La digue est-elle en train de céder ?

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La digue est-elle en train de céder ?

19 décembre 2013 – On peut considérer qu’il y a déjà eu deux phases dans la crise Snowden/NSA. La première a vu la crise contenue dans ses normes nationales et systémiques, au long des premières révélations. Snowden était honni, on s’agitait au niveau national US, la NSA tentait de boucher les premières brèches avec l’appui général de l’establishment, les alliés soutenaient les USA et leurs pressions internes et externes diverses. La période fin juillet-août a vu le basculement dans une seconde phase, où la gravité de la crise s’est soudain affirmée, en quittant les domaines jusque-là “sécurisés” du système.

• Au niveau intérieur, le basculement est venu du Congrès, avec le vote à la Chambre des Représentants (voir le 26 juillet 2013) où un projet de loi anti-NSA fut battu de quelques voix, dans un vote absolument inattendu. A partir de ce moment, la crise Snowden/USA est devenue véritablement “ouverte” aux USA, avec deux camps (les pro et les anti-NSA, impliquant des positions assez symétriques vis-à-vis de Snowden), alors qu’il y avait jusqu’ici la perception d’un “agression” de Snowden (et Snowden-Greenwald) contre la NSA et contre les USA. La crise Snowden/NSA est devenue une “crise intérieure” au Système qui divise le Système et non plus une agression extérieure contre le Système qui rassemble le Système.

• Courant août, avec l’asile accordé par la Russie à Snowden (2 août) et surtout avec la détention pendant neuf heures du partner de Greenwald à l’aéroport d’Heathrow (le 19 août), le réseau de communication Snowden-Greenwald-Poitras s’est mis en place, générant une multitude de sous-réseaux, tandis que l’accès aux médias-Système s’élargissait (Guardian, Spiegel, Washington Post, O Globo, etc.). L’extension du réseau se poursuit actuellement, avec le projet de site universel Greenwald-Omidyar, développé depuis le 31 octobre, et l'établissement de relais au Canada, en Suède, en Australie, etc.

• Au niveau international, la crise a pris une extension inattendue, essentiellement avec des effets nocifs sur les relations des USA avec le Brésil (en septembre) et avec l’Allemagne (en octobre), et dans une moindre mesure avec l’Europe. Les fuites-Snowden ont essaimé comme des métastases bienfaisants grâce à l'extension des réseaux signalée plus haut, touchant de nombreux pays (France, Canada, Australie, Italie, Suède, Norvège, etc.). Le Royaume-Uni a été directement impliqué, avec son GCHQ, comme “supplétif” de la NSA à partir de fin août-début septembre.

• Enfin, les répercussions ont commencé à se faire sentir au niveau du Big Business US d’internet, plaçant le corporate power US en confrontation directe avec la NSA, en même temps que des prévisions pessimistes se faisaient jour au niveau des marchés internationaux des géants US de l’internet. Pour ces acteurs, désormais, la crise Snowden/NSA est une catastrophe, tant aux niveaux intérieur (USA) qu’extérieur.

Ainsi la crise était-elle entrée pleinement dans sa deuxième phase de crise interne au Système et au bloc BAO. Les choses, depuis août-septembre, n’ont fait qu’empirer, plaçant de plus en plus la NSA dans une position défensive, et mettant de plus en plus la Maison-Blanche dans une position difficile. Pourquoi alors parler d’une troisième phase ? Parce que, depuis le début décembre, des signes sont apparus selon lesquels cette extension conjoncturelle de la crise Snowden/NSA menace de se transformer, et se transforme effectivement grâce à un approfondissement structurel remarquable. Il s’agit d’une période transitoire vers une troisième phase, où la crise Snowden/NSA pourrait devenir une crise générale du Système, affectant par voie de conséquence bien plus que la seule NSA, que le seul réseau de surveillance, etc.

