour la paix qui s'en trouve menacée. Mais il l'est aussi pour l'un des deux partenaires tout au moins, car le succès de l'un entraîne nécessairement la disparition de l'autre. C'est ce qui s'était passé sous la République de Weimar en Allemagne. Les révolutionnaires de l'époque avaient poussé à la radicalisation des affrontements avec l'extrême droite militaire et impériale. Ce fut le triomphe du nazisme qui en résulta, avec la déportation des premiers.
On peut penser, sans preuves évidemment, qu'une droite musclée américaine verrait très bien aujourd'hui se développer l'insécurité dans les villes et les Etats du Sud pauvres. Si ces derniers tombaient aux mains de gangs ou, tout au moins, faisaient sécession, les Etats riches du nord, disposant en fait de l'essentiel des ressources, pourraient s'ériger progressivement en bunkers militarisés attirant à eux toutes les forces économiques et les sources de richesse mondialisées. Les Latinos et les Afro-américains dont les classes dirigeants, dite WASP, de ces Etats riches continuent à se méfier, pourraient ainsi être contenus off limits, sans que les défenseurs des droits de l'homme puissent y trouver à redire. Les pauvres se seraient mis dans leur tort en tombant dans la criminalité.
La montée aux extrêmes n'est certainement pas une tentation limitée aux seules classes dirigeantes américaines. Elle semble déjà à l'oeuvre en Europe et plus particulièrement en France. Quand l'on voit avec quelle persévérance la majorité de droite démantèle les services publics industriels et sociaux, afin de les privatiser, on peut supposer que l'objectif non avoué est de priver les classes sociales moyennes et pauvres des ressources de l'ancien système français de l'Etat régulateur et Providence. Cela ne peut que les pousser dans la misère et, plus particulièrement au sein des banlieues en difficulté, dans la drogue et bientôt peut-être la guerre civile larvée. Les privilégiés, retranchés dans leurs bunkers “favorisés” seront alors près à les recevoir dignement. L'appel aux militaires ne tardera pas. Un général Videla se prépare peut-être quelque part sans que nous le sachions.
Il en est sans doute de même en Allemagne. Selon le Spiegel, la réforme du haut commandement militaire mise en place en avril 2010 par le ministre de la défense Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU) est destinée à renforcer et unifier les forces armées et leur commandement. Dans quel objectif? Certainement pas pour faire face à des menaces extérieures. Pour l'ancien secrétaire à la défense Willy Wimmer (CDU) , s'exprimant dans Freitag, il s'agit d'un “cold military putsch”. Le terme n'a pas besoin de traduction. Contre qui se défendre? Nul ne le dit mais beaucoup y pensent, Contre les menaces de l'intérieur. Un jour, il apparaîtra peut-être utile aux forces conservatrices d'attiser un peu ces menaces, sur le modèle de l'incendie du Reichstag.
On peut à cet égard s' étonner de la courte vue des classes moyennes supérieures françaises, qui continuent à applaudir les prétendues réformes de la majorité UMP alors que celles-ci sont en train de supprimer toutes les structures qui permettaient à ces classes moyennes supérieures de conserver un certain niveau de vie et de se distinguer des classes pauvres: les administrations qui les protégeaient, les services sociaux qui leur permettaient de ne pas se retrouver au niveau des populations assistées, les médias qui les informaient de façon (à peu près) indépendante. On leur promet que les entreprises commerciales (sociétés de sécurité, cliniques, assurances privées) qui prendront le relais leur assureront des prestations bien meilleures. C'est évidemment faux. Seuls les plus riches pourront y accéder. La bourgeoisie moyenne encore favorisée, dont la plupart des fonctionnaires et professions libérales, se retrouvera au niveau des plus démunis. Dans le cadre de la politique de montée aux extrêmes, les dominants s'en réjouiront. Ce seront autant d'intellectuels râleurs qui seront marginalisés et perdront leur pouvoir de contestation.
Ne mériteront-ils pas ce sort, puisqu'ils se montrent sans cervelle, continuant à soutenir sans failles les “réformes” qui les perdront.
Jean-Paul Baquiast
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