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111131 janvier 2005 — Faut-il s’attarder aux chiffres? Ceux qui, hier 30 janvier, accompagnèrent (encore plus que “suivirent”) les élections irakiennes furent marqués à la fois par l’élan des commentaires occidentaux, — une sorte de « solidarité mondialisée » pour faire accueil complètement enthousiaste à la démocratie triomphante, — et par une confusion sympathique dans leur fonction première d’annonce des résultats. Hier soir, BBC.News titrait: « Iraq election declared “success” », un peu comme on “déclare la victoire”. GW fut ému en nous déclarant, lui, que c’était « a great and historical achievement ».
Maintenant, voyons le plus intéressant, qui est la petite mécanique qui a été mise en route. L’unanimité a été quasiment obtenue, sauf chez les irréductibles, les grincheux et les “Astérix” de la globalisation démocratique, pour proclamer un plein soutien au scrutin. Tout l’Occident bien-pensant s’est levé comme un seul homme pour commenter dans un sens non pas favorable, mais quasiment extatique, la journée du 30 janvier. L’esprit est court dans nos époques virtualistes, et la mémoire encore plus. Entendant ces commentaires, c’est comme si rien n’avait existé vraiment des causes profondes du désordre, des tueries et du reste. C’était un jour de grande réconciliation des commentaires occidentaux.
Le Washington officiel ne pouvait laisser passer cela; d’ailleurs, le Washington officiel s’y était préparé. Le Washington officiel a été parfaitement confirmé dans son attente, non par les élections elles-mêmes mais par les réactions massives et émotionnelles de nos commentaires. Quoiqu’il en soit de la réelle situation en Irak, l’état d’esprit assez vague mais très puissant par l’émotion sentimentale qui régna partout dans les rédactions et dans les studios se traduit ainsi : “la journée du 30 janvier est un triomphe pour la démocratie, donc pour la civilisation”. Il faut savoir à qui va le crédit de cet événement formidable.
La rapidité des réactions officielles US et la rapidité des commentaires favorables à la rapidité des réactions officielles US sont deux traits également remarquables. On citera ce passage d’une dépêche d’AFP en fin d’après-midi le 30 janvier. Elle nous donne effectivement une impression de gaieté roborative, de satisfaction du devoir bien rempli, d’une sorte de modestie heureuse devant l’accomplissement d’une tâche morale et humanitaire auquel on a puissamment participé, etc. Ces gens sont des modèles de sérieux et de vertu.
« The United States hailed Iraq's national elections as a “great day” for the country with better than expected turnout, but warned the polls would likely spark a new round of violence by insurgents.
» President George W. Bush was “incredibly encouraged” by the turnout, Secretary of State Condoleeeza Rice told Fox News after speaking with him. “He just said that this was a great day for the Iraqi people.”
» But despite the upbeat reaction to the vote for a national assembly, Rice refused to provide a timetable for the eventual withdrawal of the 150,000 US troops in Iraq facing a stubborn insurgency.
» The Bush administration had a lot riding politically and diplomatically on the elections, which went ahead despite a campaign of violence by the insurgents battling on nearly two years after the US-led invasion to topple Saddam Hussein.
» US officials were clearly exultant by initial reports of the turnout.
» “What we are seeing is that Iraqis are voting in large numbers,” Rice said in a round of interviews on US television. “I think everybody believes it's better than expected.”
» Rice acknowledged the elections were “not perfect” and that some voters had been scared off by the violence that was rampant in largely Sunni areas. But she said the polls represented “a huge step foward” for the country's transition to democracy. »
Ne retenons qu’un commentaire de cet extrait, qui concerne la réaction de GW: il est “incredibly encouraged” par les résultats. Par ailleurs, nous signalons cette remarque de Mariam Fam, de AP, également dans une dépêche de fin d’après-midi, le 30 janvier: « The election is a major test of President Bush's goal of promoting democracy in the Middle East. If successful, it also could hasten the day when the United States brings home its 150,000 troops. »
La brièveté dans le contenu de ces réactions, qui sont cantonnées à la fin d’après-midi du 30, peu après que les bureaux de vote aient été fermés et alors que les premières indications sont extraordinairement optimistes (72% de participation, jusqu’à 95% dans certains quartier de Bagdad), n’a d’égale que leur poids énorme, leur unanimité et leur caractère massif. Tout le monde, à ce moment-là, dit la même chose parce que tout le monde pense la même chose, parce que l’émotion conformiste transmise par le système de communication postmoderne les submerge tous. GW Bush a dit la même chose parce qu’il a entendu et lu la même chose. C’est ce qu’il retiendra de ces élections, comme la plupart des citoyens et journalistes occidentaux. Cette atmosphère de fête, ce “triomphe de la démocratie”, c’est le “good news only” de GW; ce 30 janvier, il est sanctionné par le reste du monde (le conformiste et le bien-pensant).
La chose a une importance considérable du point de vue psychologique. Résumons son effet sur l’esprit de GW, par deux points:
• GW va penser évidemment que ce scrutin est une véritable “seconde légitimation”, après celle du 2 novembre 2004. C’est ainsi qu’il va interpréter un scrutin qui correspond si complètement à tous les lieux communs du virtualisme washingtonien depuis des mois, que lui-même a entretenus auxquels lui-même s’abreuve. Si l’on veut, pour lui la chose est vraie puisqu’il l’a vécue en direct. Tout le reste, les chicayas qui vont suivre, les estimations révisées, les attentats, les affrontements politiques, ne sont plus, comme dit la citation, que “vile turpitude humaine qu’un peu de sable efface”.
• La conséquence est que l’esprit simple de GW se sent considérablement renforcé dans ses idées simples sur la globalisation de la démocratie et sur la globalisation de la liberté dans le monde. “Sa” guerre est complètement justifiée, elle est quasiment légalisée a posteriori, par rien de moins que la sanction magique d’un enthousiasme indescriptible du peuple iranien. (Les ADM, les votes à l’ONU, les liens de Saddam avec Al Qaïda? Les tueries de tous les côtés, les tortures, les voitures piégées et les bombardements depuis le “Mission accomplished” du 1er mai 2003? Pffuittt, tout cela est si loin qu’il semblerait qu’on n’en ait jamais parlé, que, finalement, cela n’ait pas vraiment existé. On sautera à la conclusion et on dira que c’est le cas.)
Le scrutin du 30 janvier tel qu’il a été éclairé par nos commentaires emportées et enthousiastes confirme la politique de GW Bush dans l’esprit du président américain et nous fait avancer l’hypothèse qu’il se juge lui-même confirmé dans son intention de poursuivre la “croisade pour la liberté” ou “contre la tyrannie”. Le principal enseignement psychologique, et donc politique, de cette journée du 30 janvier 2005, est bien celui-ci: les commentateurs enthousiastes d’Europe occidentale, et parmi ceux-ci plus précisément ceux qui furent par ailleurs contre la guerre contre l’Irak sous la forme où elle fut faite, ont contribué à renforcer considérablement la conviction du président américain qu’il est juste, qu’il est éclairé, que sa politique d’attaque préventive est la bonne. Ces mêmes commentateurs pourront donc, demain, s’effrayer encore un peu plus, et crier leur indignation, devant les nouvelles entreprises guerrières de GW. Les deux, — ceux qui protesteront contre l’action de GW et GW qui conduira ces actions, — le feront également au nom de la démocratie et de la liberté, auxquelles ils croient tous dur comme fer.