Nous sommes désormais bien au-delà, dans le sens de la gravité de la crise, de la crise financière de l’automne 2008 à laquelle nous la comparions Snowden/NSA le 2 août 2013. D’un point de vue US, un homme aussi expérimenté que l’ambassadeur Chas Freeman, qui fut pendant quelques jours nommé DNI (Director of National Intelligence) avant de céder devant les pressions du lobby sioniste AIPAC (voir le 11 mars 2009), peut déclarer, dans une conférence au MIT Center for International Studies (voir le texte de la conférence sur son site ChasFreeman.net le 12 décembre 2013) qu’il y a dans la crise Snowden/NSA une potentialité de devenir indirectement, par ses conséquences, la crise la plus grave de la Grande République...

«We live in what the National Security Agency [NSA] has called “the golden age of SIGINT [signals intelligence].” We might have guessed this. We now know it for a fact because of a spectacular act of civil disobedience by Edward Snowden. His is perhaps the most consequential such act for both our domestic liberties and our foreign relations in the more than two century-long history of our republic...»

Les caractères nouveaux de la crise Snowden/NSA se trouvent référencés dans plusieurs événements qui ont lieu ces derniers jours, et plusieurs tendances qui se sont révélées. Nous mentionnons trois domaines principalement, qui semblent évoluer dans le même sens.

• Il y a, bien entendu, le jugement du Juge fédéral Richard Leon, lundi, estimant que le programme de surveillance téléphonique de la NSA est “presque certainement inconstitutionnel”. Le juge Leon estime implicitement que cette activité est illégale parce qu’elle viole le 4ème amendement de la Constitution portant sur les libertés civiques et la protection de la vie privée. Dans ses attendus qui font plus de 60 pages, le juge parle d’une activité “quasi orwellienne” de la part de la NSA et observe, d’une façon colorée et presque polémique, que James Madison, le principal rédacteur de la constitution des États-Unis, serait “horrifié” devant l’ampleur et la spécificité des activités de la NSA («James Madison, the architect of the US constitution, would be ‘aghast’ at the scope of the agency’s collection of Americans' communications data»). Leon statuait à partir d’une plainte déposée par Larry Klayman, un avocat conservateur membre du Tea Party de bien mauvaise réputation, ce qui montre que l’acte suscitant une situation vertueuse n’a nul besoin d’être vertueux lui-même (voir le Guardian du 18 décembre 2013) ; et plainte partagée par Charles Strange, père d’un employé de la NSA tué dans la destruction mystérieuse, en 2011, d’un hélicoptère US en Afghanistan. (Le fils de Charles Strange avait travaillé dans la mission de l’équipe de SEAL de l’US Navy, dite Team Six, qui fut engagée dans la liquidation, également dans des conditions mystérieuses et polémiques, d’Osama ben Laden au Pakistan.) Le Guardian du 17 décembre 2013 note :

«The ruling, by the US district court for the District of Columbia, is a blow to the Obama administration, and sets up a legal battle that will drag on for months, almost certainly destined to end up in the supreme court. It was welcomed by campaigners pressing to rein in the NSA, and by Snowden, who issued a rare public statement saying it had vindicated his disclosures. It is also likely to influence other legal challenges to the NSA, currently working their way through federal courts.»

Ces constats signifient donc que la “crise Snowden/NSA” est devenue pour ce domaine, officiellement et juridiquement, une “crise de la NSA”, et qu’elle va se transformer, par sa durée et par l’importance juridique qui la caractérise, en une “crise générale” d’un pan du Système. Cette mutation de nature implique la soumission du cas au traitement systématique et automatique de la structure juridique US, qui est avec la Cour Suprême l’élément essentiel et primant sur tout autre de la structure générale du pouvoir aux USA. Il y a donc une automaticité qui est lancée et qui ne peut être arrêtée sans entrer dans l’illégalité la plus complète et la plus inacceptable pour le Système lui-même. En un sens, le Système est garant de la poursuite d’un processus qui attaque directement l’un des composants essentiels de lui-même.

