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1191La semaine fut rude pour le JSF, ou F-35. Les spécialistes ont une expression pour désigner le processus dans lequel pourrait bien être engagé le plus grand programme du Pentagone : la “death spiral” (la “spirale de la mort”, traduction aisée).
• Le 9 décembre, le Lettre d’Information Inside the Pentagon, spécialisée dans les révélations sur le programme JSF, annonçait une restructuration du programme décidée par le Pentagone. Aviation Week & Space Technology confirmait la chose le 14 décembre 2009. «Officials at the Pentagon appear poised to take a more conservative approach to the $300-billion Joint Strike Fighter program after design changes, parts shortages and out-of-sequence work severely delayed completion of development aircraft. […] Pentagon leaders project this could slide six months more, while up to 30 extra months could be needed to complete development, now planned for October 2014. In this, they appear to be siding with the independent Joint Estimate Team’s (JET) “worst-case” projections.»
• Le 15 décembre 2009, Stephen Trimble, sur son blog de Flight International, fêtait ironiquement le premier mois de l’arrivée à Patuxent River, pour essais en vol, du premier exemplaire de la version F-35B à décollage vertical… L’avion étant toujours à sa place sur la parking ou dans le hangar, et certes pas dans les airs. «F135 engine maker Pratt & Whitney yesterday released video of the first short takeoff and vertical landing test aircraft arriving at Patuxent River naval air base on November 15. […] One month later, BF-1 remains parked on the ground. Meanwhile, a Lockheed spokesman says, the vertical landing event has slipped from December to January. It was previously scheduled for last August, which itself was delayed from the original schedule. Lockheed says the delay is due to a series of repairs. A fuel valve broke during the ferry flight. Replacing the part required removing the engine. Lockheed is using the opportunity to fix two other broken components – an inlet rake to measure airspeed and an engine instrumentation module…»
• Dans l’article cité plus haut, AW&ST donne quelques détails rapides sur l’état des essais en vol, tous marqués par une suite ininterrompue de délais, de réparations, de remises, etc. «BF-1’s long-anticipated first vertical landing will likely slip into January. Meanwhile, the first flight of BF-4, the first mission-system test aircraft, is expected to slip into early 2010 and the initial flight of CF-1, the first F-35C carrier variant, has already been pushed back to the second quarter of next year.»
• Le 16 décembre, des officiels du Pentagone étaient entendus par la commission des forces armées du Sénat à propos du programme JSF. L’audition prévue normalement pour être publique, avait été brusquement transformée en huis-clos, ce qui impliquait des échanges délicats. Après cette audition, les présidents de la majorité (le démocrate Carl Levin) et de la minorité (le républicain John McCain) de la commission publiaient un communiqué qui marquent leur “profonde préoccupation”: «We, along with other members of the Senate Armed Services Committee, are deeply concerned about the growing costs and apparent delays in the F-35 program…»
• Le 17 décembre 2009, Inside the Pentagone publiait un article où il annonçait que Lockheed Martin est menacé de perdre sa certification officielle pour la gestion du programme JSF. («Lockheed Martin is in jeopardy of losing its management certification for the Joint Strike Fighter program, the Pentagon's largest acquisition effort, for not heeding rules on controlling the cost and schedule of major weapons, a defense official tells Inside the Pentagon.») La perte de la certification implique que des fonds publics déjà versés ou devant être versés à Lockheed Martin pour le développement du programme vont être réclamés en retour ou bloqués jusqu'à ce que la gestion de Lockheed Martin soit considérée à nouveau comme convenable.
• …Enfin, nous le jurons, au moment où nous rédigions cette nouvelle nous est venue la confirmation de cette atmosphère générale, par l’emploi justement de l’expression “death spiral”, dans un article d’un journal toujours au fait des nouvelles du JSF, et en général favorable au programme et à Lockheed Martin. Il s’agit du quotidien Star Telegram (de Fort-Worth, au Texas, où se trouve la grande usine qui produit le JSF), du 19 décembre 2009 («Some experts warn of “death spiral” for F-35 joint strike fighter»).
