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4488Normalement, la Chambre devrait voter la mise en accusation de Trump d’ici à la fin de la semaine. Le dossier de l’accusation sera transmis au Sénat qui statuera à cet égard en janvier, soit en repoussant purement et simplement le dossier, – “sans autre forme de procès” selon l’expression dans ce cas parfaitement adaptée, – soit en acceptant de l’examiner sous la forme d’un procès. (Dans les deux cas, majorité simple de 51 voix.) D’une façon générale, la mise en accusation porte sur deux articles (“abus de pouvoir” et “obstruction du Congrès”) qui sont jugés comme faibles, sinon très faibles, sinon comme « si anémiques qu’ils en sont ridicules » (selon le colonel Lang sur son site SST).
Dans ces conditions qui, à notre sens, rencontrent sans aucun doute une vérité-de-situation établie depuis la publication de la transcription de l’appel téléphonique de Trump au président ukrainien Zelenski du 25 juillet, on doit se reporter aux déclarations du sénateur Rand Paul faites à CNN, face à un interrogateur-inquisiteur (Jake Tapper) particulièrement nerveux et agressif, et visiblement se bouchant le nez devant l’odeur pestilentielle de ce républicain défendant Trump.
(Ces petits détails en forme de parabole anatomique ne sont pas de pure forme. Ils rendent compte jusqu’au plus infime détail du caractère peu ordinaire de l’hystérie persistante, et même grandissante, du débat en cours, semblable au climat du Vol au-dessus d’un nid de coucou. Même les républicains, poussés à l’exaspération, s’y mettent comme a pu s’en rendre compte le Fouquier-Tinville de cette tragédie-bouffe, le président de la commission du renseignement de la Chambre Adam Schiff.)
« “Vous savez, nous avons vu les preuves. Nous allons encore les voir mais nous n’en verrons pas de nouvelles, et je pense que le public de ce pays s’en rend compte...” a dit le sénateur Rand Paul, interviewé dimanche lors de l’émission ‘The State of the Union’ de CNN.
» “Tous les républicains et quelques démocrates voteront contre [la mise en accusation conduisant à] la destitution à la Chambre. Au Sénat, je pense que tous les républicains voteront contre, et peut-être également deux démocrates.”
» “Je pense donc que ce que nous voyons, c’est une action absolument partisane. Il y a un désaccord conceptuel. Les démocrates n’aiment pas Trump et son comportement, alors ils ont décidé de criminaliser le processus politique”, estime Rand Paul.
» “Je ne pense pas que ce soit une bonne chose jour pour le pays. Je pense que c’est une triste chose et j’espère que cela n’aboutira pas à ce que chaque président, comme c’est le cas dans différentes régions d’Amérique latine, puisse être mis en accusation, voire jeté en prison parce que l’on n’aime pas sa politique. Je pense que cette affaire va affaiblir profondément, voire détruire le pays.”
» Le présentateur Jake Tapper s’est montré très agressif lorsque Paul a soutenu que l’appel téléphonique du président Trump à Zelenski respectait le mandat du Congrès pour s'assurer que l’aide étrangère est utilisée correctement.
» “Il ne s’agit pas de la Constitution ou de la violation de la Constitution par le président. L'aide étrangère dépend toujours du comportement. En fait, l’aide que le Congrès a voté pour l’Ukraine, c’est précisé dans la loi, implique que le président doit vérifier qu’elle ne servira pas à alimenter la corruption. Je veux dire par là [que Trump] a fait exactement ce que le Congrès lui demandait de faire” a argumenté Paul.
» “Vous pensez que le Président Trump a fait ça pour lutter contre la corruption ?” a demandé Tapper, puis interrompant continuellement le sénateur avec des “exemples” de Trump ne se souciant pas de la corruption.
» “Je pense que ces affirmations répondent à une opinion et non à des faits”, a répondu Paul à propos des “faits” cités par Tapper. »
L’avis de Rand Paul est intéressant, bien entendu parce qu’il est un des rares sénateurs à avoir une vision réaliste et raisonnée de la politique extérieure des USA et de l’actuelle crise de “D.C.-la-folle” (un peu l’équivalent républicain de Tulsi Gabbard pour ces domaines) ; d’autre part parce qu’il représente la tendance libertarienne fortement affirmée par son père Ron. Son interprétation de l’actuelle poussée démocrate pour la destitution, si elle paraît pessimiste, est extrêmement réaliste.
• Ce que Rand Paul nomme la “criminalisation” du processus politique signifie simplement que l’attaque démocrate contre Trump n’a rien à voir ni avec les faits, ni avec la Constitution, mais avec la seule personne. C’est une attaque ad hominem qui implique une lutte pour le pouvoir lui-même certes, et contre la politique spécifique d’un homme par ailleurs détesté, – ce dernier point de la détestation de Trump étant l’essentiel de cette crise.. Ce processus de destitution est un règlement de compte marqué par la fureur la rage.