• Il y a divers développements de type politique, au niveau international. Le plus important et le plus caractéristique est certainement le développement des relations des USA avec l’Allemagne, et, plus encore, l’évolution de l’Allemagne dans cette affaire. Tout indique, comme nous le suggérions déjà le 12 décembre 2013, que la crise est extrêmement sérieuse, essentiellement du fait d’une sorte de volontarisme revendicatif de l’Allemagne elle-même, symbolisée par la position de Merkel. Des révélations ont été faites par le New York Times, selon lesquelles Merkel a eu des échanges extrêmement durs avec Obama, affirmant d’une part que la NSA était l’équivalent de la Stasi de l’ancienne Allemagne de l’Est (RDA), et d’autre part que l’agence était d’une inefficacité épouvantable, par le fait même d’avoir laissé Snowden s’emparer de tant de documents qu’elle-même (la NSA) en ignore le nombre et la nature, – chose que la Stasi, elle, n’aurait jamais laissé faire. (Voir Russia Today, le 18 décembre 2913.)

Actuellement, des négociations ont lieu entre les USA et l’Allemagne sur des conditions garantissant l’absence d’espionnage du fait des agences US, mais ces négociations sont très difficiles. Les Allemands veulent être assuré que “tout ce qui est techniquement possible (pour empêcher cet espionnage) sera fait”. Mais cette garantie ne sera sans doute pas suffisante, par référence aux exigences allemandes. D’ores et déjà, il y a des indications sérieuses concernant les dispositions que les Allemands veulent prendre pour leur compte, contre de telles activités. Le Guardian du 17 décembre 2013, observe que les changements dans le gouvernement du nouveau mandat Merkel impliquent un durcissement très net de la direction politique allemande face aux activités d’espionnage en général, et celles de la NSA en particulier. Le nouveau ministère de l’intérieur allemand tel qu’il se constitue se transforme en une machine de guerre anti-NSA, reléguant la lutte contre le terrorisme qui structure la coopération transatlantique et la coopération Allemagne-USA au second plan ; le ministre Friedrich est écarté, pour n’avoir pas montré assez de fermeté face aux USA dans cette affaire, et remplacé par une équipe sûre pour Merkel, garantissant l’efficacité de cette lutte contre la NSA, et contre les USA par conséquent ...

«In Germany, the main government minister dealing with the NSA fallout, Hans-Peter Friedrich, has fallen victim to a reshuffle in the new coalition unveiled in Berlin at the weekend. Friedrich, from Bavaria's Christian Social Union, is not seen as an ally of Merkel's and was widely viewed to have performed less than robustly in the exchanges with the Americans. His replacement as interior minister, by contrast, is a close ally of Merkel's – her former chief of staff and former defence minister, Thomas de Maiziere. Additionally, Merkel has brought a former senior intelligence official into the new coalition. Alongside De Maiziere at the interior ministry, she has appointed Klaus-Dieter Fritsche, previously deputy head of the domestic intelligence service, Germany's equivalent of MI5.»

Ce qui est impressionnant dans le cas allemand, et caractérisé par la restructuration et la réorientation du ministère de l’intérieur, c’est la réorientation justement de la politique de sécurité nationale de l’Allemagne. Cela n’est pas un simple “concept”, mais bien une évolution de politique sécuritaire, notamment dans la perspective de nouveaux heurts et affrontements avec les USA jusqu’à faire envisager une situation potentielle de rupture structurelle. (Voir encore notre texte du 12 décembre 2013, et ces déclarations du député Uhl, qui occupe une place stratégique de porte-parole du parti CDU-CSU pour les affaires intérieures [donc de sécurité intérieure] : «What's certain is that many pieces of information are going to come to light that will be uncomfortable for the US. [...] Once trust has been lost, it's hard to get it back. There's a German proverb: “Lie once, and no one believes you. Even if you speak the truth.” The US is now in that position. I think that Germany should win back its sovereignty in the area of IT. Germany can do that. It's very much in the position to do so technologically. And we will do that.»)

