La dette et le GOP, – et BHO qui sort de ses gonds

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“Eric, je ne bluffe pas”, a dit le président des Etats-Unis à Eric Cantor, chef de la majorité républicaine à la Chambre, en annonçant qu’il posait clairement un ultimatum à ses interlocuteurs, alors qu’il quittait les négociations à propos du relèvement du plafond de la dette, en cours entre lui-même et le GOP (Great Old Party, ou parti républicain). Occasion extrêmement rare, celle de voir BHO perdre son sang-froid et sortir de ses gonds, – selon l’interprétation des élus républicains. Le service com’ de la Maison-Blanche a rectifié aussi vite que possible, avec une autre interprétation : agissant en grand Président (on nous invite à penser à Reagan ou à Lincoln, – deux républicains !), Obama aurait mis les parlementaires du GOP devant leurs responsabilités : c’est à prendre ou à laisser, et le peuple américain jugera…

Selon Huffington.post, le 13 juillet 2011 : «Lawmakers and the White House had what nearly every party is describing as a “Tough” and “testy” meeting on the debt ceiling Wednesday afternoon, culminating in a stormy exchange between the president and House Majority Leader Eric Cantor (R-Va.).

»It was the fifth straight day of talks, but the first in which attendees, speaking on background, were willing to admit that steps were taken backwards. According to multiple sources, disagreements surfaced early, in the middle and at the end of the nearly two-hour talks. At issue was Cantor's repeated push to do a short-term resolution and Obama's insistence that he would not accept one. “Eric don't call my bluff. I'm going to the American people on this,” the president said, according to both Cantor and another attendee. “This process is confirming what the American people think is the worst about Washington: that everyone is more interested in posturing, political positioning, and protecting their base, than in resolving real problems.”

»Cantor, speaking to reporters after the meeting, said that the president “abruptly” walked off after offering his scolding. “I know why he lost his temper. He’s frustrated. We’re all frustrated,” the Virginia Republican said.

»Democratic officials had a different interpretation. “The meeting ended with Cantor being dressed down while sitting in silence,” one official said in an email. “[The president] said Cantor could not have it both ways of insisting on dollar-for-dollar and still not being open to revenues.”»

Le même Huffington.post rapporte d’autres détails des interventions de BHO, selon Reuters. Ces détails viennent du côté démocrate et montrent effectivement un président martial, donnant aux élus républicains ce qu’on nommerait en termes débarrassés des ambigüités diplomatiques, un ultimatum. BHO veut que les républicains fassent leur choix, c’est-à-dire acceptent les dernières propositions présidentielles ; on se reverrait alors vendredi pour arranger les détails… BHO annonce qu’il est prêt à tenir jusqu’au bout (“Eric, je ne bluffe pas”), même si, selon ses propres termes, cela lui coûte sa présidence (dito, sa réélection).

«“Talk about arbitrary,” he said of Cantor's figure, according to a Democratic attendee. “I am totally willing to do the hard stuff to get well above what you need and you won't do it because you can't put one penny of revenue on the table.” “At least Mitch McConnell, to his credit, was willing to work for a solution,” the president added, acknowledging the proposal by the Senate Minority Leader to, essentially, give him the authority to lift the debt ceiling without passing commensurate cuts. “I have reached the point where I say enough,” Obama concluded, according to Reuters. “Would Ronald Reagan be sitting here? I've reached my limit. This may bring my presidency down, but I will not yield on this.”»

Pendant ce temps, et pour ajouter au climat général qui voit comme d'habitude les marchés s'(inquiéter gravement, l’agence de cotation Moody’s faisait savoir, dans sa majesté de juge des valeurs de ce monde, que les USA risquaient une dégradation de sa cotation magique, type-AAA, si le chaos des négociations sur la dette se poursuivait jusqu'à une impasse définitive. Reuters (le 13 juillet 2011) nous avise de cette intervention qui semble marquée d’une sorte d’onction divine, celle que les agences de cotation se sont attribuée pour surveiller et donner une sorte de commentaire hautement moral au déroulement de la crise générale.

«Moody's Investors Service jolted White House debt talks on Wednesday with a warning that the United States may lose its top credit rating in the coming weeks, piling pressure on Washington to lift its debt ceiling. The announcement by Moody's, the first among the major rating agencies to place the United States' AAA rating on review for a possible downgrade, came minutes after President Barack Obama and congressional leaders began negotiating for the fourth straight day of deficit talks.»

Il s’agit de scènes typiques, ou scènes de la vie courante de la période dite “the system is broken”, s’appliquant au système de gouvernement des USA, à Washington D.C. Le “consensus” bipartisan est une farce, comme tous les “consensus” aujourd’hui, puisqu’il s’applique à des acteurs totalement impuissants, totalement épuisés par les tensions que leur impose la mosaïque des intérêts et des forces qu’ils représentent. Lorsqu’un Cantor affirme «I know why he lost his temper. He’s frustrated. We’re all frustrated», il ne fait pas dans le cynisme de l’opposant systématique qui dissimule sa manœuvre sous des considérations opportunes ; il exprime également le climat qui règne chez les républicains, comme partout dans les divers centres du Système, d’avoir à présenter des positions qui dépendent de l’ensemble hétéroclite et incontrôlable qu’est devenu le GOP, avec ses tendances classiques, néoconservatrices, néo-isolationnistes, avec ses tendances Tea Party, tout cela se reflétant dans des positions diverses, mais toutes extrêmes, sur la question de la dette.

Il en faut beaucoup pour faire sortir l’impavide BHO de ses gonds, jusqu’à l’entendre dire, dans un accès de fureur rentrée qui sera vite rattrapé par sa direction de la com’, qu’il est prêt à sacrifier son deuxième mandat mais qu’il ne cédera pas. Néanmoins, cette occurrence extrêmement inhabituelle rend parfaitement compte de l’état des choses dans les directions politiques du Système. La paralysie du gouvernement washingtonien est à la fois un symbole et une expression convaincante de la nouvelle époque où nous sommes entrés depuis 2009-2010 et la prolifération des nouvelles crises incontrôlables (chaîne crisique, “eschatologisation” des crises), avec leurs composantes intérieures sous la forme d’effets divers et incontrôlables, qui interfèrent directement sur les pouvoirs. Nous n’en sommes plus aux considérations assurées sur l’opposition entre la politique belliciste et conquérante (des USA encore considérée comme puissance hégémonique), et bientôt contrée de toutes parts, et une résistance assurée quant à ses engagements, comme nous avions jusqu’à la fin du mandat de GW Bush. Le changement de président, avec l’arrivée d’Obama, n’a été que la traduction symbolique du changement fondamental de situation, passant de cette situation d’affrontement clairement structurée à la situation de paralysie par le désordre qui sévit aujourd’hui.

Cela ne nous dit pas si le dilemme de la dette et du déficit budgétaire sera résolu à Washington, éventuellement dans un accord de dernière minute. Rien ne nous dit plus rien aujourd’hui, tant dominent le désordre et, par conséquent, l’impossibilité de faire quelque prospective que ce soit. Peut-être un paroxysme de crise du pouvoir est à portée de la main à Washington, peut-être pas, mais alors cette échéance repoussée de quelques semaines ou de quelques mois. Ce ne sont plus tant les objets de la crise qui comptent (ici la dette et le déficit, là l’engagement en Libye, etc.), que cette sensation palpable d’une sorte de nécessité supérieure poussant vers le paroxysme de la crise, quel que soit le biais qui y conduise. Cela vaut pour Washington, cela vaut pour le reste, cela vaut pour le Système.


Mis en ligne le 14 juillet 2011 à 11H03