La dérive des continents

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La dérive des continents (*)

Les contours des terres émergées s’épousent.

Le tracé de leur découpe sur fond aqueux manifeste la lente dérive des  continents sous l’effet du tournoiement sans fin de l’orange bleue sur elle-même.

Dans la course qu’elle répète jour après jour, elle déchire sa fine cuticule.

En s’arrachant à son orient, l’occident finit par rejoindre son pôle à l’est pour réaliser non l’unité primitive mais une autre continuité.

Une naissance, un destin

Fin 2009, l’entité Hong Kong Shangaï Bank Corporation annonçait qu’elle établirait son direction générale à Hong Kong, après une éclipse qui n’aura duré que peu, anticipant dès 1993 la réintégration de la ville à la Chine populaire en 1997.

La décision de se reloger sur son site d’origine reflète la détermination du groupe à s’ancrer dans les économies émergentes asiatiques qui restent malgré le ralentissement mondial les plus dynamiques. Le PIB mondial doit encore en 2015 25% de son accroissement à la locomotive chinoise.

La fidélité de HSBC ne se limite pas à son implantation géographique première.

Un Ecossais l’avait fondée en 1865 dans les suites des deux guerres de l’opium menées par le Royaume Uni contre la Chine (1839-1842) et 1856-1860) au terme des quelles la Chine fut contrainte d’accepter par les armes l’importation de la drogue dérivée de la fleur de pavot à partir de l’Inde déjà soumise à l’Empire anglo-saxon. L’essentiel de l’activité de Thomas Sutherland, commerciale et bancaire, était lié au trafic de l’opium qui représentait 70% du fret portuaire de Hong Kong.

L’institution financière, l’une des principales banques privées mondiales, n’a jamais dérogé à sa vocation première. Mais il a fallu attendre 2015 pour que la banque avoue un énorme mouvement de blanchiment d’argent. Du cash était convoyé depuis la Colombie et le Mexique dans des véhicules blindés et des avions jusqu’à sa filiale aux USA.  Elle s’est acquittée d’une amende légère de $1,9 milliard versée au Trésor étasunien dont les enquêteurs chargés d’appliquer la loi anti-blanchiment  ne pouvaient décemment pas prélever moins. Toute la filière est gagnante, sauf les producteurs de cocaïne (3) et le consommateur final.

Il est vrai que sanctionner outre mesure cette pratique mettrait en péril le système financier mondial. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime dès 2009 signalait que les fonds des prêts interbancaires provenaient du trafic de drogue et du crime organisé.  Sans cet apport substantiel au flot monétaire qui irrigue l’économie mondiale, la dépression secondaire à la crise des prêts immobiliers américains auraient fait disparaître dans la faillite sinon la totalité du moins la plus grande part des grandes  banques.

L’orientation

Le ‘fardeau civilisateur de l’homme blanc’ avait conduit le Royaume Uni dans une marche selon un mouvement de balancier dans des aller-retour incessants vers son Orient, l’Inde. Le tout a été organisé autour d’une histoire de chiffons. Un pillage pur et simple a enrichi la Compagnie des Indes Orientales qui se saisissait à vil prix de la production des artisans du textile. Ce profit a alimenté l’industrialisation des îles britanniques qui par effet rétrograde a asphyxié l’économie locale en y déversant ses cotonnades (américaines puis égyptiennes) tissées sur des métiers montés en usine.

Depuis le Munshi de la reine Victoria, Mohamed Abdel Karim (5), Londres s’est tellement indianisée qu’il n’y a qu’à Paris que l’on s’étonne que le premier Edile de la ville soit un indo-pakistanais.

Elle s’est aussi arabisée et bien par delà l’anecdotique acquisition de Harrods par Mohammed El Fayed, l’ex-futur beau-père de Lady Diana Spencer.  L’affluence des pétrodollars,  singulièrement ceux du Koweit dont la famille régnante avait donné délégation aveugle à quelques agents de la City la gestion de ses revenus pétroliers, l’avait affectée au point qu’elle en a intériorisé sa situation. Elle a fini par métaboliser son Londonistan, plaque tournante de tous les wahhabites, faux et vrais, agents doubles ou plusieurs fois retournés par le MI16.