• Le troisième domaine est celui qu’on caractériserait par l’évolution de la position de cette entité nommée corporate power, qui s’inscrit de plus en plus dans une position à la fois d’hostilité et d’antagonisme par rapport aux activités de la NSA. D’une part, il y a les pressions intérieures grandissantes du Big Business US dans l’internet, des groupes-mastodontes qui tiennent l’énorme marché intérieur et international du domaine et qui voient leur mainmise s’éroder à très grande vitesse, du fait de la perte de confiance, de la défiance générale qui se sont installées à leur encontre de la part des multiples relais et clients de ces grands groupes, avec des pertes déjà considérables, le développement de concurrences nombreuses, etc. C’est un monopole fondamental qui est non seulement ébranlé et menacé, mais d’ores et déjà entamé. La réunion mardi à la Maison-Blanche, entre Obama et Biden d’une part, et une dizaine de dirigeants des grandes firmes de l’internet d’autre part, une réunion substantielle de deux heures et demie, est indicatrice de la tension existante entre le corporate power et la direction politique US. (Voir le Guardian du 18 décembre 2013 pour cette réunion.)

D’une façon plus générale, la crainte est considérable à Washington de voir la crise avoir des conséquences catastrophiques par les restrictions d’échanges de technologies, de restrictions protectionnistes des marchés, etc., par rapport à de nombreux pays étrangers, qui coûteraient extrêmement cher à la fois à la puissance technologique US et au corporate power US. D’ores et déjà, des pays très importants, comme l’Allemagne et le Brésil bien sûr, et d’autres, sont engagés irréversiblement sur cette voie. Le Congrès notamment panique littéralement devant cette perspective, comme le montre la lettre adressée par dix-huit parlementaires à l’agence du commerce US à ce propos. (Russia Today, le 16 décembre 2013.)

«Eighteen members of the United States Congress have signed a letter to US Trade Representative Michael Froman, imploring the nation’s chief trade negotiator to make sure foreign allies won’t follow through with plans that would put restrictions on international data transmissions. The letter, dated last Friday and signed by one-and-a-half dozen bi-partisan members of the Congressional High Tech Caucus, “highlights the important issue of cross-border data flows in US trade negations and raises concerns with recent efforts by some in multiple countries in Europe, Asia and elsewhere to promote protectionist data flow policies.” [...]

»But members of Congress worry that US companies won't be able to bounce back if angered countries commit to reported proposals to discontinue data transmissions with the US. “These policies threat to harm American and international businesses, global customers and the successful development of cloud technologies and services, both here and abroad,” the caucus wrote to Froman. “We commend the Unite States Trade Representative’s (USTR) efforts to ensure the global free flow of data and to eliminate barriers to cross-border data flows,” they implored.»

• Devant cette situation, quelles réactions peut-on attendre du pouvoir washingtonien ? Obama est toujours souriant mais il a reçu le rapport de la commission spéciale qu’il avait nommée, pourtant constituée de fidèles à toute épreuve de la NSA. Le rapport recommande pourtant (bis) certains changements importants, tout en recommandant de maintenir intactes les capacités de la NSA, – ce qui est peut-être la sorte d’action où il est recommandé de mélanger avec alacrité l’eau et le feu pour résoudre la quadrature du cercle ... Comme d’habitude, la réaction d’Obama est cool et l’on va prendre son temps. (Russia Today, le 18 décembre 2013.)

«That isn’t to say that the president has to heed those suggestions, however, and earlier on Wednesday during a scheduled media briefing White House Press Secretary Jay Carney said Obama is “not going to make snap judgments.” “He's going to look at it and assess it,” Carney said, adding to reporters that the overall, internal review will be completed by January 31.

»“Over the next several weeks, as we bring to a close the administration’s overall review of signals intelligence, the president will work with his national security team to study the Review Group’s report, and to determine which recommendations we should implement,” the White House said in a statement published in-tandem with the release of the report on Wednesday.»

