La deuxième chute du Mur

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La deuxième chute du Mur


5 février 2004 — Nous publions ci-dessous l’éditorial de l’édition du 10 février 2004 de notre Lettre d’Analyse de defensa. Il introduit une interprétation de la crise des armes de destruction massive (ADM) irakiennes sur laquelle nous reviendrons sans aucun doute pour en développer l’analyse.


La chute du Mur (bis)

Rappelez-vous : en mai 1988, un homme du sérail, à Moscou, mais fin connaisseur des Occidentaux et des Américains précisément, Georgyi Arbatov, disait à un journaliste de Newsweek venu l'interviewer dans la perspective du sommet Gorbatchev-Reagan (à Moscou) : « Nous allons vous faire une chose terrible, nous allons vous priver d'Ennemi. » Phrase devenue si fameuse depuis (l'idée avait déjà été agitée, en petit comité, par l'ambassadeur d'URSS au Canada, en 1985). Tout le monde sait bien qu'Arbatov parlait, avec toute la sérénité que dispense le fatalisme slave, de l'effondrement en cours de l'Empire des communistes du monde entier. (On parle de l’“Empire du Mal” et l'on sait de quoi l'on parle.) Un peu plus d'un an plus tard, la chute du Mur sanctionnait le jugement d'Arbatov. Les Cheney, les Perle, la famille Bush, tout le monde était déjà dans le circuit.

Eh bien, nous allons employer cette image dans le mode homothétique, et nous serons appelés à y revenir sans aucun doute, pour fixer l'événement qui s'est produit. C'est un petit homme, une sorte de Candide postmoderne, qui a fait trembler les murs de Jéricho ; David Kay, 63 ans, petit de taille, des vilaines lunettes sans grâce et pas à la mode, une moustache démodée et taillée à la diable, des costumes de confection assez minables. Il se trouve que Kay avait été également mis à la tête de l'équipe des chercheurs d'ADM en Irak, en septembre dernier parce qu'on était sûr de lui et l'on attendait qu'il revînt, triomphant, avec un paquet d'armes chimiques et biologiques en bandoulière. On a dû se tromper de CV, prendre ce Kay pour un autre. Le brave Kay a toujours ignoré que son boulot impliquait plus l'attention aux remous washingtoniens que l'habileté à repérer un bidon de substance chimique enterré dans le sable. Kay est allé au Sénat, comme Mr. Smith, pour leur dire à tous que l'affaire des ADM de Saddam est une immense farce. Monsieur Kay semble avoir, par inadvertance, posé son pied sur une fourmilière de taille considérable.

Mais non, c'est bien plus que cela. En disant que Saddam n'a plus rien fait en matière d'ADM depuis la guerre du Golfe (la première, la « mère de toutes les batailles »), qu'il s'est tenu coi, qu'il n'a pas été le démon menaçant qu'ils ont fabriqué, Kay fait résonner la phrase terrible d'Arbatov ; et c'est le glas qui sonne car l'Amérique est à nouveau privée d'Ennemi. Puisque Saddam n'était rien, il n'y avait pas d'Ennemi et il n'y a pas d'Ennemi, et tout cela commence à nous rendre nerveux. C'est, si l'on veut, et malgré l'apparence fort banale du petit Monsieur Kay, une nouvelle Chute du Mur. (Contrairement à la version conformiste, ce ne fut pas, en novembre 1989, à Washington et dans les couloirs du Pentagone, un événement très joyeux.)

Une chute pareille, cela fait du bruit. Cela a déjà commencé, et ce n'est pas fini. Ce Mur-là pourrait bien en entraîner d'autres, qu'il est en général convenable de croire inexpugnables et intouchables.