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385Ce sont des déclarations intéressantes qu’a faites Oleg Deripaska, oligarque russe et magnat de l’alimunium, oscillant actuellement entre la première et la deuxième place dans les fortunes russes construites dans le chaos de l’après-communisme.
Le 20 décembre 2009, Novosti rapporte la substance de ses déclarations à El Païs, le journal de Madrid. Deripaska estime que le monde occidental sera complètement différent “dans sept ans” (nous n’avons pas, dans la dépêche, l’explication de ce chiffre très spécifique).
«“La crise a tout modifié, en premier lieu le modèle anglo-saxon de consommation. Les gens ont cessé de dépenser l'argent comme autrefois et ont changé d'avis sur la superficie des logements et le nombre des voitures dont ils ont besoin. Le monde occidental sera complètement différent d'ici sept ans”, a-t-il affirmé.
»Evoquant la situation en Russie, le PDG du groupe Basic Element, estime que le pays a réalisé des progrès spectaculaires ces dernières années et considère son avenir avec optimisme. “La Russie est un pays chrétien que le communisme a ravagé à coups de chars. Au XXe siècle, mon pays a perdu plus de 80 millions d'habitants, d'ailleurs les personnes les plus actives. Néanmoins, deux décennies après la chute du communisme, on continue de nous accabler de reproches. Voyons où on en sera en Russie et en Occident dans 30 ans”, a fait remarquer M. Deripaska.»
@PAYANT Derispaska est un oligarque russe proche de Vladimir Poutine, chez qui il n’est pas nécessaire de chercher des vertus et de ces “valeurs” qui font florès, comme autant de mots de passe, dans le discours occidentaliste et américaniste en général. (Par exemple, il est évident, rien qu’à la cravate, qu’un Blankfein, de Goldman Sachs et du Financial Times réunis, est autrement représentatif en fait de vertu.) Deripaska parle ici moins en éventuel expert économiste qu’en Russe et ses paroles assez sibyllines rencontrent assez bien une conception répandue de la direction de la Russie et de certaines élites russes, voire un sentiment répandu dans les milieux populaires russes.
Contrairement à l’analyse générale qui est souvent faite dans l’Occident “anglo-saxonisé”, d’une façon favorable ou défavorable, la Russie constitue un cas particulier d’une puissance qui semblerait chercher à s’intégrer dans le système général américaniste et occidentaliste mais qui agit en fait dans ce sens d’une façon tactique et en gardant toutes ses réserves à l’encontre de ce même système. Les Russes éprouvent une très forte rancœur à l’encontre de l’Occident, qui continue à dénoncer la Russie à cause de son passé communiste alors que la Russie fut en fait la première victime du communisme dont les racines sont absolument occidentales. Derispaska parle de 80 millions de victimes russes au XXème siècle, comme il pourrait parler plus spécifiquement des 27 millions de Russes morts durant la Seconde Guerre mondiale pour fournir l’effort principal d’une victoire que l’Ouest s’attribue à elle-même avec la plus grande générosité. Lorsqu’on considère l’absence complète de reconnaissance de ces massacres ajoutée à l’hostilité anti-russe actuelle, tandis que d’autres massacres font en Occident l’objet d’un véritable culte touchant à l’incantation et au plus pur terrorisme de l’esprit, et semblent un quitus donné par les victimes d’hier aux pires politiques des voyous d’aujourd’hui déguisés en chefs de gouvernement, on comprend la rancœur de la Russie.
Mais cette rancœur russe se double d’une véritable prémonition, également très répandue chez les élites et les populations russes, qu’on retrouve chez un Derispaska dans ce cas comme on la trouve chez un Gorbatchev, de l’inéluctable destin catastrophique du système américaniste et occidentaliste. D’où les remarques de Derispaska sur l’évolution de la situation économique occidentale et les obligations qui vont désormais frapper les “consommateurs” occidentaux. Dans ce cas, on découvre que ce qui est perçu comme un mouvement d’“intégration” de la Russie dans le système américaniste est effectivement tactique, et illusoire sur le fond. De ce point de vue, la Russie se sent étrangère à un système complètement d’inspiration anglo-saxonne et inspirée par l’“idéal de puissance” qui a engendré toutes les grandes catastrophes des deux derniers siècles. C’est à ce point que les pays européens devraient avoir la sagesse de considérer le fond de la critique russe du système occidentaliste, ou plutôt anglo-saxon, et réaliser qu’arrivés comme nous le sommes à un point de rupture de crise, un choix se dessine clairement, qui est simplement un choix de civilisation, ou plus précisément de post-civilisation. La France est sans aucun doute le premier de ces pays européens où une telle réflexion devrait se développer, tant son courant de réflexion le plus caractéristique est de type “antimoderne”, selon la définition qu’en donne André Compagnon.
Tout cela n’assure en rien la vertu de Derispaska, qui est vraiment une question accessoire, mais rend compte d’une situation de crise de rupture que la conférence de Copenhague a mis dramatiquement en évidence. La Russie est un de ces rares pays qui réalisent qu’il existe aujourd’hui des choix nécessaires. Rien que cette conscience constitue en soi un événement digne d’être signalé et qu’il faut toujours avoir présent à l’esprit.
Mis en ligne le 26 décembre 2009 à 15H07