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19 décembre 2005 — La victoire de l’Indien Evo Morales à la présidence de la Bolivie, semble-t-il avec un résultat de plus de 50% des voix qui assurerait sa position et sa victoire, constitue un pas supplémentaire dans l’étonnante conquête du pouvoir en Amérique Latine par un grand “parti” continental fondé sur l’anti-américanisme et l’anti-capitalisme (avec le capitalisme perçu comme instrument de l’américanisme pour une oppression économique globale). Chaque cas est particulier, à commencer par celui de Chavez qui constitue le pôle inspirateur de cette (r)évolution ; chaque cas est national, voire particulariste, comme avec Morales, élu des pauvres et des Indiens. Mais chaque cas est lié aux autres par cette réaction de résistance, voire de contre-offensive face au pouvoir anti-américaniste.
(Il semble effectivement que Morales ait réussi un résultat qui le met à l’abri d’une riposte de la droite libérale et pro-américaniste (désignation du président par l’assemblée parlementaire, actuellement majoritairement conservatrice, si aucun candidat ne dépasse 50% des voix). Selon EuroNews ce matin : « Les dernières estimations qui portent sur plus de 60 pour cents des bulletins dépouillés créditent [Morales]
L’Histoire montre bien peu d’exemple d’une puissance hégémonique donnant à ses adversaires la clef d’une résistance si efficace contre elle, comme Washington le fait aujourd’hui. Cette clef se nomme : démocratie. Bien entendu, toute conclusion sur la vertu de la démocratie et sur la vertu paradoxale de Washington céderait au même réflexe d’interprétation idéologique de ce qui n’est qu’un mécanisme (la démocratie), et qui est un mécanisme en train de perdre Washington. La situation en cours de développement démontre moins la vertu du mécanisme politique (la démocratie) que l’extraordinaire faiblesse du régime américaniste, emprisonné par sa dialectique de la nécessité de l’apparence de vertu à la promotion du moyen donné aux autres de se débarrasser de sa propre tutelle.
Les américanistes sont totalement aveuglés par leur propre virtualisme, qui leur fait croire à leur propre vertu démocratique et capitalistique et au lien vertueux entre démocratie et capitalisme. Ils forcent partout à l’application de la démocratie en se référant au schéma passé où ils crurent effectivement que la démocratie leur permettrait d’appliquer le capitalisme. Montrant en cela le passéisme et l’immobilisme de leurs conceptions, les américanistes ont pris pour définitive une situation de transition (l’application de la démocratie avec l’acceptation tactique du capitalisme pour sortir de régimes oppressifs) alors que la situation stratégique conduit bientôt les nouvelles démocraties à utiliser leur légitimité pour lutter contre l’hégémonie américaniste, comme pour lutter contre le capitalisme en tant qu’instrument américaniste d’hégémonie économique.
Nous sommes à un point où la tactique laisse de plus en plus découvrir la stratégie, découvrant les véritables conséquences du mouvement en cours. Aujourd’hui, un important phénomène s’affirme, l’évolution vers la rupture, voire l’opposition marquée entre démocratie et capitalisme, — ce qui représenterait la phase ultime de la crise de l’américanisme. La chose est fort lucidement mise en évidence par le commentaire d’un partisan du mariage de la démocratie et du capitalisme, Matthew Parris du Times de Londres (le 17 décembre), qui commente justement l’évolution anti-américaniste des deux Amériques (Canada et Amérique Latine): « It isn’t working. Reasons why that matters for Washington [...] should also include worries about America’s image as a moral leader for capitalist democracy. And I am afraid that it is in the tension between those last two words that the core of the problem resides. Capitalism isn’t winning elections, and Washington preaches both.
» Those of us who also preach both (as I do) need to look hard at this contradiction. I do not know how it should be resolved. »
Nous n’assistons nullement à une évolution idéologique (pour ou contre le capitalisme, lequel n’est par ailleurs pas une idéologie) mais à une évolution stratégique contre le capitalisme dans la mesure où cette structure économique est arrivée au point où elle se découvre comme un instrument stratégique d’agression au seul service de l’américanisme. L’intérêt de la situation est que cette évolution profite des instruments que les américanistes ont mis eux-mêmes en évidence comme la vertu nécessaire, grâce à leur immense réseau de communication de propagande ; instruments dont ils ont eux-mêmes suscité l’usage en lançant leur “offensive démocratique” au Moyen-Orient et dans l’ex-empire soviétique. Comme on sait, les résultats sont assez piteux de leur côté : on sait ce qu’il en est au Moyen-Orient, où l’échec est complet (sauf peut-être en Irak ? — mais dans le sens extrêmement catastrophique qu’on sait : une “démocratie” irakienne se rapprochant décisivement de l’Iran…). Dans l’ex-empire soviétique, les pays gagnés au capitalisme sombrent dans une corruption remise au goût du jour par le maquillage de convenance ou bien sont susceptibles d’évoluer dans un sens différent des intérêts américanistes.
Cette appréciation de l’historien Gabriel Kolko,
aujourd’hui sur Antiwar.com, à un propos plus général que le cas bolivien, se prête aisément à son interprétation comme un commentaire de la situation que nous tentons de décrire, englobant par conséquent le résultat de Morales: « The world is escaping American control, and Soviet caution no longer inhibits many movements and nations. World opposition is becoming decentralized to a much greater extent, and the U.S. is less able than ever to control it – although it may go financially bankrupt and break up its alliances in the process of seeking hegemony. This is cause for a certain optimism, based on a realistic assessment of the balance of power in the world. I think we must avoid the pessimism-optimism trap but be realistic, and although the Americans are very destructive, they are also losing wars and wrecking themselves economically and politically. »
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