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6727• Encore un arrêt-buffet pour le F-35, alias ex-JSF : la consigne est globale et concerne tous les F-35 à divers degrés. • Bah, une étape de plus pour le F-35, qui trace un destin semblable à celui du grand Empire qui l’a enfanté. • Cette fois, les circonstances sont décrites avec un art consommé de l’esthétique technologique : le problème est du type “harmonique” (“résonnance harmonique” du moteur) et la solution (temporaire ?) trouvée est qualifiée d’“élégante”. • L’aventure du F-35, depuis sa conception de 1993, est une allégorie de l’aventure américaniste et moderniste.
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Pour entamer ce propos, nous avons le choix entre la consultation de RT.com et celle de ‘Breaking Defense’. Pour ne compromettre aucune des parties, nous prenons un peu des deux, d’autant plus aisément que RT.com a largement pompé ‘Breaking Defense’.
Pour notre cas, nous qui avons raté plusieurs avatars du programme F-35. Ce programme vit au rythme de ces incidents, qui sont comme une batterie imposant son propre rythme à l’orchestre que serait le programme. Si nous nous arrêtons à celui-ci, c’est parce qu’il a la vertu d’être présenté comme “global”, – c’est-à-dire d’affecter tous les F-35, d’une façon qui rappelle irrésistiblement les concepts de “globalisation” dont le JSF/F-35 fut incontestablement un exemple exceptionnel dès les débuts de sa conception, en 1993.
Ainsi, RT.com titre-t-il dans son article du jour : « Pentagon orders fix for all F-35s globally ». Et il poursuit dans le même environnement à la fois totalitaire et globalisé :
« Le F-35, l'avion présenté comme le dernier et le meilleur des avions de combat américains, a été l’objet d’une mise sous contrôle technique dans le monde entier [“globally”] pour résoudre un problème de moteur, cela entraînant l’immobilisation au sol de certains appareils et l'arrêt de nouvelles livraisons.
» Le bureau de programme conjoint (JPO) du Pentagone a ordonné la réparation en début de semaine, demandant que tous les avions soient mis à niveau dans les 90 jours. L'ordre s'applique à l'ensemble des quelque 900 F-35 que l'entreprise de défense Lockheed Martin a livrés dans le monde entier, y compris ceux qui sont cloués au sol depuis un accident survenu le 15 décembre à la Joint Reserve Base Fort Worth, au Texas. »
L’accident a eu lieu alors qu’un F-35B à décollage/atterrissage vertical effectuait une descente dans cette configuration. L’avion a brusquement effectué des embardés qui lui ont fait perdre son assiette de vol, ôtant toue possibilité de contrôle, et conduisant à son écrasement dans un bruit désagréable.
« D’après les enquêteurs, le problème serait dû à des vibrations du moteur, qui, selon le JPO, se produisaient rarement et que l'on pensait être un problème sur les F-35 de construction récente. Un dirigeant de Pratt & Whitney a déclaré aux journalistes, en début de semaine, que les ingénieurs avaient mis au point une “résolution immédiate” du problème et que “certains avions” devraient recevoir un nouveau moteur”. »
La “panne” (quel vilain mot !) du F-35 est décrite dans l’article de ‘Breaking Defense’ et dans les mots de la vice-présidente de Lockheed Martin chargée du programme, madame Jen Latka, dans des termes à la fois harmoniques et élégants. Le F-35 devient ainsi un compositeur et la “panne” (quel vilain mot !) se révèle être, par le biais de sa réparation globale, une symphonie à la fois harmonique et élégante, – comme si cette réparation dans le chef du moteur Pratt & Whitney F-135, avait été dessinée par Chanel ou par Dior (du beau temps de la haute couture).
« Également connu sous le nom de "résonance harmonique", le problème de vibration a incité le Joint Program Office (JPO) gérant le programme pour le Pentagone à interrompre les livraisons des nouveaux moteurs F135 et à immobiliser au sol un nombre indéterminé de chasseurs. Le JPO a autorisé la reprise des livraisons de moteurs le 24 février après que les responsables aient trouvé une solution au problème de vibration, bien que la cause profonde de l'accident de décembre fasse toujours l'objet d’une enquête. L'enquête sur le crash est menée par le Naval Air Systems Command.
» Selon Mme Latka, la solution nécessite du matériel qui a été introduit dans la production et qui est en train d'être distribué aux avions en service. Elle l'a décrit comme “une solution très élégante” qui ne nécessite pas de “pénétrer profondément dans le cœur du moteur”, mais elle a renvoyé les questions sur les détails au JPO. »
Comme on le voit, le problème du F-35, – le nième problème, – a aussitôt été mis sous un grand manteau d’affirmations rassurantes, – “harmonieuses et élégantes”, – sans que personne n’ait d’explications précises sur une caractéristique de fonctionnement qui semble ne pas dater d’hier, ni de présentation détaillée des solutions trouvées, une à court terme semble-t-il, ce qui semble suggérer qu’il en faudrait/faudra une à long terme, etc... Comme toujours avec ce programme extraordinaire, on navigue entre une incertitude presque poétique du présent et une promesse éclatante pour le futur, – cela, depuis trente ans de développement, de production et d’exclamations enthousiastes, et 900 exemplaires produits dans le brouillard d’une communication exaltée et cexceptionnaliste.
