La dialectique munichoise d’une époque qui se prétrend néo-churchilienne

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La dialectique munichoise d’une époque décrite par certains comme néo-churchilienne


31 mars 2005 — Une parution simultanée de plusieurs articles permet de comprendre combien nous, Européens, sommes bien loin de comprendre le phénomène américaniste en cours; combien nous, Européens, aveuglés par la Raison (majusculée avec intention), arrivons à transformer des termes irrationnels pour justifier une analyse rationnelle d’un monde irrationnel, — et conduits ainsi à la déraison dans l’analyse.

D’abord, l’article de Martin Jacques, chroniqueur du Guardian, qui nous décrit dans un remarquable exercice d’une brillante analyse complètement fausse, la mise en place du “nouvel ordre mondial” néo-conservateur. Ensuite, l’accueil (l’“audition”) de Paul Wolfowitz, nommé à la tête de la Banque Mondiale, par des Européens qui voteront pour lui tout en confirmant que la nomination de Wolfowitz est une catastrophe : de quel “nouvel ordre mondial” parle-t-on sinon, comme dans le cas de la Raison qui transforme l’irrationnel en rationnel,de l’institutionnalisation, notamment avec Wolfowitz là où il vient, d’un désordre mondial? Enfin, pour terminer, le joker qui nous met le nez dans notre lâcheté de caractère, avec l’article du sénateur Danforth, vieux sage du parti républicain qui représente les USA à l’ONU avant l’arrivée du terrifiant Bolton, qui nous signale que l’administration au pouvoir est simplement la représentante de la droite chrétienne américaine, intégriste et hystérique, — c’est-à-dire, déraison et irrationalité pures.

• Martin Jacques décrit brillamment l’investissement des structures internationalistes du monde par les “neocons”. Brillant, sans aucun doute, quoique un peu approximatif, car c’est faux de mettre Bolton parmi les néo-conservateurs. Corrigeons donc : l’investissement des structures internationalistes par l’extrémisme radical US. Jacques décrit donc notre affaire, avec la Chine comme adversaire numéro un, l’Europe remise au pas, et violemment, notamment dans l’affaire de la levée de l’embargo vers la Chine, et, par conséquent, « [t]he prospects of a drift towards any form of triangulation in the relationship between the US, Europe and China, even at the edges, […] still very distant ». (Un conseil : nous ne sommes plus dans une époque où l’on peut dire d’un événement prospectif comme celui qui est décrit : «  still very distant ». Nous sommes dans une époque où les choses, bonnes et mauvaises, vont très, très vite. Alors, dans le cas décrit, l’on dit que cet événement va s’imposer très vite et il en adviendra une crise, avec des bouleversements conséquents, — dans quel sens? Voilà qui devrait être le seul objet de notre spéculation.) L’article se termine par la formule habituelle et toujours de bon effet: « Welcome to the new world order as seen from Washington. » “Order”? Quelle déraison… D’ailleurs, la contradiction éclate entre le titre de l’article («  The neocon revolution ») et l’annonce que c’est un « new world order ».

• Wolfowitz à Bruxelles, se présentant aux Européens pour avoir leur soutien qu’il obtint évidemment sans coup férir, ce fut une comédie assez grotesque, bien dans le goût du temps. Wolfie aimable, humble vous dit-on même, sympa, multilatéraliste et tout le toutim. C’était bien organisé pour rendre la capitulation des Européens plus douce, bien caractérisée par cette intervention de la représentante allemande: « Heidi Wieczorek-Zeul, the German development minister and an initial critic, said: “This is a new beginning for him, and we judge him on what he said today.” » Le Français, plus cartésien et à qui on ne la fait pas, remit les choses au point en mettant en évidence, de façon involontaire ou pas, tout ce que l’attitude européenne avait de capitulard (y compris de la part des Français): « “He told us nothing and gave nothing away,” a senior French diplomat said after the meeting with European finance and development ministers. » Les organisations non gouvernementales ont pu pour l’occasion étaler leur colère et leur déconvenue, comme on voit ci-dessous, et nous fixer sur le comportement de Tony Blair qui semble s’abîmer irrésistiblement dans une pathétique médiocrité, un double jeu sans le moindre espoir qui le voit prisonnier des extrémistes américanistes.


« Charities and aid organisations accused European leaders of rolling over under Mr Wolfowitz's charm offensive.

» Louise Hilditch, of ActionAid International, said: “He's picked up the 10 most commonly used phrases in the development community and they, the ministers, say, ‘That's fine, he's with us.’ It's deeply shocking.”

» Max Lawson, a senior policy adviser at Oxfam International, said: “If anyone could have stopped it months ago, it was Tony Blair — who knew then, long before he told his own cabinet.” »


• Dernière intervention, cerise sur le gâteau: l’article du sénateur Danforth (dans le New York Times et l’International Herald Tribune) sur la main-mise des chrétiens extrémistes sur le gouvernement américain. Pour voir un commentaire sur l’intervention de Danforth, lire par exemple le Guardian du jour. Il n’est guère nécessaire d’un long commentaire : venu du cœur du parti républicain, d’un honorable et prestigieux sénateur, c’est la confirmation de tout ce qui se dit et s’écrit de manière officieuse sur l’administration GW.

Ce tableau en triptyque de la situation du jour montre la dialectique munichoise, qui semble être la spécialité notamment de l’Angleterre néo-churchilienne de Tony Blair, — on appréciera le raccourci “en boucle”, — la dialectique absolument munichoise qui anime la Raison européenne face à cette chose incroyable qu’est l’Amérique “bushiste”. Face au déchaînement, les subtiles sornettes sophistiquées de Martin Jacques n’ont aucune substance, c’est un discours qui a « autant de colonne vertébrale qu’un éclair au chocolat » (une de nos citations préférées, jugement de Teddy Roosevelt sur le président McKinley).

Il n’y a pas de “nouvel ordre” dans ce qui est l’institutionnalisation d’une politique déstructurante, dont l’effet attendu est le désordre. Nous aurons le désordre, et vite, le désordre en beaucoup plus grand encore, le désordre passant de l’Irak à tout le système international. S’il y a une caractéristique de la politique US aujourd’hui, c’est le déchaînement, le rythme, la vitesse, dans le but de la destruction. C’est cela qu’ils appellent, les adeptes de la Raison multilatéraliste, le « new world order as seen from Washington. »... Welcome, en effet, et le spectacle commence (non, plutôt : “the show must go on”, car nous avons déjà vu le début de la pièce).