La défense dans la campagne électorale US

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La défense dans la campagne électorale US


19 janvier 2008 — Un aspect intéressant quoique peu documenté de la campagne électorale US est celui des dépenses de défense que proposent les divers candidats. Un commentateur de tendance libertarienne, Doug Bandow, s’y est intéressé d’une façon critique, notamment parce que son engagement idéologique en fait un adversaire des dépenses gouvernementales alors que le budget du Pentagone est évidemment une des principales pompes de l’argent fédéral, surtout depuis 9/11. (Voir son texte sur Antiwar.com le 18 janvier.)

Le décompte que fait Bandow des conceptions des candidats est très impressionnant. Il nous fait découvrir un aspect peu mis en évidence de cette campagne, – et cela est en soi un signe également très intéressant.

C’est essentiellement aux républicains que s’attache Doug Bandow. Les détails abondent et montrent une surenchère constante des uns et des autres. (Il faut avoir à l’esprit que les propositions faites par les candidats du volume de dépenses de défense en termes de pourcentage du PNB, – de 4% à 6% selon les candidats, – portent en général, comme l’un d’eux le précise, sur le “regular defense budget”, dont ne font pas partie les dépenses pour les diverses guerres en cours. A ces “dépenses régulières”, il faut donc ajouter une somme actuellement autour de $300 milliards. Bandow rappelle que le véritable budget de la défense pour 2008 est de $481 milliards pour les “dépenses régulières”, soit autour de 3,5% du PNB, auxquels il faut ajouter $305 milliards en diverses demandes successives pour les “diverses guerres en cours”.)

«Former Mayor Rudy Giuliani advocates adding ten combat brigades plus hardware. He puts no price on his plan. But Giuliani argues that “The idea of a post-Cold War ‘peace dividend’ was a serious mistake – the product of wishful thinking and the opposite of true realism.” Apparently the Soviet Union never was an important factor in U.S. defense planning. Thus, rebuilding the military, as Giuliani put it, would undoubtedly cost a lot.

»Former Governor Mitt Romney similarly believes that Americans have “let down our defenses.” Thus, he wrote, “We need to increase our investment in national defense.” He wants the U.S. to add at least 100,000 troops and commit to spend “a minimum of four percent of GDP on national defense.”

»Also pushing a firm floor of four percent GDP for defense is the Heritage Foundation and former Sen. Jim Talent. He and Mackenzie Eaglen cite the request by various military leaders for more money, noting that “the number, size, and duration of military deployments have increased dramatically since the end of the Cold War.” Thus, they conclude, “Policymakers who say that they support a strong military should be judged by whether or not they support spending a minimum of 4 percent of GDP on the regular defense budget over the next decade.” Heritage calls this the “4% for Freedom Solution.”

»Fred Thompson, another former Senator, and presidential candidate, would up the ante. He echoes Giuliani in complaining of “one of the largest unilateral reductions of military power in history.” So he advocates an even larger troop build-up, of nearly 300,000. And that means spending 4.5 percent of GDP on the military, not counting the tens of billions necessary for Afghanistan and Iraq. Well, at least he argued that we should spend all that money “carefully and wisely,” as the Pentagon and Uncle Sam always do, in a speech in South Carolina, the site of Saturday's primary.

»Sen. John McCain (R-Ariz.) supports the Bush administration troop build-up of nearly 100,000 and wants to raise the bet by adding another 150,000 personnel for the Army and Marine Corps. He, like Giuliani, does not estimate costs. No wonder he voted against the Bush tax cuts: who knows what other wars President “Bomb, Bomb, Bomb Iran” McCain would have to fund?

»But these candidates are pikers compared to former Governor Mike Huckabee. He advocates speeding up the administration's planned troop hike of 92,000. Even more incredibly, he wrote: “Right now, we are spending about 3.9 percent of our GDP on defense, compared with about six percent in 1986, under President Ronald Reagan. We need to return to that six percent level.” That would be $800 billion this year alone. Even if this figure included outlays for Afghanistan and Iraq, it would reflect a truly massive military build-up.»

Bandow est moins prolixe concernant les démocrates, parce que ceux-ci ont moins parlé du problème, et moins précisément. Cela tient essentiellement à l’électorat auquel ils s’adressent, manifestement moins favorable aux dépenses de défense que les républicains. Pour autant, les orientations qu’ils ont évoquées les placent dans la même logique, qui peut être synthétisée par le chiffre de 4% du PNB pour la défense.

Bandow rappelle rapidement la position des deux principaux candidats démocrates: «Even some of the Democrats have been playing a game of “me-too,” proposing a military build-up without putting a price tag on it. For instance, Sen. Barack Obama (D-Ill.) advocates adding 92,000 personnel. Sen. Hillary Clinton (D-N.Y.) promises “to expand and modernize the military.”»

Il semble que l’idée d’une augmentation de 92.000 hommes dans les forces armées (U.S. Army) proposée par Obama, également implicitement acceptés par Clinton et dont l’amorce figure d’ores et déjà dans le budget FY2009, constitue en soi une augmentation substantielle du budget qui nous rapproche des 4%.

Le paradoxe de cette pression de la campagne électorale pour l’augmentation des dépenses de défense est que du côté des spécialistes les plus respectés, y compris les plus conservateurs donc les plus partisans d’un budget de la défense important, cette perspective est complètement irréaliste, voire irréalisable. On rappellera ici deux passages de l’éditorial d’Aviation Week & Space Technology du 17 décembre 2007 cité dans notre F&C du 14 janvier, – et ainsi nos deux F&C se répondent-ils eux-mêmes, et se complètent-ils en se contredisant.