Nous aurions pu proposer pour le titre et selon nos habitudes, l’expression de “la déconstructuration du F-35”, ce Frankenstein de combat né du Frankenstein-JSF de conception numérisée. C’eût été solliciter la vérité : pour déstructurer et déconstruire une chose, il faut que la chose ait été structurée et construite. Ce n’est pas le cas du F-35/JSF, qui est mieux défini par l’expression de “simulacre technologique de la communication”. Cette expression peut elle-même être appliquée à l’Empire tel qu’il est en train de se désintégrer, et aussi bien à la modernité et à la “politiqueSystème” qu’elle a enfantée, – dont l’action est faite d’une brutalité extrême et aveugle habillée d’un simulacre de vertus sans nombre.
Le JSF, futur F-35, est né dans l’ivresse d’une Amérique sortie de la Guerre Froide et s’auto-convaincant qu’elle l’avait gagnée, puis se proclamant hyperpuissance (comme l’avait nommée Védrine), convaincue d’avoir maîtrisé l’Histoire et le destin du monde. On était alors autour de1995, pas loin de l’après-9/11 lorsqu’un conseiller de GW Bush confierait à qui voudrait l’entendre :
« Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé]. »
Ce sont ces mêmes paroles qui conduisirent le destin du JSF, qui marque peut-être bien la fin de l’aviation de combat pilotée dans les domaines de pointe, et la fin du technologisme comme philosophie “technicienne” de notre destin. Mis en service “autour de 2015” (qui le dira vraiment ?) mais n’ayant jamais effectué de mission de combat, y compris dans des conditions de sécurisation maximales (y compris chez les Israéliens, qui en disposent pourtant depuis 2018 et ont l’habitude de tester immédiatement leurs nouveaux avions dans des conditions opérationnelles de combat), cet extraordinaire programme a conquis “à l’exportation” tous les alliés obéissants avec la facilité d’une entreprise de sabotage de NordStream2. Pour autant, le JSF/F-35 est un symbole stupéfiant de la totale paralysie de la puissance de l’“Ouest collectif”, et un étonnant exemple de la procrastination impuissante qui conduit nos affaires.
Il faut se rappeler que PhG nous rappelait il y a deux ans (28 février 2021) :
« Il est vrai, que nous disions ceci dans un texte du 10 juin 2000 (bien en 2 000), notamment à propos de Richard Aboulafia, du Teal Group, et essentiellement à propos de ce qui était encore le JSF en transition vers l’appellation opérationnelle F-35 :
» “L’expert américain Richard Aboulafia, consultant du Teal Group, basé en Virginie, remarque (le 17 mai 2000 dans le New York Times) que “tout le monde voudrait assister à ses funérailles [du JSF] mais personne ne veut être l’assassin.” Il y a cinq mois (dans ‘Aviation Week & Space Technology’, le 1er janvier 2000), le même Aboulafia expliquait : “Le JSF pourrait faire à l’industrie européenne ce que le F-16 a presque réussi : la détruire. [...] Le JSF est au moins autant une stratégie nationale qu’un programme d’avion de combat.” »
» Aujourd’hui, vingt-et-un an plus tard, le même Aboulafia, toujours vif, annonce :
» “Pour la première fois depuis des décennies [en fait, depuis que le programme F-35 a été lancé] des décisions difficiles [pour le F-35] se profilent à l'horizon...” »
En effet, dans ce texte on discutait de l’avenir désormais compromis du F-35, – c’était promis, juré, on allait faire quelque chose, – réduire la commande, développer une super-version du F-15 ou du F-16, peut-être même tenter l’aventure d’un chasseur de la 6ème génération, un super-JSF, – ou bien de la 7ème, un JSF sous-marin... ! Cela fait deux ans et quelques jours que l’on affirme bruyamment et pour la nième fois distinguer cet horizon enfin visible des grandes décisions et nous sommes toujours devant les grandes envolées sablonneuses du ‘Désert des Tartares’.
Rien n’a bougé, monsieur Aboulafia... Au contraire, on en est à vanter l’“harmonie” des pannes du JSF et l’“élégance” des remèdes apportés aux pannes du F-35. (“Panne”, quel vilain mot ! ) Dans une de ses grandes envolées, PhG, ce grand amoureux du JSF, clôturait son texte déjà cité de cette proclamation décisive et définitive :
« D’une façon plus générale, il s’agit d’une situation extraordinaire et de type métahistorique. Avec cette question sacrilège du sort du F-35 mis à l’encan, et pourtant trop sacrilège pour qu’on accepte un tel sort, on assiste à un naufrage du système du technologisme. La sacralité du JSF tient à ses divers caractères extraordinaires qu’on connaît, même (et surtout) dans un sens négatif, mais aussi à son extraordinaire complexité technologique, à son accumulation du système et du système de systèmes, tendant vers une perfection indémêlable de la formule, et aboutissant à un complet cul-de-sac de la formule ainsi ligotée à jamais. Plus qu’un sparadrap (celui du capitaine Haddock) dont on n’arrive pas à se débarrasser, le JSF est comme une liane proliférant, venimeuse comme un serpent fatal, qui ne cesse de s’enrouler autour de ses créateurs, pour les étouffer, pour les faire mourir de plaisir, à $100 milliards la passe qui ouvre le chemin de la modernité. Le JSF est une sorte d’entité transgenre qui, résistant jusqu’à la transmutation, cherche à assurer le transhumanisme du technologisme. »
En un sens, ne peut-on dire que l’aventure du JSF, ainsi décrite, trace comme un double troublant l’aventure de ses créateurs, les États-Unis d’Amérique, plongés dans un univers de fous, avec un fou à leur tête ? Bien sûr, on peut le dire, – et même, on doit le dire, en attendant que Joe Biden décide d’envoyer des F-35 à Zelenski.
Mis en ligne le 5 mars 2023 à 16H45