Sinisation

Plus récemment, Londres et les territoires qui en dépendent se sont sinisés.

Cameron déroule le tapis rouge à Xi Jimping lors de sa visite en 2005.

Fonds souverains, entreprises d’Etat et privées investissent en Europe et prioritairement en Grande Bretagne, tout l’éventail possible des transports,  de l’énergie et des services est concerné. Entre 2004 et 2010, le volume des échanges entre les deux pays et passé de 20 à 80 milliards de dollars avec un déficit commercial de plus en plus lourd en faveur de Pékin.

Deux réacteurs nucléaires français  de type EPR seront construits en Grande Bretagne grâce aux 35 milliards de dollars consentis par les géants nationaux China General Nuclear Power Corporation et China National Nuclear Corporation. Ce contrat va faire perdre définitivement à Areva sa position car l’entreprise française cédera en contrepartie son savoir-faire à ses partenaires chinois.

Depuis 2013, le Royaume Uni promeut l’utilisation du yuan en Europe ce qui est tout à la convenance des dirigeants chinois.  Il s’agit de transformer graduellement sans à-coups ni raidissement le Renminbi en monnaie totalement convertible pour devenir monnaie de réserve des Banques Centrales.

HSBC  est retournée à Hong Kong quand de nombreux établissements bancaires se sont installés à Londres. La City reste le plus grand marché des changes dans le monde.

La direction du Parti Communiste Chinois a donc  investi la place financière et a autorisé le Royaume Uni à participer à la Banque Asiatique d’Investissements pour les Infrastructures. La BAII a l’ambition de surpasser le poids et l’influence des deux principales armes étasuniennes, le FMI et la Banque Mondiale.

L’étrangeté  d’une Promesse tenue

Il est inaccoutumé de voir un homme politique occidental respecter une de ses promesses électorales majeures. David Cameron s’est ainsi distingué en s’engageant en 2013 à déterrer l’idée d’organiser le referendum promis en 2010 mais  entre-temps oublié. L’issue de cette consultation ne pouvait susciter le moindre doute.

La plus vieille nation industrielle ,après le traitement de choc du thatcherisme avec désindustrialisation et précarisation d’une part grandissante de sa population à la clé, quand l’occasion lui fut donnée de s’exprimer selon le ratio un homme une voix, ne pouvait que dire son exaspération.

 Il a fallu la conjonction de l’euroscepticisme (qualifié de tiède par les Grands Clercs émetteurs de Bulles des Commissions de Bruxelles) d’un conservateur bon teint avec le réalisme de la City qui subit l’influence bienveillante d’un O’Neil, inventeur de l’acronyme BRICS, ancien de la Goldman Sachs, qui officie avec discrétion comme conseiller au Trésor de la couronne pour que soit disposée cette sortie.

Ainsi avec la furtivité des courants marins profonds d’une puissance aussi imperceptible à des sens habitués à des impressions tonitruantes qu’elle est imparable et continue, le Royaume Uni se détache de l’Europe.

De l’Europe, vraiment ?

Ne serait-ce pas de Wall Street ?

L’île continue de dériver, quoi de plus naturel pour un ancien empire thalassocratique ?

Badia Benjelloun

 

Note

(*) Nous avons emprunté pour cet article le titre du roman de Morgan Sportes, « La dérive des continents » récit onirique et initiatique d’un Occidental en Amérique Larine... Morgan Sportes est un franco-algérien né à Alger et débarqué en France en 1962. Auteur prolixe, il s’était  fait rabrouer lors d’un entretien par Kouchner quand il avait osé reprendre l’expression de De Gaulle concernant «  le privilège exorbitant du dollar ».

En hommage à sa courageuse intervention au cours de laquelle M. Sportes avait accepté de descendre dans la fosse aux lions face à un bateleur, criminel de guerre appuyé par toute les farces médiocratique.(sic).