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2287Le 20 avril 2014, le New York Times publiait des photos, avec la bénédiction papale du département d’Etat, montrant des espèces de mi-soldats mi-miliciens, dont l’un ou l’autre portant une barbe révélatrice (type-Soljenitsyne, c’est dire). La méthode d’une rigueur scientifique, était du type comparatif ; si vous voulez, du type : “ici ce sont des soldats russes, et vous voyez celui-ci, le barbu, et ici ce sont des miliciens ukrainiens pro-russes, et vous voyez celui-ci, le barbu eh bien c’est le même, qu’est-ce-ce que vous en dites hein ? Et ainsi soit-il, c’est-à-dire CQFD”. Ces photos n’étaient pas censées montrer des soldats russes infiltrés en Ukraine pour manipuler la révolte des russophones d’Ukraine (Est et Sud du pays), – elles montraient cela positivement, sans aucun doute ni discussion, bien que la reconnaissance visuelle qu’on vous recommandait de faire dépendait plus de la conviction qu’on en avait avant d’avoir vu les photos que l’expérience sensorielle de considérer les photos. Il y eut quelques remous assez rares sur la véracité des documents et sur ce qu’ils étaient censés prouver, mais rien de bien méchant. Puis il y eut quelque chose de plus ennuyeux qui se pointa à l’horizon, et il semble que ce soit la réclamation du journaliste indépendant qui avait pris les photos ; la photo centrale et vitale du montage était celle qui représentait un groupe d’hommes en treillis, Kalachnikov, barbe pour certains, etc., avec la légende “photographie de groupe prise en Russie” montrant manifestement comme on voulait le faire croire, des agents du GRU et des forces spéciales russes, avec les autres photos où l’on retrouvait les mêmes personnages selon l’œil de faucon du département d’État, cette fois en Ukraine, jouant aux protestataires locaux. Le photographe Maxim Dondyouk, l’auteur des photos, téléphona alors au New York Times pour l’aviser que ces photos étaient de lui, et que la photo présentée comme prise en Russie l’avait été Slaviansk, en Ukraine, et par ailleurs publiée sans sa permission.
Début de l’article du NT du 21 avril 2014, signé Michael R. Gordon, incontestable spécialiste des questions de défense et grand professionnel type-journaliste américain, du genre qu’on révère comme la crème de la profession ... «For two weeks, the mysteriously well-armed, professional gunmen known as “green men” have seized Ukrainian government sites in town after town, igniting a brush fire of separatist unrest across eastern Ukraine. Strenuous denials from the Kremlin have closely followed each accusation by Ukrainian officials that the world was witnessing a stealthy invasion by Russian forces.
»Now, photographs and descriptions from eastern Ukraine endorsed by the Obama administration on Sunday suggest that many of the green men are indeed Russian military and intelligence forces — equipped in the same fashion as Russian special operations troops involved in annexing the Crimea region in February. Some of the men photographed in Ukraine have been identified in other photos clearly taken among Russian troops in other settings.
»And Ukraine’s state security service has identified one Russian reported to be active among the green men as Igor Ivanovich Strelkov, a Russian military intelligence operative in his mid- to late 50s. He is said to have a long résumé of undercover service with the Main Intelligence Directorate of the Russian general staff, most recently in Crimea in February and March and now in and around the eastern Ukrainian city of Slovyansk.»
• Deux jours plus tard, le 23 avril 2014, un autre article du New York Times, des mêmes auteurs dont le toujours-prestigieux Gordon, rétropédalait avec élégance. On observait avec une assez grande confusion dans le texte, des rappels divers tendant à tenter de “couvrir“ le NYT par rapport au premier article, la remarque que la photo venait des Ukrainiens de la clique de Kiev qui les avaient présentées de sorte, pour conclure dans un style ampoulé et foisonnant que, tout simplement, rien, absolument rien ne montrait que ces photos représentassent ce qu’on prétendait qu’elles représentaient. Puisqu’il fallait bien y passer, on citait la source directe et catégorique... «Maxim Dondyuk, a freelance photographer who was working in Slovyansk principally for the Russian newsmagazine Russian Reporter, said that he had taken the group photograph there and posted it on his Instagram account. “It was taken in Slovyansk,” he said in a telephone interview. “Nobody asked my permission to use this photograph.”»
