La dernière de TB

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 876

La dernière de TB


25 février 2007 — Peut-être certains jugeraient-ils que Tony Blair a confondu le bouclier anti-missiles US et le JSF ? Peut-être a-t-il conclu qu’il était insupportable que les Tchèques et les Polonais puissent avoir des bases d’anti-missiles US sur leur sol, et le Royaume-Uni pas ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas question qu’il laisse passer l’occasion.

Les Américains eux-mêmes ont été surpris, voire agacés. Dans son article du 23 février sur le sujet, l’International Herald Tribune observe :

«At first, the U.S. Embassy in London made remarks that the British news media seized on as a rebuff of Blair's interest. David Johnson, the deputy chief of mission at the embassy, told BBC radio, in part: “I would see as we go forward there may be opportunities for us to talk to other countries about other needs. But right now we're concentrating on the Czech Republic and on Poland as the primary sites where we would be looking for this.”»

Bien entendu, Johnson revint là-dessus pour tenter de réduire, voire de supprimer l’effet désastreux ainsi produit de laisser croire que le Pentagone n’était pas intéressé. : «In a subsequent statement, Johnson said any suggestion that his remarks “were a rebuff to the British government is nonsense.” “We have been and will be in discussions with the British government as we develop our missile defense system and be open to opportunities for joint work as we go forward,” he added.»

C’est pourtant le cas. Le Pentagone est plutôt embarrassé et d’une humeur médiocre. Il n’a rien demandé aux Anglais pour cette circonstance. Il considère que l’affaire du NMD (National Missile Defense), avec son appendice GMD (Ground-based Missile Defense), est devenue sans beaucoup d’intérêt avec les Britanniques, pour diverses considérations qui ont à voir avec la situation interne du pays et la fortune politique de Tony Blair.

Cet avis du Pentagone n’est pas isolé. Un éditorial furieux du Guardian, de ce jour, pourrait s’intituler : “mais qu’allons-nous donc faire dans cette galère ?”

«The idea that Britain should offer to house the new anti-ballistic missiles which the United States wants to base in Europe is on the far side of folly. The Poles and the Czechs, who have been discussing the matter for some time, may have reasons to agree to play a part in a scheme whose purposes are unclear, whose effectiveness is dubious, and whose consequences could be dangerous. For they feel that such a deployment, whatever its objective value, will strengthen their links with America and help them resist Russian pressures which, rightly or wrongly, they fear may intensify in coming years. Britain has no such rationale, yet a spokesman yesterday confirmed that Tony Blair thinks it right that we should be “part of the consideration” as the US weighs the question of where to place these weapons.

»If you were thinking of a legacy to the nation, should it be to dig holes in the ground for weapons that will not work and whose successors are also unlikely to work? How about aiming these unworkable weapons at something that does not exist and, as far as the experts can see, never will exist ¬ namely long-range Iranian missiles headed for the US or Europe? Why not add in that if the weapons were ever to be made to work, and if the threat ever did materialise, they would be bringing down the enemy missiles over the territory of a friendly power, showering its citizens with possibly lethal debris? Quite apart from anything else, has Greenham Common been forgotten?»

Cette calamiteuse idée attire diverses réactions furieuses ou réservées, comme il se doit, comme on est désormais habitué avec Tony Blair lorsqu’il prend des initiatives de cette sorte. Florilège de ces réactions extrait du Guardian d’aujourd’hui...

«Gordon Brown is understood to be aware of the discussions — and the financial implications — but not to have played an active role in them. Several Labour MPs expressed concern that Mr Blair might be attempting to cement Britain's close ties to the US before standing down.

»Joan Ruddock, an ex-minister and former chair of CND, said: “This needs a proper consultation. It's not something that the outgoing prime minister should be negotiating with the US in the absence of parliamentary and public debate.”

»The Labour leadership contender Michael Meacher said: “This has apparently been discussed at prime ministerial level for the past six months when the rest of us knew nothing about it.”

»Liam Fox, the shadow defence secretary, said: “We have had no details despite asking a lot of questions in Parliament.”

»He said there were questions about how “applicable and practical” the system was and where it might be deployed. “If the government want to maintain a bipartisan approach to defence, they had better start getting honest with the opposition.”»

Comme Churchill en 1954

Cette initiative qu’on doit qualifier de britannique a pourtant été, pour l’essentiel, une initiative du seul Tony Blair, sans consultations décisives semble-t-il. Plus que jamais, Tony Blair “joue perso”. Son but est d’ancrer le Royaume-Uni dans l’espèce de position de semi-intégration où l’a mis Tony Blair. Le Premier ministre ne peut concevoir pour le Royaume-Uni une autre position de puissance satisfaisante pour son pays.

Manifestement, Blair ne fait guère confiance à son successeur, ni même à la classe politique britannique toute entière, y compris les conservateurs, pour assurer la pérennité de sa politique de complet alignement sur les USA.

Il semble qu’on puisse établir un lien entre cette affaire d’un éventuel engagement UK dans le système des anti-missiles et l’évolution de la position de Blair sur une possible attaque contre l’Iran. Lorsqu’il en est arrivé à présenter son projet de relancer les Américains pour l’entrée dans le système anti-missiles, Blair a dû “payer” la neutralité de Brown vis-à-vis de cette initiative. Il l’a fait avec sa prise de position contre toute initiative militaire contre l’Iran. Il est manifeste que Brown ne veut pas entendre parler d’une participation britannique à l’aventure, et il fait pression sur Blair pour que celui-ci suive ce cap.

C’est une étrange situation, qui n’a plus grand’chose à voir avec une politique rationnelle. Les prises de position de Blair concernent aujourd’hui son héritage politique, — l’alignement britannique sur les USA, — et toutes ses décisions sont orientées en fonction de cette idée. Pour lui, une participation au système anti-missiles US est plus “structurante” qu’un rapprochement d’une politique iranienne de l’administration Bush dont plus personne ne sait exactement ce qu’elle est. Bien évidemment, cette intention de participer au réseau anti-missiles mettra, ou mettrait du temps à se concrétiser et Blair, lui, s’en va dans peu de temps. On peut raisonnablement prévoir qu’une fois Blair parti, l’engagement britannique dans le système anti-missiles US n’aura plus guère de défenseur au sein du gouvernement. La probabilité que cet engagement soit discrètement écarté est sérieuse. Il faut écarter cette initiative de Blair, si peu durable sans doute, de la problématique générale d’une possible crise européenne à cause des anti-missiles US ; elle participe plutôt des avatars du cas Blair et des “relations spéciales” USA-UK.

Il s’agit d’une étrange incursion dans un domaine bien insaisissable. La “politique” de Blair est devenue un phénomène fantasque, dont plus personne ne peut vraiment cerner la rationalité, dont la rationalité en tant que politique extérieure semble inexistante. Il s’agit d’un conflit de convictions de personnes où vanité et entêtement ont une grande part, — d’ailleurs, l’évolution de Brown dans cette affaire n’est pas exempte de critiques non plus. La situation actuelle se rapproche de celle des années 1954-55, lorsque Churchill, malade et outrepassant ses promesses de transmettre son poste de Premier ministre à son ministre des affaires étrangères Eden, avait vécu plusieurs mois en poursuivant, sans guère de consultation ni de solidarité gouvernementale, une politique étrangère complètement personnelle.