»For example, in Fiscal 2009 and succeeding years, the Pentagon will have to finance the ground-forces buildup of 92,000 active-duty personnel Bush accepted this year after sticking for years with the denials of then-Defense Secretary Donald Rumsfeld that any increase was needed. The department must tend to the war’s wounded; repair and replace weapons that have been damaged or lost; restore stockpiles and prepositioned supplies to prewar levels; implement the shortest-term, most compelling of the counterinsurgency lessons it has learned in Iraq; and rebuild the morale of soldiers and Marines who, in the absence of a military draft, have borne unfair burdens. Without the first and last of these undertakings, finding 92,000 more volunteers for the Army and Marine Corps will be difficult if not impossible.»

(…)

»…Never mind the advocacy of an extra percentage of gross domestic product for defense to heal the system, the extra $20 billion for Air Force aircraft acquisition, the extra $10 billion or so for shipbuilding. None of these things will happen, and each will become less and less likely as Bush’s successor tries to clean up the mess.»

Démagogie? L’important est de savoir à qui elle s’adresse

On repousserait d’un revers de main toutes ces affirmations des candidats, avec un seul mot: démagogie, signifiant que ces promesses disparaîtront au fil du réalisme des programmes à réaliser dans la réalité budgétaire. On aurait bien tort. D’abord parce que la démagogie est aujourd’hui, non pas le vice du système mais la seule activité concevable. Elle est simplement drapée d’une signification extensive, par le manteau de virtualisme dans lequel elle est emmitouflée, et elle a une autre fonction que celle qui lui est traditionnellement allouée. Elle n’est pas une posture électoraliste mais la définition même de ce qu’on nommerait la “montée aux extrêmes” des options que permet le système. La démagogie n'est plus exactement la démagogie, c'est l'extrémisme du système.

Au contraire, nous tenons toutes ces propositions pour très sérieuses. Il nous paraît évident qu’il y aura surenchère dans la préparation des programmes des deux partis, et que ces chiffres seront considérés comme des références. Les démocrates ne manqueront pas à l’appel, quel que soit le candidat du parti. Leur activité au Congrès qu’ils dominent depuis janvier 2007 n’a aucunement montré une réduction des dépenses militaires mais simplement un conflit, d’ailleurs à fleurets mouchetés et sans effet extraordinaire, pour modifier la tactique en Irak. Par contre, et pour prendre un exemple proche, Clinton et Obama sont partisans d’une accentuation de l’effort militaire US en Afghanistan et reprochent à l’administration Bush d’avoir cédé sur ce terrain.

Paradoxalement, on pourrait avancer que Aviation Week & Space Technology devrait se sentir rassuré… Paradoxalement, nous avancerions qu’il ne le serait peut-être pas tant que cela, au fond de lui-même. Les augmentations du budget du Pentagone auront l'effet principal d'accroître le gaspillage à un rythme que certains jugent 4 fois supérieur à celui de l’augmentation budgétaire, tant le gaspillage prolifère aujourd’hui au Pentagone (officiellement l’évaluation du gaspillage dans le budget du Pentagone est de $20 à $50 milliards par an, – officieusement peut-être jusqu’à $70-$80 milliards). Si l’on s’en tient à la mathématique du phénomène, qui est certainement indulgente pour lui, l’augmentation du budget du Pentagone aura pour conséquence d’accroître l’inefficacité, la fraude, la corruption, dans une proportion quatre fois supérieure à la proportion de l’augmentation. L'augmentation budgétaire aura pour conséquence de réduire le pouvoir d'achat net utile (transcrit dans une capacité plus grande des forces) du Pentagone.

L’establishment US est emprisonné dans la vision alarmiste, qu’on pourrait qualifier de “terroriste”, qu’a imposée l’administration GW Bush. C’est le phénomène parfaitement décrit par Tom Engelhardt le 9 janvier (voir notre Bloc-Notes du 12 janvier). La démagogie dont nous parlons, celle des divers candidats, n’est pas destinée au peuple, à l’opinion publique, à l’électorat, – pour le flatter et lui plaire, comme cherche à faire toute démagogie. L’électorat ne demande pas de dépenses de défense supplémentaire selon la rhétorique hystérique qu’on entend chez les candidats. Cette démagogie-là est destinée au système et au conformisme de fer qu’imposent ses outils de communication (la presse MSM, les lobbies divers entre le lobby sioniste et le lobby du complexe militaro-industriel), encore plus que les subventions faites aux candidats. Et cette démagogie-là, au contraire de l’autre, est non seulement destinée à plaire au système mais ses promesses doivent être tenues une fois l’élu accepté par le système à sa nouvelle fonction (président).

Nous revenons toujours à ce même constat d’une direction complètement emprisonnée dans la dictature totalitaire d’un système, sans nécessité de complot ou de manipulation. Nous dirions que la véritable “population” qui est aujourd’hui emprisonnée par la mécanique du système, c’est l’establishment bien plus que l’opinion publique. (L’establishment fait comme il peut, sans succès excessif, pour que l’opinion publique le suivre dans ses choix qui sont autant la conséquence d’une contrainte que d’une fatalité, que d’une conviction virtualiste au bout du compte.) Bush a imposé sa vision de la terreur qu’il faut combattre, lui-même par des moyens terroristes correspondant parfaitement à sa psychologie primaire.

Le seul grain de sable qui pourrait se glisser dans la machine en route cette année, notamment pour ces augmentations budgétaires de défense et cette acceptation de poursuite de la mobilisation pour la guerre contre la terreur, c’est la crise financière et économique. Si elle prend une allure cataclysmique, ou disons apocalyptique dans le sens où nous employons ce qualificatif, elle introduira un désordre formidable dans cette mécanique bien huilée de l’emprisonnement systémique des psychologies de l’establishment. Dans ce cas, le grain de sable serait d’un poids rarement atteint.