• C’est Robert Parry qui, le premier, mit en évidence le pot-aux-roses. C’est-à-dire qu’il ne fit rien de sensationnel, il alla simplement au second article, dont il précise qu’il était “enterré” dans la page 9 du NYT alors que le premier article du montage avait fait une flamboyante incursion dans la une du grand journal de référence mondiale. Parry publiait son texte le 23 avril 2014. Bon prince, il se plaçait du point de vue du journalisme et de ses règles déontologiques (Parry a notamment été pensant plusieurs années un journaliste d’AP).
«Two days after the New York Times led its editions with a one-sided article about photos supposedly proving that Russian special forces were behind the popular uprisings in eastern Ukraine, the Times published what you might call a modified, limited retraction. Buried deep inside the Wednesday editions (page 9 in my paper), the article by Michael R. Gordon and Andrew E. Kramer – two of the three authors from the earlier story – has this curious beginning: “A collection of photographs that Ukraine says shows the presence of Russian forces in the eastern part of the country, and which the United States cited as evidence of Russian involvement, has come under scrutiny.”
»In the old days of journalism, we used to apply the scrutiny before we published a story on the front page or on any other page, especially if it had implications toward war or peace, whether people would live or die. However, in this case – fitting with the anti-Russian bias that has pervaded the mainstream U.S. press corps – the scrutiny was set aside long enough for this powerful propaganda theme to be put in play and to sweep across the media landscape. Only now do we belatedly learn what should have been obvious: the blurry photographs provided by the coup regime in Kiev and endorsed by the Obama administration don’t really prove anything. There were obvious alternative explanations to the photos that were ignored by the Times, such as the possibility that these were military veterans who are no longer associated with the Russian military. Or that some photos are not of the same person.»
• Enfin, la démarche générale telle que décrite par ces divers articles et extraits d’article était confirmée par le département d’État, qui n’en précisait pas moins aussitôt qu’il avait sans aucun doute des documents, certainement irréfutables, qui confirmaient la présence de Russes dans les rangs des révoltés de la partie Est et Sud de l’Ukraine. Voici les déclarations officielles sur ce sujet, extraites cette fois d’un article de Russia Today du 24 avril 2014, – à la fois l’affirmation que les photos sont une preuve irréfutable de la présence des Russes (dite le 21 avril) et le démenti d’elle-même de la porte-parole, deux jours plus tard...
«The State Department repeated the claims, citing ‘confirmation’ of Moscow involvement. “We see in the photos that have been again in international media, on Twitter, publicly available is that there are individuals who visibly appear to be tied to Russia. We’ve said that publicly a countless number of times,” Jen Psaki, State Dept spokeswoman said. [...]
»[T]he State Dept’s Psaki admitting “the assertion that the photograph in the American briefing materials had been taken in Russia was incorrect”. She explained the picture was only part of a draft packet that wasn’t used by Kerry at the talks. Psaki then claimed to have other evidence connecting “the Russians and the armed militants” in eastern Ukraine but would not provide details.»
• Le
«They don’t make war propaganda like they used to – or maybe it has something to do with this newfangled thing they call the Internet – but the latest “evidence” of Russian troops supposedly directly involved in east Ukraine turmoil was debunked almost as soon as it was made public. It turns out that a key photo touted by the US State Department and the New York Times as proof positive of Russian special forces in Ukraine was lifted off the photographer’s Instagram page. Yes, folks, it’s strictly amateur hour at the CIA, or whichever agency cooked up this “intelligence.” The photo wasn’t taken in Russia, as the Times and US officials claimed, but in Sloviansk, which fatally undermines their case that these are Russian special services.
»We can chalk this one up to desperation. They had to do something to salvage their fading credibility as the Ukrainian government’s “anti-terrorist” operation sputtered out as soon as it began. In a truly pathetic scene, a phalanx of crack Ukrainian “special forces” in armored personnel carriers advanced on Sloviansk and Kramatorsk, where they were surrounded by unarmed civilians – and promptly defected en masse. It was a humiliating comedown for the Kiev regime: Ukrainian officials had been boasting to the international media that their mighty army would subdue the “terrorists” in short order...»