... D’ici le 31 janvier 2014, d’autres événements auront lieu, ce qui devrait confirmer que les très faibles mesures qu’Obama serait décidé à prendre, selon son habitude des demi-mesures et sa révérence devant les pouvoirs de sécurité nationale, seront très largement insuffisantes pour empêcher les fissures de la digue montée pour contenir la crise de s’élargir, peut-être irrémédiablement. D’ici là, d’ailleurs, il n’est nullement exclu que le Congrès, dans sa partie antiSystème à la Chambre, ne parvienne pas à faire voter une loi restreignant radicalement les activités de la NSA, ce qui impliquerait un conflit de plus.

L’“explosion du sens” : le rouge est mis

Ces différentes facettes de la crise Snowden/NSA telles qu’on les détaille dans ce courant décembre 2013 nous indiquent que l’on est en train d’évoluer vers un domaine où l’on se trouvera bien au-delà de la crise Snowden/NSA ... Le constat est donc qu’on se trouve dans un moment où, d’une certaine façon, ce qu’on nommait “crise Snowden/NSA” semblerait, dans la nouvelle extension constatée, se développer en dépassant le seul Snowden et éventuellement la seule NSA (tout en conservant bien entendu ses deux éléments fondateurs dans certains de ses développements).

Les événements et tendances auxquelles on fait allusion conduisent effectivement au constat que la “crise Snowden/NSA” devient une crise générale du Système, qui n’est plus nécessairement caractérisée dans tous ses effets et toutes ses conséquences par des faits et des constats ayant des liens directs, voire même indirects, avec Snowden et avec la NSA. La “cause première” tend de plus en plus à s’effacer devant les conséquences monstrueuses qu’elle a engendrées. On note effectivement dans ce sens que Freeman, dont l’observation est si intéressante, qualifie d’une façon générale la situation comme celle d’“un acte dont les conséquences pour nos libertés civiles et pour nos relations extérieures pourraient être les plus importantes dans l’histoire de notre république...”.

La “crise Snowden/NSA” a ainsi quitté le domaine de sa spécialisation, le domaine catégoriel (espionnage, surveillance, écoutes électroniques, etc.), pour toucher le domaine de la situation générale, c’est-à-dire du destin des USA (et du bloc BAO, et du Système). Elle se déploie désormais dans des domaines spécifiques d’une très grande importance, où elle ne figure plus que comme le lointain détonateur de ces tendances. Ainsi la “crise Snowden/NSA” est-elle en train d’achever de se transcender en ce que nous désignons comme la “crise haute”(voir le 20 février 2012), qui est l’échelon le plus haut dans l'infrastructure crisique, et surtout l’échelon suprême qui a la caractéristique d’opérationnaliser à lui seul la crise d’effondrement du Système... Nous présentions cette hypothèse de l’inclusion de la crise Snowden/NSA dans la “crise haute“ alors centrée sur la Syrie et sur des tensions avec la Russie et la Chine (à cause de la présence successive de Snowden dans ces deux pays), dès le 17 juin 2013, dix jours après le démarrage de cette crise...

«Il reste le fait, relativement nouveau mais de plus en plus avéré, que PRISM/NSA/Snowdon se divise en deux pour ses effets, – donc devient au moins deux crises. D’une part, un effet intérieur direct, avec ses conséquences directes et colossales, sur le débat des libertés civiles et de la surveillance des citoyens ; avec ses conséquences indirectes éventuelles, durcissant la situation à Washington, aussi bien d’Obama que des diverses tendances autour de lui, et diffusant sa tension vers la Syrie. D’autre part, un effet extérieur presque direct, avec ce que pourrait, ce que devrait être la réaction chinoise, puis accompagnée de la réaction russe, avec leurs effets directs de tension avec le bloc BAO.