(Il y a effectivement l’aspect psychologique, sinon hystérique, bien caractérisé par John Pilger, repoussant la thèse d’une attaque coordonnée du DeepState contre Trump comme argument principal, même si cela joue son rôle bien entendu, comme le montre le soutien affirmé de la dizaine d’élus démocrates représentant directement les organes militaires et de sécurité du Système : « C’est une théorie ; je n'en suis pas si sûr. L'élection de Trump en 2016 a perturbé un système mafieux d’arrangements tribaux que les démocrates dominent pour l’instant. Hillary Clinton était l'élue ; comment a-t-on pu oser se saisir son trône ?! Beaucoup de libéraux américains refusent de voir leur héroïne corrompue comme un porte-drapeau de Wall Street, une belliciste et l'emblème d’une “politique LGTBQ” qu’elle a annexée. Clinton est l'incarnation d'un système vénal, Trump en est la caricature. »)
• Le diagnostic de Rand Paul mesure la gravité de la situation dans la mesure où aucun des habituels processus constitutionnels d’équilibre des relations entre les diverses forces politiques ne joue son rôle. Le fait qu’il n’y ait aucun “fait” constitutionnel sérieux en jeu, mais plutôt un affrontement de clans dans une atmosphère de radicalisation extrême constante conduit à cette observation où l’existence même des USA tels qu’ils sont est mise en cause : « Je pense que cette affaire va affaiblir profondément, voire détruire le pays. »
Le paradoxe est donc qu’il s’agit d’une destitution-bouffe, sans importance ni motif constitutionnel sérieux, et qu’à cause de cela la crise est d’une extrême gravité. Si l’on s’en rapporte aux concept de “tragédie-bouffe”, nous incarnerions ce paradoxe selon l’idée que le processus de destitution absorbe tout l’aspect bouffe de la “tragédie-bouffe” et nous laisse face à la tragédie seule (“détruire ce pays”). On dirait que sur le fond constitutionnel de la crise, cette tentative de destitution est la moins sérieuse qu’on ait connue, et que c’est paradoxalement la crise la plus grave qu’une tentative de destitution ait jamais suscitée. Elle marque ce qu’on constate chaque jour depuis 2015-2016, c’est-à-dire la très profonde fracture qui divise le pays d’abord du fait de la radicalisation des démocrates progressistes-sociétaux, et qui conduit à l’hypothèse de plus en plus insistante de l’impossibilité de garder l’Union dans sa situation originelle (chose que nous ne cessons d’envisager, et encore dernièrement avec notre texte sur « le goût suave de la sécession »).
Un autre argument est la question des caractères qui s’affrontent, notamment avec Trump ne cessant de se radicaliser au niveau de la communication face aux démocrates, comme un chiffon rouge agité devant un taureau, étant perçu par les démocrates comme une “caricature” insultante du système qu’ils représentent (le « Clinton est l'incarnation d'un système vénal, Trump en est la caricature » de Pilger). La chose se manifeste du côté des républicains par deux tendances qui s’opposent sans trop de fracas mais avec une pleine conscience de l’enjeu sur la tactique à suivre. Il y a la tendance disons raisonnable, celle qui cherche d’abord à protéger le système de l’américanisme en l’état en écartant la folie des démocrates et les excès du caractère de Trump : des sénateurs comme McConnell (leader de la majorité) et Graham (président de la commission judiciaire du Sénat) veulent un vote immédiat de rejet de la mise en accusation, ce que nous signalions plus haut sous la forme d’un vote préliminaire de rejet “‘sans autre forme de procès’ selon l’expression dans ce cas parfaitement adaptée”. D’un autre côté, il semble bien que Trump voudrait au contraire un procès pour pouvoir, au travers des témoignages dont le sien et celui des Biden père et fils, mettre les démocrates en déroute sur la place publique à l’heure des primaires présidentielles.
Autre paradoxe qui renvoie à l’échauffement hystérique des esprits, où la raison en politique a été complètement éliminée au profit d’un affectivisme échevelé : les démocrates eux-mêmes réclament ce procès, c’est-à-dire l’affrontement public avec Trump, – dans ce cas, paradoxalement d’accord avec Trump. Il est évident que les conséquences seraient extraordinairement déstabilisantes, sans donner la “victoire” à personne sinon au désordre, dans une bataille dont l’enjeu est désormais effectivement et exclusivement la question du désordre au cœur du pouvoir à “D.C.-la-folle”. Ce surnom est plus que jamais appropriée, et Trump joue plus que jamais le rôle central du personnage déstabilisateur du Système, de l’antiSystème sans le savoir ni le vouloir, par simple logique, – ou la logique de la surpuissance du Système serait remplacée par une logique antiSystème absolument autodestructrice, produite par ce même Système.
Mis en ligne le 17 décembre 2019 à 11H05
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