Pourtant, ils sont imperturbables, c’est-à-dire qu’ils ont imperturbablement raison. Quoi qu’il se passe, quelles que soient les vilenies exposées au grand jour, rien ne change dans cette certitude qui a la puissance d’une machine gigantesque marchant en mode de surpuissance, qui a la solidité de la Matière la plus concentrée, la plus inexpugnable, mais aussi la plus déchaînée. Ainsi en est-il de l’“appareil” du bloc BAO animant l’avance aveugle et sans le moindre raté vers une issue dramatique, voire catastrophique de la crise ukrainienne.
Ce qui caractérise la “propagande” du bloc BAO dans les circonstances de la crise ukrainienne, c’est l’aspect bricoleur, primaire, se suffisant d’une simple affirmation sur un montage enfantin contre toute évidence. (Justement, si l’on met des guillemets à “propagande”, c’est parce que la chose n’a aucun des caractères d’élaboration, de sérieux professionnel qui caractérise le domaine.) Ce qui caractérise les relais de cette “propagande”, c’est l’acceptation aveugle, primaire, “se suffisant d’une simple affirmation” officielle ou de n’importe qui pour enclencher aussitôt sur un article impératif avec tous les aspects formels du journalisme à forte prétention professionnelle. Que la chose soit échue, dans ce cas, au New York Times situe la bassesse et la crudité extraordinaires de la démarche, puisque le “quotidien de référence” du monde civilisé, pas moins, se prête sans la moindre hésitation à ces manœuvres d’une telle grossièreté, sans l’ombre d’une hésitation et sans la moindre amorce d’une observation critique, sans la moindre démarche de vérification des sources, de ce qu’il publie littéralement comme un automate. L’affaire des “photos”, comme d’autres dans la crise ukrainienne, a été comparée à des actions similaires de propagande (cette fois sans guillemets) pour lancer la communication en faveur de l’attaque de l’Irak de 2003. Notre appréciation est que cette propagande de fin 2001-début 2003, aussi grossière qu’elle ait été, était certainement plus élaborée et plus travaillée que celle qui se déploie actuellement pour l’Ukraine. Même la communication du bloc BAO dans la crise syrienne, dans ses entreprises de montage divers, étaient tout de même plus élaborée.
Cette crudité absolue, cette grossièreté d’un niveau zéro marque sans aucun doute l’évolution de la machinerie en action de la politique-Système. Plus rien ne peut l’arrêter et l’on ne s’embarrasse pas de finesses ni d’habiletés diverses, – on fonce, et tout est bon. Tout ce qui est avancé comme “preuves” est bon, même lorsque la supercherie est dévoilée, pour non pas justifier mais simplement accompagner ce qui est évident et irréfutable. Le département d’État se dément lui-même à deux jours d’intervalle, mais d’une façon, si impudente qu’il en fait presque un argument pour sa cause : certes, les photos ne sont pas ce que nous en disions, mais nous avons des preuves de l’implication russe, que nous gardons pour nous, qui sont d’autant plus convaincantes que les photos ne le sont pas du tout puisqu’il s’agit de faux et usage de faux ; au plus les fausses preuves qu’on vous montre sont fausses , au plus les vraies preuves qu’on ne vous montre pas sont vraies et justifient encore plus notre politique ; puisque le faux démontré comme faux n'arrête rien de notre chevauchée et ne montre en rien que nous ayons tort, bien au contraire, alors le vrai que vous ne verrez pas justifie d'aller encore plus vite, encore plus loin, etc.. Le discours est orwellien au deuxième, au troisième degré, bien au-delà de ce que Orwell avait imaginé. De ce point de vue, on conclura que les employés-Système qui agissent, – comparses de Kiev, journalistes du NYT, fonctionnaires du département d’État, – ne s’intéressent strictement pas à la validité de leurs actes, ils s’exécutent aveuglément, sans aucun souci de discernement. La machine est en route, la politique-Système emporte tout, et toute nuance de pensée, toute investigation de jugement sont hors de propos.
Mis en ligne le 25 avril 2014 à 9H26
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