»C’est une situation tourbillonnante, à la fois dans la manufacture et le développement de la crise PRISM/NSA/Snowdon, à la fois dans les rapports et les connexions de cette crise avec les crises existantes, ou avec de nouvelles crises en formation. D’une façon plus générale dans la séquence actuelle, on voit qu’un lien de plus en plus ferme est établi entre les diverses crises, actives ou en gestation. Cela tend à offrir la perspective d’un élargissement de la notion de crise haute qui avait transféré son centre bouillonnant dans la seule Syrie (voir le 1er juin 2013), qui s’élargirait désormais en une nébuleuse où seraient liées cette crise syrienne, la crise interne aux USA, une nouvelle tension sur un axe Est-Ouest avec un durcissement stratégique de la Chine se rangeant décidément au côté de la Russie en “position de combat”.

»On ajoutera, en appendice fort démocratique hors de notre propos mais qui s’y connecte selon la même logique crisique générale, que l’élection démocratique iranienne, complète de façon élégante le tableau général. Elle place le bloc BAO dans l’emportement et l’incontrôlabilité de sa propre crise qu’il diffuse dans le monde pour en recevoir les effets en un mode blowback dévastateur généré par le processus d’entropisation de ses propres prétentions, qui implique la faiblesse et l’inefficacité finales de l’attaque et invite à des effets pervers et des contre-attaques antiSystème.»

Comme on le voit, les conditions conjoncturelles ont considérablement changé, et la gravité, la profondeur de Snowden/ NSA avec. Désormais, la Syrie est reléguée à l’arrière second plan, de même que les tensions avec la Russie et la Chine à ce propos de la crise Snowden/NSA. Snowden-NSA est bien devenue la “crise haute” à elle seule, c’est-à-dire qu’elle a acquis cette fonction, en essaimant dans tous les domaines et en plaçant quelques coings d’une terrible puissance à l’intérieur du bloc BAO. Car s’il est une caractéristique remarquable de cette crise devenue “crise haute”, c’est bien son terrible aspect fratricide, tant au niveau intérieur US qu’au niveau des pays du bloc BAO, et notamment entre les deux principaux, les USA et l’Allemagne. Cette situation de “discorde chez l’ennemi” est sans précédent, elle dépasse désormais Snowden et la NSA, elle affecte des postures stratégiques et des enjeux généraux fondamentaux ... Snowden/NSA n’est plus spécifique, elle est la “crise haute” ; et la “crise haute” régnant et régentant de plus en plus toutes les activités essentielles du Système.

Nous sommes placés devant des situations de rupture potentielle sans précédent et simplement extraordinaires par rapport à l’arrangement réalisé depuis 1945, d’abord en une alliance générale dite du “Monde Libre” dirigée par les USA, puis, plus récemment, en un “bloc BAO”. Il y a cette situation où les pouvoirs et la légalité d’une agence fondamentale, dépendant du pouvoir militaire au Pentagone, puissent se trouver entravés, entraînant des contraintes radicales de ses activités, sinon pire, par l’appareil de la Loi qui prime tout aux USA. C’est un conflit direct entre le CMI (complexe militaro-industriel) et la Loi structurelle et fondamentale régissant et régulant le fonctionnement du Système ; l’on ne peut trouver pire et plus fratricide en fait d’affrontement ... Il y a cette situation où un pays jusqu’alors totalement soumis aux USA et aux règles du bloc BAO, envisage de prendre des mesures qui sont de l’ordre de la rupture. La position actuelle de l’Allemagne a de nombreux mécanismes en action pour faire que ce pays mette en cause le fonctionnement même de l’OTAN, où l’on trouve bien entendu la pénétration de la NSA, là aussi jusqu’à une situation de rupture.

Ainsi arrivons-nous à distinguer deux facteurs essentiels de Snowden/NSA dans sa troisième phase, celle où la crise devient complètement “crise haute”. Ces deux facteurs permettent à la fois de (re)définir la crise et d’introduire diverses hypothèses sur sa situation et sur ses prolongements.

