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19 octobre 2003 — Deux affaires viennent illustrer la difficile situation où se trouvent les fonctionnaires, ministres, etc, britanniques, placés dans l’obligation de suivre les sinueuses et implicites consignes du “grand écart” de Tony Blair. Le plus souvent, on parle du “grand écart” extérieur, entre USA et Europe mais on parle, ici, d’un autre “grand écart” complètement intérieur, pour les Britanniques eux-mêmes : “grand écart” entre la réalité (le constat, le jugement qu’on en fait, etc), et les obligations de se référer à une appréciation respectueuse des innombrables sottises d’une politique américaine brutale et unilatérale jusqu’à l’irresponsabilité et de la cascade en chaîne des conséquences de ces sottises.
(Certains Américains ont un autre nom à offrir à la place de “sottise”, quoiqu’ils soient moins insistants aujourd’hui. Éventuellement, suggèrent certains, c’est une question de points de vue qui diffèrent ; éventuellement, mais le point de vue différent n’est pas que géographique, il est aussi culturel et le reste. A la limite, il concerne la définition d’une “sottise”. Vaste débat.)
Les deux affaires concernent :
• L’“étrange cas” de l’ambassadeur britannique en Ouzbékistan, qui avait appelé “un chat un chat” (à savoir, décrivant le régime ouzbèk comme corrompu et brutal, avec des méthodes d’action extrêmement cruelles, etc). Bien entendu, tout cela a été enrobé d’une sauce convenable, mettant en cause par l’acte de la diffamation l’honorabilité du diplomate. Le diplomate a été déplacé sous le coup d’accusations calomnieuses après le départ de Clara Short (démission), qui l’avait d’ailleurs averti loyalement des menaces pesant sur lui (« I love the job you are doing down here, but you know, don't you, that if I go, you go. »)
« Britain's ambassador in Tashkent, who mysteriously returned to this country last month on temporary sick leave, was the victim of threats from Downing Street related to his outspoken views on US foreign policy in the run-up to the Iraq invasion.
» Inquiries by the Guardian have discovered that Craig Murray, one of Britain's youngest ambassadors, was subsequently called back from his Uzbekistan post, threatened with the loss of his job, and accused of a miscellaneous string of diplomatic shortcomings in what his friends say is a wholly unfair way.
» The accusations against him included: Supporting the visa application of the daughter of an Uzbek family friend who overstayed in England; Drinking too convivially with Uzbek locals; Allowing an embassy Land Rover to be driven down steps.
» Mr Murray's subsequent episode of depression, for which he had medical treatment, was preceded by what one Foreign Office source calls “a campaign of systematic undermining”.
» A senior source said the former ambassador had been put under pressure to stop his repeated criticisms of the brutal Karimov regime, accused among other things of boiling prisoners to death. The source said the pressure was partly “exercised on the orders of No 10”, which found his outspokenness about the compromises Washington was prepared to make in its “war on terror” increasingly embarrassing in the lead up to the Iraq war.
» “He was told that the next time he stepped away from the American line, he would lose his post,” said the source. During a visit earlier this year at the height of the political tensions prior to the Iraq invasion, the former development secretary, Clare Short, is reported to have said to him: “I love the job you are doing down here, but you know, don't you, that if I go, you go.” She eventually resigned over the Iraq war. »
• Le cas du ministre Peter Hain est différent mais aussi révélateur du climat qui règne aujourd’hui au Royaume-Uni, dans un cas où l’habituel fondement du service public est totalement pulvérisé. En effet, ce qui doit guider les fonctionnaires n’est plus l’intérêt du Royaume-Uni, mais la “ligne de Washington” et, dans le cas de Peter Hain, mieux encore, la “ligne des néo-conservateurs” (laquelle est d’ailleurs aujourd’hui en voie d’être pulvérisée, les choses vont vite, — mais passons sur une stupidité de plus, du fait britannique cette fois). L’argument de fond de Hain concerne un autre problème, qui reprend d’ailleurs sous une forme plus nuancée le “grand écart” de Blair entre l’Europe et les États-Unis (des États-Unis débarrassés de la ligne unilatéraliste de l’équipe GW) ; autre problème, autre débat, ce qui compte ici est l’acte de censure contre un texte qui ne respecte par l’orthodoxie ( !) de la politique extrémiste de Washington.
« The Welsh secretary, Peter Hain, has been forced by Jack Straw to scrap a prepared speech in which he urged Britain to embrace a “progressive, united Europe” rather than the socially divisive free market philosophy of the United States under President George Bush.
» There may have been a hint in the draft speech that ministers want Tony Blair's ally on Iraq, President Bush, defeated next November to achieve “our ideal partnership of principle between a progressive united Europe and a progressive internationalist US. We have to work for both. At present we have neither. We have to work with America whoever is in charge.”
» In the draft speech, which was to have been delivered as the Jean Monnet lecture at the University of Wales in Aberystwyth on Thursday night, Mr Hain went out of his way to stress the need for Europe to learn from the US and to warn against “turning our back on America, a gift to US unilateralists.”
» The quest for a more equal partnership should lead to “neither rivalry nor subservience,” it said.
» But his main offence appears to have been a sharp contrast between Europe's preference for “an open, democratic world committed to global social justice, governed by multilateral rules and enforced by modernised international institutions” and the clear but unspecified alternative offered by US neo-conservatives.
» Mr Hain's argument was that Europe's divisions have marginalised its influence, especially in defence and foreign policy. Britain has “far more to learn from Europe's record of social investment than we do from America if we want all our people to succeed in a knowledge economy”, he planned to say.
» The key paragraph, which officials will not identify, may well have been what followed. “American-style free-marketism may have delivered higher productivity and growth in the US, but at a cost of poor public services, low social standards, weak communities, rising violence and high poverty. That's not an agenda for a progressive Europe.” »
Les exemples donnés sont flagrants et, certes, il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. D’autres affaires de cette sorte, dont la plupart sont gardées secrètes ou sont étouffées, prolifèrent dans l’appareil de l’État. Aujourd’hui, la diplomatie britannique est en train de broyer sa traditionnelle vertu éthique de l’intérêt national et souverain du Royaume-Uni. (On sait que la situation est similaire pour l’appareil militaire, au niveau de sa réflexion et de ses analyses, ainsi que pour l’appareil des services de renseignement, qui n’a jamais rencontré une crise structurelle de l’importance de celle qui le secoue aujourd’hui, en directe connexion avec la question irakienne.)
C’est une tragédie sans précédent pour la diplomatie de la qualité de la britannique que de lire une phrase comme celle-ci, qui vaut les instructions que recevaient les diplomates des pays satellites par rapport à Moscou du temps du Pacte de Varsovie : « “He was told that the next time he stepped away from the American line, he would lose his post,” said the source. »
Il s’agit d’un état de crise. On voit mal comment l’appareil de l’État pourrait supporter longtemps de telles contraintes, qui sont susceptibles de pervertir le climat, le moral des fonctionnaires, leur comportement, jusqu’à des points de dommage irrémédiable. D’autre part, comme on l’a déjà vu, cette crise influe directement sur la qualité de l’analyse par distorsion volontaire, par réflexe inconscient d’auto-justification de telles pratiques, jusqu’à provoquer les erreurs les plus graves. C’est un aspect important, par son effet pratique, de la crise britannique exclusivement due aux contraintes que lui imposent les special relationships. Par essence, c’est un domaine de plus qui fait penser que la prolongation de cet état de sujétion britannique vis-à-vis des USA n’est pas loin d’un point de rupture.