«To some longtime Pentagon insiders and observers, the F-35 joint strike fighter program is on the verge of slipping into an old familiar pattern. First, unrealistic technical requirements, cost estimates and schedules lead to delays and rising costs. Then, far fewer planes are bought than originally planned. That means the cost of each one rises, resulting in even fewer planes being bought, which produces even higher costs per copy, etc.
»The history of weapons programs over the last 50-plus years is replete with examples of what former Air Force officer and civilian Pentagon analyst Chuck Spinney famously dubbed the “death spiral.”»
@PAYANT C’est une étape importante dans un processus de dégradation structurelle du programme, cette mesure prise contre Lockheed Marin (la dé-certification), qui mesure de façon concrète ce que nous envisagions déjà le 5 décembre 2009 en notant une déclaration du n°2 du Pentagone, William Lynn. Depuis le week-end du 22 novembre et la réunion d’Ashton Carter avec Lockheed Martin, le Pentagone ne cesse de durcir sa position vis-à-vis du constructeur, tandis que le Congrès commence à suivre la même voie.
La “death spiral” est effectivement un enchaînement de faits techniques qui orientent un programme vers une situation bientôt intenable en termes de coûts. (Une autre victime de la “death spiral” que celles mentionnées plus haut est le bombardier B-2, passé de 132 exemplaires à $280 millions l'exemplaire en 1985 à 21 exemplaires à $2,2-$4 milliards l’exemplaire selon l’évaluation, finalement payés.) Mais la “death spiral” est aussi une évolution psychologique. A partir d’un certain moment, pour des raisons diverses – dans le cas du JSF, nous avons souvent exploré ces raisons –, tout ce qui se passe dans le programme est considéré d’une façon absolument et résolument négative et pessimiste, alors que tout jusqu’alors l’était d’une façon positive et optimiste. Il y a sans nul doute un effet d’entraînement entre les deux processus, l’un alimentant et justifiant l’autre et vice-versa. Il ne s’agit nullement d’intoxication ou de désinformation, mais de la complexité de la transformation d’une perception générale d’une réalité à une autre. Il y a à peine un an, il était tout simplement impensable de seulement penser qu’on pourrait, par exemple, abandonner le programme JSF (ou, pour sauver la face, l’enterrer dans une “death spiral” qui en sauvegarde quelques exemplaires). Aujourd’hui, cette pensée est dans tous les esprits comme une obsession, comme une épée de Damoclès.
Seulement, la pièce est sans précédent. Dans les précédents cités (F-111, F-22, B-2), on ne se trouvait pas dans une situation exclusive. Aucun de ces programmes, lorsqu’ils atteignirent le stade de la “death spiral”, ne constituait un quasi-monopole de la puissance aérienne US dans le demi-siècle à venir, ni même dans la situation immédiate. Cette situation-là de monopole est celle du JSF, dans tous les cas pour l’USAF. Au contraire de l’U.S. Navy, qui affiche clairement son inquiétude et ne se cache pas de préparer une éventuelle alternative – plus de F/A-18E/F Super Hornet – l’USAF, qui semble aux dernières nouvelles ne pas trop se soucier des dernières nouvelles du JSF, suit une politique complètement insensée du point de vue des assurances à prendre pour le maintien en l’état de sa puissance. Sans doute sa direction, qui Gates a placée pour remplacer en juin 2008 l’équipe Wynne (ministre)-Moseley (chef d’état-major) jugée trop indépendante, est-elle totalement paralysée par l’absence de jugement qu’implique sa complète allégeance au secrétaire à la défense. Elle n’a pas encore compris que même Gates est en train de changer d’avis à propos du JSF.
“Death spiral” peut-être – on verra; mais, dans ce cas, un événement qui dépassera largement le programme, l’aéronautique, voire le Pentagone. Il s’agirait alors d’une crise nationale et d’une crise de la puissance US.
Mis en ligne le 19 décembre 2009 à 14H13