La démocratie d’Augias

D’une façon générale, les Russes n’apprécient pas les leçons de démocratie dont le système de l’américanisme est coutumier. Le site de la station de télévision Russia Today, remarquablement attentif aux affaires intérieures américanistes, ne manque jamais de nous communiquer les dernières nouvelles à propos de cette démocratie évidemment exemplaire. RT n’a pas manqué un long rapport de février 2012 de l’organisation d’enquête et d’analyse statistique PEW Center, et il le présente dans un texte du 14 février 2012.

Augias, le roi d’Elide, avait d’immenses écuries qui étaient d’une saleté repoussante et dans un état pitoyable, n’ayant pas été nettoyées depuis trente ans ; ce fut l’un des douze travaux d’Hercule de nettoyer les écuries d’Augias. Le brave Hercule, s’il n’était épuisé, devrait songer à un treizième, – mais, même en pleine forme, il échouerait sans doute. La démocratie américaniste n’a pas été nettoyée depuis que Tocqueville s’extasiait sur un ton tout de même un peu ambigu à son propos… Aujourd’hui, son état est apocalyptique, ce qui nous conduit à conclure que la “démocratie d’Augias” n’est rien de moins que la démocratie de l’apocalypse de la démocratie.

Voici quelques mots de RT sur cette question. Les chiffres sont vertigineux et les situations valent bien l’un ou l’autre pays du quart monde dont on moque la caricature de système, ou l’un ou l’autre “État failli” chez qui l’on juge bon d’intervenir manu militari pour y installer, – la démocratie, cela va de soi.

«A new study reveals that the US voter registration system is riddled with inaccuracies, including erroneous records that reveal that nearly 2 million deceased Americans are able to cast a ballot.

»“Inaccurate, costly and inefficient” is how the DC-based Pew Research Center describes the American voter registration system. In a report published by the group this week, they highlight a bevy of barely-believable factoids identified in their findings, including — among other items — that 1.8 million deceased Americans are still listed as active voters. Elsewhere in their report, Pew reveals that the voter registration information for around 24 million Americans — or one of every eight — is in some form or another “significantly inaccurate.” Around a quarter of the United States’ eligible voters are also not even registered.

»To blame, suggests the researchers responsible for the study, are out-of-date technologies that are highly costly to maintain while at the same time being susceptible to mistakes. “Our democratic process requires an effective system for maintaining accurate voter registration information,” write the researchers. “Voter registration lists are used to assign precincts, send sample ballots, provide polling place information, identify and verify voters at polling places and determine how resources, such as paper ballots and voting machines, are deployed on Election Day. However, these systems are plagued with errors and inefficiencies that waste taxpayer dollars, undermine voter confidence and fuel partisan disputes over the integrity of our elections.”»

Quel commentaire ? Celui de l’évidence, sans aucun doute, à savoir que la démocratie du système de l’américanisme est absolument, totalement pervertie. Elle l’est, depuis longtemps, depuis l’origine d’ailleurs, le système ayant été construit sur des règles avantageant la ploutocratie en place. Un observateur aussi avisé et fin que Jacques Barzun, Français émigré aux USA et devenu un des grands intellectuels US du XXème siècle, a parfaitement défini ce que fut précisément la fondation des USA :

«If anything, the aim of the american War of Independance was reactionary : “back to the good old days!” Taxpayers, assemblymen, traders, and householders wanted a return to the conditions before the latter-day English policies. The appeal was to the immemorial rights of Englishmen: sel governments through represetatives and taxation granted by local assemblies, not set arbitrarily by the king. No new Idea entailing a shift in forms of power — the marks of revolutions — was proclaimed. The 28 offenses that King George was accused of had long been familiar in England. The language of the Declaration is that of a protest against abuses of power, not of proposals for recasting the government on new principles.»

La démocratie “parfaite” était donc celle qui perpétuerait l’ordre établi, notamment grâce à la puissance de la communication qui établit une sorte de virtualisme constant, et grâce à une technique et à une mécanique de fonctionnement d’une telle complexité que seuls les appareils politiques, évidemment acquis au Système, seraient seuls capables de les faire fonctionner. La nouveauté extraordinaire que décrit l’enquête PEW Center, c’est la formidable décrépitude des aspects techniques et mécaniques, et des aspects sociaux et démographiques par conséquent, du système électoral, donc du système de la démocratie américaniste. (Cette décrépitude accompagne bien entendu, ceci permettant d’autant mieux cela, une accélération exponentielle des fraudes officielles, des manipulations grossières, au point que certaines situations, comme celle des primaires républicaines du Maine, deviennent presque insupportables, même pour un système de communication particulièrement sélectif. [Il n’est que d’entendre la fureur de Rachel Maddows, de MSNBC et pourtant adversaire politique de Ron Paul, lors de son émission du 15 février 2012, en train d’exposer le scandale incroyable de cette fraude, en le qualifiant de fraude la plus grotesque de l’histoire politique des USA].) Cette décrépitude rejoint d’ailleurs celles de toutes les structures physiques et sociales US, parfaitement décrites par l’analogie des termites employée pour les systèmes de canalisation de la ville de New York.

Par ailleurs, cette décrépitude pathétique a l’avantage de substantiver la perversion et le simulacre absolus qu'est la démocratie américaniste, – et, en cela, le cas est important, bien plus important que ses seuls aspects techniques et mécaniques. La situation décrite par PEW Center (2 millions de morts inscrits sur les listes électorales, 24 millions de citoyens en droit de voter non inscrits et ainsi de suite) finit par acquérir indirectement un poids symbolique dans d’autres domaines que ceux où elle se manifeste, particulièrement dans des temps de trouble et d’agitation. Elle finit par peser d’un poids politique, comme si la situation technique et mécanique de cette décrépitude, conduisant à une non-représentation grotesque de la population, finissait par être comprise en termes politiques, par une sorte de transfert de type métaphysique par le moyen des psychologies qui identifient aisément ce désordre, et le moyen du système de la communication, qui en rend compte épisodiquement. La chose est rendue possible par le fait que cette démocratie achevée dans la tromperie et le simulacre, n’a pas de structure régalienne puissante pour remplacer la situation défaillante de l’apparence démocratique. Cela implique, toujours indirectement mais puissamment, une source indirecte et souterraine, mais très active et très puissante, de délégitimation du processus “démocratique”, de la “démocratie” américaniste elle-même, du Système lui-même. Si besoin en était, nous aurions une démonstration de plus que toutes les forces du Système poussent désormais dans le sens de son autodestruction.

Mis en ligne le 17 février 2012 à 12H16