• Le premier facteur pourrait être nommé “explosion du sens”. Il est annoncé par la description, ci-dessus, du désordre extraordinaire que Snowden/NSA a introduit au cœur du bloc BAO, donc au cœur du Système : des fondements du Système qui s’opposent, aux USA même (la Loi dans le système de l’américanisme, qui s’attaque au pilier du CMI qu’est la NSA, tandis que le Congrès est en embuscade pour planter sa propre banderille dans le flanc du taureau- NSA) ou bien selon l’axe sacré, le fondement transatlantique (le cas de l’Allemagne). Cette “explosion du sens” (dans quel sens doit aller le Système ? Comment deux sens peuvent-ils s’opposer de cette façon à l’intérieur du Système ?) implique en vérité qu’on s’approche dangereusement de la mise à nue de l’évidence. Ce serait le constat que le Système n’a aucun sens, qu’il suit l’impulsion de sa surpuissance et c’est tout, – et la découverte de cette absence de sens implique aussi une accélération du processus d’autodestruction. Quel sens a donc la NSA si un juge estime qu’en agissant comme elle le fait, elle détruit l’un des fondements du Système qu’est la Constitution des États-Unis ? (Car, contrairement aux supputations des sentinelles de la vertu des dissidents qui voient venir l’État policier de leurs cauchemars, le Système est un subtil équilibre de moyens vertueux et de moyens de contrainte, pour tenter de parvenir non à une situation d’oppression mais à une situation d’inversion, où l’esprit acceptera de prendre le processus de déstructuration-dissolution-entropisation [dd&e] pour “les lendemains qui chantent” de la narrative finale). Même question : quel sens a le bloc BAO, le rassemblement pseudo-stratégique des serviteurs du Système, si leurs deux principaux piliers s’engagent sur une course d’affrontement et même de collision ? Cette “explosion du sens” est en fait grosse de la plus terrible des révélations : ce Système n’a pas de sens, et notre contre-civilisation également, et alors toutes les narrative s’effondrent dans le plus complet désordre au cœur du Système. Ces chocs-là sont dévastateurs pour les différents éléments du Système et, surtout, pour la psychologie des serviteurs du Système.

• Le second facteur est l’appréciation, qui découle du précédent, que la crise Snowden/NSA est devenue, avec une trajectoire d’une impeccable rectitude, non seulement une partie de la crise haute, mais la crise haute elle-même. Et alors, l’interrogation ultime qui caractérise cette troisième phase est bien de se demander si Snowden/NSA devenue crise haute, ne représente pas finalement ce que nous nommerions la “crise haute finale”, ce stade où la “crise haute” devient, sans besoin d’aucune évolution de plus en attirant d’autres crises, parfaitement identifiable à la crise d’effondrement du Système, ce stade où la “crise haute finale” est ainsi qualifiée parce qu’elle est complètement identifiée à la crise d’effondrement du Système, parce qu’enfin elle est la crise d’effondrement du Système.

Selon ces hypothèses, ces considérations, etc., il est donc possible que nous voyions devant nos yeux se composer la phase finale de la crise d’effondrement du Système. L’argument qui milite en cette faveur, outre les éléments qu’on a signalés, c’est l’extraordinaire rapidité d’expansion et de transmutation de la crise Snowden/NSA devenue crise haute à elle seule. Malgré toute nos supputations, notre vigilance, voire nos espérances à cet égard, nous ne pouvions en aucune façon imaginer, le 6 juin 2013, que cet incident des fuites de la NSA se transformerait en ce monstrueux et gigantesque perfect storm de la “crise haute finale”. (Il n’y a qu’à mesurer la différence de perspective entre ce que nous appréciions dans le texte du 17 juin 2013 et ce qui se passe aujourd’hui.) Il est donc impossible de fixer un terme, ni d’envisager les épisodes à venir, ni même d’évaluer les capacités du Système à résister à ce cancer aux métastases survoltées installé au plus profond de lui. Mais on peut raisonnablement arguer que, selon l’expression du cinéma en train de se faire, “le rouge est mis”.